Quand Ouattara fait de la politique, ça déménage! Combien de fois n’a -t-on entendu cette docte affirmation : « Le Président Ouattara est un économiste de haut vol mais pas un politique »? Le Président de la République a opposé, dimanche, un démenti cinglant à cette affirmation, lors de son discours de clôture du congrès du RDR. Un modèle de mouvement politique, exécuté en application de tout ce que la science du pouvoir connaît de ruse et de finesse.
C’est au pied du mur que l’on voit les politiques. Et, au pied du mur, le Président l’était. Trop de fronts ouverts à la fois. Il y a celui, évident, de l’opposition qui ne le ménage pas et appelle tous les jours à la libération de Laurent Gbagbo. Et puis, il y a la crise avec le PDCI sur le thème de l’alternance en 2020. Et puis la crise avec Guillaume Soro -qui a boycotté le congrès de son parti- sur le thème des mutineries. Il y a ensuite, la grogne et la déception des militants du RDR. Enfin, la grogne sociale et la
déception de ses électeurs.
Ouattara n’avait donc d’autre choix que le mouvement pour sortir de l’impasse. Un mouvement en forme de « blitz krieg « : discrétion, surprise, rapidité, et voilà les acteurs et commentateurs pris de court, sonnés. Jugeons plutôt : il a décliné l’offre, tenue pour acquise, que lui faisaient les militants et l’appareil, de reprendre la tête du parti. À la place il a annoncé deux nominations. Deux femmes, Henriette Dagri Diabate et Kandia Camara, à la Présidence et au Secrétariat Général du parti, au nez et à la barbe d’éminents cadres masculins que tout le monde attendait là. Respectées de tous dans leur parti, la Grande Chancelière et la Ministre de l’Education Nationale, politiques jusqu’au bout des ongles, sont incontestables. Se faisant, le joueur d’échec réalise d’une pierre plusieurs coups. La promotion de ces deux femmes, piliers historiques du RDR, personne ne peut sérieusement la remettre en question. Le choc des ambitions au sein du parti n’aura qu’à attendre. Celui-ci retrouve, au moins en façade, l’image d’unité qu’il avait perdue. Par ailleurs, avec ces nominations, le Président peut s’enorgueillir à juste titre de mener une politique de promotion des femmes dans la société ivoirienne, digne de ce nom. Aucun autre parti n’offre de telles postions de pouvoir à la gent féminine. Enfin, subtilement, ADO, non seulement réaffirme sa place de Président de tous les ivoiriens en refusant de reprendre une fonction exécutive au sein d’un parti, mail il esquisse un léger mouvement de recul comme s’il voulait signifier à ceux qui le poussent à faire un troisième mandat qu’il n’en sera rien. Place à la relève, il l’a répété dans son discours.
Autre dossier brûlant, les vives tensions avec l’allier PDCI ont fait craindre une rupture entre les deux principaux partis du RHDP. On disait même que les deux vieux leaders, ADO et Bedié, ne se parlaient plus depuis des semaines. En quelques mot, sourire aux lèvres, il a fait retomber le soufflé, affirmant et répétant que malgré tout ce qui s’est dit, « ils sont ensemble » avec Bédié. Il a rappelé, pour expliquer que les différents seraient toujours surmontés entre eux, qu’il n’oublierait jamais qu’au plus fort de la crise post-électorale en 2010, Bedié avait refusé de rejoindre Daoukro, pour rester avec lui au Golf. Il s’est voulu rassurant en affirmant que « le RHDP était au pouvoir pour longtemps » (sous-entendant qu’avec son aîné ils feraient ce qu’il faut pour éviter la rupture).
Enfin, le cas Soro. Le Président de l’Assemblée Nationale avait cru marquer des points en publiant, le jour de l’ouverture du congrès, un communiqué où il annonçait qu’il ne s’y rendrait pas. Remous chez les militants perturbés par les divisions internes. Mais annonce oubliée aussi vite que publiée. Le Président de la République a superbement ignoré celui qu’on peut désormais qualifié d’ancien allié, tant la rupture semble consommée. Son nom n’a même pas été prononcé une seule fois par Alassane Ouattara. Au regard des annonces faites, la bouderie de Guillaume Soro est apparue comme un non événement aux yeux de tous, à Treicheville. Circulez, il n’y a rien à voir! Ni à dire. Le PAN a du se sentir bien seul dimanche soir.
Beaucoup de militants et même de cadres du parti étaient entrés au congrès en état de déprime avancée étant données les nombreux nuages qui s’amoncelaient au dessus du RDR et du pouvoir. Sidérés au sens propres du terme, ils en sont sortis changés, c’était visible, manifestement regonflés et le sourire aux lèvres. La surprise en politique est une arme fatale. Encore faut-il la dégainer au bon moment. Le Président ADO a fait la démonstration de sa maîtrise du temps politique. Il a dit à tous, partisans et adversaires, qu’en Côte d’Ivoire, après les remous, les questions, les palabres, c’est bien lui le maître des horloges. Chapeau l’artiste! Il s’est créé les conditions d’un nouveau départ. Mais attention, l’air frais retrouvé au sommet de l’Etat peut vite se diluer. Surtout dans les divisions. On attend donc avec impatience le 17 septembre prochain. Henri Konan Bédié devrait prononcer un discours pour l’an 3 de l’appel de Daoukro.
Philippe Di Nacera
Directeur de la publication