Analyses Politique

​ Candide ou l’innocence en politique / Philippe Di Nacera

Mis à jour le 4 mars 2021
Publié le 09/10/2018 à 12:12 , ,

J’ai fait un rêve. J’ai rencontré Candide, le personnage « innocent » de Voltaire. Pour le décrire, celui-ci écrivait ceci : « Il avait le jugement assez droit, avec l’esprit le plus simple : c’est je crois, pour cette raison qu’on le nommait Candide ». Dans mon rêve, Candide s’était mis en tête de m’interroger pour tenter de comprendre la politique ivoirienne.

On connaît tous l’adage : « quand on t’explique la politique ivoirienne, si tu comprends c’est qu’on t’a mal expliqué ». Curieux, Candide l’était. Tout comme il s’avouait profane dans la chose politique sous nos tropiques. Il voulait donc comprendre. Les questions qu’il me posait semblaient logiques. Mes réponses, pas toujours évidentes. Drôle de rêve.

–   Candide : Le PDCI est bien le parti fondé par le premier Président de la Côte d’Ivoire, Félix Houphouët Boigny?

– Moi : Oui.

-Lui : Il est dirigé par le « fils aîné » du Président Houphouët Boigny?

-Moi : Tout à fait.

-Lui : Le RDR est bien le parti fondé par le « fils cadet » du Président Houphouët Boigny?

– Moi : En quelque sorte, oui.

-Lui : Les deux sont donc des frères, n’est-ce pas?

-Moi : Oui, c’est ainsi qu’ils s’appellent.

-Lui : Le RHDP, je l’ai lu, est bien ce rassemblement de ceux qui se réclament du papa Houphouët et qui porte l’houphouëtisme dans son nom même?

-Moi : Oui, c’est cela, mais où voulez-vous en venir?

-Lui : Attendez. Le PDCI était bien membre de ce rassemblement des Houphouëtistes?

-Moi : Mais oui, bien sûr!

-Lui : Ce rassemblement était une sorte de maison commune pour les enfants du papa?

-Moi : Oui. Enfin, au début, non. C’était juste un lieu où ils se rencontraient. Mais ils avaient décidé d’en faire une véritable maison commune pour les enfants d’Houphouët qu’ils ont appelé « parti unifié ».

-Lui : Mais alors pourquoi l’enfant PDCI l’a -t-il quitté puisqu’ils ont le même papa?

-Moi : …

-Lui : Répondez!

-Moi : Les enfants ne s’entendent pas toujours.

-Lui : Je veux dire, y a -t-il eu une raison de fond? Idéologique? Un désaccord sur la politique menée, puisqu’ils exerçaient le pouvoir ensemble, depuis huit ans?

-Moi : Non non, je ne pense pas.

-Lui : Un différend sur la gestion des biens familiaux, c’est à dire la gestion du pays?

-Moi : Non, je ne crois pas non plus.

-Lui : Mais alors quoi, il n’y a aucune raison?

-Moi : Oui, il y en a.

-Lui : Une dispute? À propos de l’héritage, peut-être?

-Moi : Voilà, en quelque sorte. Mais pas l’héritage spirituel.

-Lui : L’un des frères convoitait-il un objet du papa que l’autre détenait?

-Moi : On y vient…

-Lui : Quel objet?

-Moi : Un fauteuil. Et un bic rouge.

-Lui : Et c’est seulement cela qui a suffit à désunir les enfants du père?

-Moi : Il semblerait que oui.

-Lui : Qui détient le fauteuil?

-Moi : Le cadet.

-Lui : Et l’aîné le convoite?

-Moi : Pour lui, ou un membre de sa famille, oui.

-Lui : Mais pourquoi?

-Moi : Il estime qu’il a été aimable avec son cadet en l’aidant à l’obtenir et que celui-ci devrait prochainement le partager.

-Lui : Et le cadet refuse?

-Moi : Oui. En tout cas, il pense qu’une fois dans la maison commune, ils trouveraient ensemble un arrangement.

