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Adama Touré, Président de la Coordination nationale des gares routières de Côte d’Ivoire : « Nous sommes dans une léthargie indescriptible »

Mis à jour le 8 mai 2021
Publié le 30/04/2021 à 8:00 , ,

À la gare d’Adjamé, les cars tanguent dangereusement sur des voies délabrées, et les passagers doivent parfois dire adieu à leurs souliers tant la boue règne en maître. Minée par une insalubrité persistante, un État absent et des luttes intestines, la plus grande gare routière de Côte d’Ivoire va mal. Adama Touré, Président de la Coordination nationale des gares routières de Côte d’Ivoire (CNGR-CI), tire la sonnette d’alarme. Entretien.

Depuis combien de temps dirigez-vous cette gare ?

C’est moi qui ai eu la chance de créer cette gare routière en 2007. Elle a beaucoup évolué. Quand on a commencé, il n’y avait pas beaucoup de monde. Aujourd’hui, il n’y a pas un mètre carré de libre. Elle est prise d’assaut par les acteurs du transport routier. D’après les statuts de la société d’État qui fait les transports de bus, nous transportons trois millions de personnes par jour.

Quel est le rôle de la Coordination nationale des gares routières de Côte d’Ivoire (Cngr-CI) au sein de la gare ?

Nous faisons respecter les ordres de passage entre transporteurs. Sinon, le plus fort chargerait après le plus faible. Nous mettons nos employés sur les lignes, ils arraisonnent les véhicules et les mettent en file indienne, et surveillent la sécurité des passagers. Il y a un système de cotisations, mais qui n’est pas obligatoire. Les transporteurs qui veulent participer à la vie de la coordination se manifestent. Mais nous n’obligeons personne à cotiser le moindre centime.

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Qu’en est-il des activités d’entretien ? 

Nous faisons ce que nous pouvons mais ça, ce n’est pas de notre ressort. Nous nous battons tout le temps auprès du ministère de la salubrité pour recevoir des bacs à ordures, pour que des agents de propreté viennent, mais ils refusent très souvent de venir travailler ici, parce qu’ils ne nettoient que le bitume, et la gare routière n’est pas goudronnée. Pourtant, quand trois millions de personnes viennent à un endroit, l’Etat à l’obligation de rendre cet endroit-là correct afin d’éviter les pandémies, les maladies et tout ce qui peut s’en suivre. Mais ce n’est pas le cas.

Quel est l’impact du délabrement de la gare sur les activités économiques ?

Si on pouvait circuler facilement dans la gare, les cars ne s’arrêteraient pas aux abords des routes pour déposer les passagers. Mais comme il n’y a pas de route, ils s’arrêtent à l’extérieur pour charger, décharger, et cela crée un embouteillage insupportable. Quand on demande à un taximan de venir à Adjamé, il ne vient pas, parce qu’il va y passer la journée. Économiquement, c’est un vrai bémol.

 

« Quand trois millions de personnes viennent à un endroit, l’Etat a l’obligation de rendre cet endroit là correct afin d’éviter les pandémies, les maladies et tout ce qui peut s’en suivre. Mais ce n’est pas le cas. »

 

L’Etat ne vous aide pas ? 

Nous payons des taxes à plus de 300 milliards de FCFA par an, rien ne nous est reversé, aucun centime. Nous sommes dans une léthargie indescriptible. Nous ne sommes pas responsables de l’insalubrité que nous vivons ici. Quand on connaît le prix du bitume, je ne vois pas quel transporteur aura une manne financière suffisamment importante pour investir dans du bitume pour la gare routière. L’Etat ivoirien nous a promis une gare routière flambant neuve à l’emplacement de l’ancienne casse d’Adjamé. Elle n’a jamais vu le jour.

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Vous parlez du projet d’une nouvelle gare… Selon vous, il n’y a plus rien à faire pour sauver celle-ci ?

Non, pas forcément. Lorsque l’Etat a décidé de faire cette nouvelle gare avec un budget de 42 milliards FCFA, où chaque enclos coûterait 25 à 30 millions FCFA, nous leur avons dit qu’il serait difficile pour nous de financer ce montant. Nous leur avons conseillé de venir plutôt construire des infrastructures ici, où nous sommes bien installés. Et d’installer un poste de sapeur pompiers, et un commissariat de police. Mais on préfère nous faire des promesses faramineuses, en essayant de nous asphyxier économiquement.

Une association, l’ONG Ecotransport, a récemment été créée par des transporteurs de la gare. Ces derniers se plaignent de leurs conditions de travail. Quelles relations entretenez-vous avec eux ?

Ils ne sont pas venus vers nous. Et en réalité, ils se sont créés contre nous. Alors qu’on leur a donné de la place, on leur a permis de s’installer. Ecotransport ce n’est qu’un syndicat, comme les trois autres syndicats du milieu. Ils se sont auto-proclamés responsables de la gare routière, en commençant à habiller des jeunes qu’ils ont trouvés je ne sais où, en leur donnant des chasubles…

Vous avez le sentiment d’avoir perdu le contrôle de votre gare ?

Pas du tout. Comment voulez-vous qu’on perde le contrôle ? La loi est là. Moi je comprends leur réaction, de créer une ONG, parce que l’Etat ne fait pas ce que nous souhaitons. Mais cela devrait venir en appoint de notre lutte. Ça n’a pas de sens de s’opposer à ceux qui vous défendent. S’ils veulent s’affranchir de la coordination des gares routières, qu’ils se trouvent un local et créent leur espace.

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Mais vous comprenez que les transporteurs puissent avoir l’impression que la coordination ne les aide pas ?

Oui, on est toujours embêtés par les transporteurs… il y a quelques jours nous étions en réunion parce que les transporteurs se plaignent. Malgré la léthargie et l’état de déliquescence de la gare routière, les impôts viennent encore dans cette gare boueuse, nous demander de payer des taxes sur nos installations. Mais quelles installations avons-nous ? Comment peut-on demander à des gens qui travaillent dans la boue de payer des réajustements d’impôts ? Avec la Covid-19 nous avons roulé à perte pendant une année entière avec la diminution du nombre de passagers dans nos véhicules. L’Etat a été obligé d’aider quelques grandes compagnies de transport. Et maintenant, on demande aux mêmes compagnies de faire un réajustement, alors qu’elles n’ont même pas fini de rembourser l’aide que l’Etat leur a accordé.

 

« Comment peut-on demander à des gens qui travaillent dans la boue de payer des réajustements d’impôts ? »

 

Que vous reste-t-il comme levier d’action ?

À notre échelle nous pouvons faire beaucoup de choses. Si on arrête de travailler aujourd’hui, la population se soulève contre le pouvoir. Vu le travail qu’a réalisé Alassane Ouattara par rapport aux voiries, nous sommes un peu réticents à agir, car il faut reconnaître qu’il n’y avait pas de routes en Côte d’Ivoire. Ça nous retient, mais on ne va pas tenir longtemps quand on voit l’état dans lequel nous travaillons. Nous sommes livrés à nous-mêmes.

 

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