Côte d’Ivoire

​ Réfugiés au Libéria- 5500 ivoiriens dans le dénuement, envie de retour mais…

Mis à jour le 20 juin 2018
Publié le 20/06/2018 à 11:27 ,

Ce mercredi 20 juin, est la Journée Mondiale consacrée aux Réfugiés dans le monde. Pour sa part, PôleAfrique.info s’est rendu sur les traces de réfugiés ivoiriens au Libéria. Ils vivent dans le camp de PTP dans des masures. PôleAfrique.info est allée au contact d’ivoiriens vivants dans ce camp. Ils sont environs 5500 réfugiés ivoiriens au camp PTP. Partagés entre l’envie de rentrer au pays et la peur causée par des rumeurs d’insécurité au pays, ce sont des réfugiés qui vivent dans un dénuement total. Reportage.

« J’ai quitté la Côte d’Ivoire en 2011 avec ma famille suite à la crise postélectorale. A Bloléquin où j’étais, j’exerçais comme chef de gare de la compagnie DMT. J’ai fui et j’ai laissé tout derrière moi. En venant ici, j’avais quatre enfants. Aujourd’hui j’ai eu trois autres et je vis avec eux ici. Ce que j’ai vu pendant la crise me fait peur pour rentrer. Sous mes yeux, ils ont exécuté mes frères aîné et cadet. Je veux bien rentrer mais quand je pense à ce que j’ai vu, j’ai peur », raconte Doué Patrice que PôleAfrique.info a rencontré à l’entrée du camp en compagnie de sa famille.

Une cinquantaine de mètres de là, se trouve un petit marché de fortune. Des femmes sont  assises derrière des étalages. Tra Lou Irié Henriette, comme la plupart de ses concitoyens vit dans le camp PTP depuis 2011. « Depuis 2011, je suis venue ici. J’avais quitté Abidjan pour me rendre à Tabou pour acheter de l’huile rouge. Et une fois à Tabou, la guerre m’a surprise. J’ai fui pour me retrouver ici, laissant ma fille avec des amis à Abidjan. Quand je pense à mon pays, beaucoup de choses me manquent. Ici, il y a trop de racisme, mais, je suis obligée de vivre dedans à cause de ma vie », soutient-elle.  Si Tra Lou Henriette,  a eu de la chance de ne pas perdre un parent, ce n’est pas le cas de Yéhoué Jean-Baptiste. « Je suis venu ici à cause de la guerre. Ce jour-là, j’étais avec mon père biologique, quand l’armée régulière fuyait. Nous avons cherché à nous sauver et c’est dans cette débandade que j’ai perdu mon père. J’ai pu m’échapper avec ma petite famille pour me retrouver ici », se souvient-il.

DES CONDITIONS DE VIE DIFFICILES

C’est dans des maisons en banco et couvertes de papaux  ou de bâches et des conditions exécrables que vivent les ivoiriens au camp de réfugiés de PTP au Libéria. La nourriture également fait défaut depuis que le HCR a mis fin à l’aide alimentaire.

« Au départ, c’est le HCR qui nous donnait à manger. Mais depuis trois ans, il n’y a plus d’aide. On cultive le riz, le manioc et d’autres spéculations pour pouvoir se nourrir. Ici, les conditions sont difficiles. On coupe les bois pour faire du charbon. On fait les « contrats », on tisse papaux pour avoir de l’argent. C’est un peu un peu. On fait aussi des champs de manioc pour nourrir nos familles. On est fatigué mais on va faire comment », se désole Doué Patrice.

«Nous dormons dans des maisons de fortune. Souvent il pleut sur nous.  Ici à PTP, je vends les condiments de sauce et cela me permet de vivre. Mais c’est dur car beaucoup de choses me manquent. Ici, il n’y a d’aloco, de la salade, le concombre et bien d’autres choses. Même le vrai attiéké, on n’en trouve pas ici. Je fais avec ce que je trouve », se console Tra Lou Henriette.

LE RETOUR CONDITIONNE

Malgré les conditions de vie difficiles, nombreux sont ces ivoiriens qui ne désirent pas rentrer au pays, ce en dépit d’incessants appels des autorités d’Abidjan.

« Nous savons que le président appelle à rentrer au pays. Quand on fait des analyses, il n’y a pas de sécurité, de paix en Côte d’Ivoire. Nos parents vont et reviennent. Nous savons aussi que les dozos continuent de circuler avec des armes. Ma famille a plus de 150 hectares de forêt qui sont occupés par des étrangers. C’est vrai qu’on donne un kit et de l’argent à ceux qui désirent rentrer. Mais une fois sur place, quand l’argent fini, tu es livré à toi-même. Pour nous qui n’avons plus de maisons on fait comment ? Je n’ai rien chez moi. Mes lots que j’ai achetés à Taï ont tous été vendus par la mairie. De même que ma plantation d’hévéa. Avec un tel constat, que vais-je faire en Côte d’Ivoire », se demande Yéhoué Jean-Baptiste. « Je veux bien rentrer au pays. Je voudrais demander au Président de la République de régler le problème de forêt et de mettre fin aux arrestations arbitraires. J’ai perdu mon géniteur dans cette crise et depuis plus de 11 ans je n’ai aucune nouvelle de ma seule sœur qui est mariée au Burkina Faso. Ma sœur me manque mais …Nous sommes déjà traumatisés par la crise et si on doit retourner vivre les mêmes choses, c’est vraiment difficile », interpelle-t-il.

Si Jean-Baptiste Yéhoué a bien l’envie de rentrer, ce n’est pas le cas de Djè Annick. « Je n’ai aucune envie de retourner en Côte d’Ivoire parce que de la manière, ils ont tué chez moi me fait très mal. (Sanglots) Mon premier village n’existe que de nom (Guitrozon). Mes parents sont tous morts. Je vais voir qui, je vais vivre avec qui ? On sait que les conditions de vie sont difficiles mais il vaut mieux rester ici. Je ne veux pas que des hommes qui ont tué mes parents me gouvernent. Rester ici est mieux », soutient-elle. Comme elle, Tra Lou Henriette n’envisage pas rentrer au pays. «  Je ne suis pas prête à rentrer au pays car tout ce que nous entendons ici ne nous convainc pas. En Côte d’Ivoire, les gens sont armés. Les armes circulent partout. Les braquages et autres actes d’insécurité sont monnaie courante. Je veux qu’on désarme tous ceux qui possèdent des armes. Sans ça, je n’ai aucune assurance pour retourner chez moi », martèle-t-elle.

« Je veux retourner mais comment faire une fois à Bloléquin. J’avais mon permis de conduire mais je l’ai perdu dans la crise. Si une fois chez moi, le gouvernement peut m’aider à avoir mon nouveau permis de conduire, je retourne tout de suite. Sinon, je ne sais pas comment je vais nourrir ma famille une fois là-bas », plaide pour sa part Doué Patrice.

Olivier Dan, envoyé spécial au Libéria

Source : rédaction PôleAfrique.info

 

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