-Lui : Et l’aîné refuse de faire ainsi?

-Moi : Oui. Il préférerait obtenir le fauteuil avant d’entrer dans la maison commune.

-Lui : Bref, chacun rejette l’idée de l’autre.

-Moi : Voilà.

-Lui : Donc désormais l’enfant PDCI ne veut plus de cette maison commune?

-Moi : Non non.

-Lui : J’ai entendu dire que l’enfant PDCI avait refusé de réunir sa famille, à cause de cette dispute. Cette réunion devait lui permettre de décider l’entrée de sa famille sous le même toi que le cadet. Est-ce vrai?

-Moi : Oui c’est bien vrai.

-Lui : Et que l’enfant RDR, voyant la bouderie du grand frère, avait accéléré la construction de la Maison commune. C’était pour l’embêter?

-Moi : Sûrement un peu, peut-être.

-Lui : C’est donc, si je comprends bien, le refus du grand frère d’accepter la construction immédiate de la maison commune, dite « RHDP, parti unifié », et la décision du petit frère de la construire quand-même, qui a précipité la rupture au sein de la fratrie?

-Moi : Oui, vous comprenez très bien.

-Lui : Je comprends peut-être très bien mais c’est incompréhensible. J’ai appris qu’aujourd’hui le grand frère PDCI a décidé de réunir quand-même sa famille pour entériner la rupture avec le petit frère RDR, alors qu’il avait refusé de le faire pour accepter l’entrée dans la maison commune….

-Moi : On peut dire les choses comme ça. Mais c’est son droit.

-Lui : Sont-ils tous d’accord, dans la famille du grand frère, pour aller dans ce sens?

-Moi : Non, justement. Certains ne sont pas d’accord. C’est pour cela que le grand frère réunit sa famille. Il veut éclaircir la situation. Car certains ont rejoint le petit frère dans sa maison commune.

-Lui : Mais n’est-ce pas lui, le grand frère, qui le premier avait proposé la construction de cette fameuse maison commune?

-Moi : Si si

-Lui : Ah

    –   Moi : Ah

– Lui : Pourquoi, au fait, n’a t’il pas voulu faire cette maison commune s’il l’avait lui-même proposée?

-Moi : Il voulait bien la faire, mais plus tard.

-Lui : À cause du fauteuil?

-Moi : Oui.

-Lui : Et s’il récupérait le fauteuil, il participerait à la construction de la maison commune?

-Moi : Oui, je crois.

– Lui : Mais pourquoi le petit frère RDR, s’il tient à sa maison commune avec son grand frère, ne lui donne -t-il pas tout simplement le fauteuil?

-Moi : ….

-Lui : Ça serait logique.

-Moi : Il y a certains objets auxquels on tient particulièrement. Surtout s’ils nous viennent du Père et qu’on les a gagné de haute lutte.

-Lui : Le petit frère veut garder le fauteuil pour lui?

-Moi : Non non. Il le cédera. Mais il veut que ça se décide en famille, dans la maison commune, et pas à l’avance.

-Lui : Du coup, chacun de son côté, les frères se retrouvent seuls…

– Moi : Non, pas du tout. Le petit frère RDR a construit sa maison commune avec d’autres enfants du papa. Et le grand frère PDCI va se trouver de nouveaux amis.

-Lui : Lesquels?

-Moi : D’autres. D’une autre famille.

-Lui : Quelle famille?

-Moi : Une famille anciennement hostile à la sienne.

-Lui : Ah oui?

-Moi : En politique, comme dans la nature, celui qui reste seul, meurt.

-Lui : Ah ça….

-Moi : Ah ça….

-Lui : La vie continue.

-Moi : La vie continue.

En me quittant, Candide n’est pas plus avancé : ignorant en arrivant, il n’en comprend pas davantage en repartant. Selon l’adage, c’est que mes explications ont porté leur fruit.

Philippe Di Nacera

Directeur de la Publication

 

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