« Riposter et se reconstruire après les violences », c’est le thème retenu cette année pour les 16 jours d’activisme contre la violence basée sur le genre. Cette campagne mondiale lancée ce lundi 25 novembre 2024 a pour principal objectif de plaider en faveur de la prévention et de l’éradication de la violence contre les femmes et les filles dans toutes ses manifestations. Hami Traoré, activiste et écrivaine, fait un état des lieux de la lutte en Côte d’Ivoire et des propositions au micro de 7info.
Après toutes ces années de lutte contre les violences basées sur le genre, pensez-vous qu’il y a une évolution ?
En toute honnêteté, je trouve qu’il y a eu des avancées dans la lutte. Par exemple, il y a eu des lois qui ont été adoptées pour protéger les femmes contre les violences basées sur le genre. Il s’agit notamment de la loi contre les violences faites aux femmes et la loi sur la protection de la femme contre les violences domestiques. En plus, avec l’avènement des réseaux sociaux les cas de VBG sont de plus en plus dénoncés. Cela veut dire que le mur du silence est en train de se briser.
Dans le cadre de cette lutte, des plateformes multisectorielles de lutte contre les VBG ont été installées dans les complexes socio-éducatifs, des bureaux d’accueil genre ont été ouverts dans les commissariats et postes de police. Au nombre des interventions on note le renforcement de capacités des acteurs du secteur de la sécurité, de la santé, du social sur la question des VBG. Les leaders communautaires et guides religieux ont également été formés et se sont engagés à s’impliquer dans cette lutte. Mais en dépit de tous ces nombreux efforts, je pense que beaucoup reste encore à faire.
Quelles sont les statistiques que vous avez en matière de violences basées sur le genre en Côte d’Ivoire ?
Sur le terrain, le Programme national de lutte contre les violences basées sur le genre fait la veille pour prévenir et dénoncer. Ainsi, 8 782 cas de VBG ont été ainsi rapportés et pris en charge en 2023.
Dans le détail, on note 1 067 cas de viol, 6 717 cas de violences domestiques. 3 283 cas de violences ont été perpétrés sur des enfants de moins de dix-huit ans, 154 cas de VBG sur les personnes en situation de handicap et 445 cas sur mineurs de moins de cinq ans.
Vous estimez que beaucoup reste à faire dans la lutte contre les VBG. A quel niveau l’Etat doit-il agir pour améliorer la situation ?
Aujourd’hui on a l’impression que quand on finit de lutter contre une violence, il y a une autre violence qui se manifeste. Par exemple en Côte d’Ivoire, le terme « féminicide » n’est pas spécifiquement inscrit dans le Code pénal en tant que délit distinct. En 2019, un projet de loi visant à criminaliser spécifiquement le féminicide a été proposé par des associations et des militants des droits des femmes, mais il n’a pas encore été formellement adopté par le gouvernement. Les cas de femmes qui meurent sous les coups de leurs conjoints ont explosé ces dernières années. Faut-il attendre des décès pour qu’on réagisse ? Je pense également qu’il faut mettre les survivantes au cœur de la lutte contre les VBG, qu’elles ne soient pas utilisées juste pour faire des témoignages.
L’Etat de Côte d’Ivoire doit aller encore plus loin en matière de subventions. Jusqu’à présent il n’y a pas de subventions concernant les séquelles liées aux mutilations génitales féminines. Pour une chirurgie réparatrice, l’assurance vous facture comme une chirurgie esthétique. Dans les cliniques privées la chirurgie réparatrice coûte environ 600.000FCFA, dans le public c’est facturé à près de 300.000 FCFA. Combien de femmes en milieu rural vont avoir ces sommes là et les utiliser pour une chirurgie réparatrice, alors qu’elles ont leurs familles à gérer ? C’est ça la vraie question.
Quelles sont vos propositions pour faire bouger les lignes ?
Dans un premier temps, je proposerais de faciliter le processus de dépôt de plainte, de mettre en place suffisamment de centres de prise en charge des victimes. Mais en plus, accentuer la sensibilisation de masse et de proximité auprès des leaders communautaires, des guides religieux, des associations de femmes et de jeunes. Et enfin, intégrer des pools de psychologues sur chaque projet de mise en œuvre, dans l’optique d’un meilleur cheminement psychologique des victimes des VBG.
Propos recueillis par Maria Kessé