« Il ne reste que la rencontre entre Ouattara et Gbagbo », ou, « c’est un appel à Bédié, Ado et Gbagbo », ou encore, « c’est la preuve que l’échec de la réconciliation est du fait des politiques qui maintiennent leurs partisans dans des postures de défiance ». De la rencontre Guillaume Soro et Blé Goudé, les appréciations sont multiples et diverses en Côte d’Ivoire.
La visite était attendue, et elle a finalement eu lieu. Le dimanche 24 novembre, Guillaume Soro et Charles Blé Goudé se sont rencontrés. L’ex-président de l’Assemblée nationale qui l’a souhaité, a effectué le déplacement de la Haye en Hollande pour voir et échanger avec son « ami » Charles Blé Goudé qui y est en résidence surveillée depuis son acquittement par la Cour pénale internationale (CPI). Dans leur pays la Côte d’Ivoire, cette rencontre suscite des commentaires. Des politiques aux acteurs de la société civile, chacun porte un regard particulier sur cette rencontre.
« La rencontre entre Soro et Blé est historique en ce sens qu’elle ouvre la voie à une paix des braves. Cette rencontre est un appel aux trois ténors de la République que sont Bédié, Ado et Gbagbo à refermer cette page triste des affrontements politiques qu’ils ont provoquée. Blé et Soro veulent leur montrer une nouvelle façon de faire la politique, celle de laisser de côté les querelles d’hier et regarder l’avenir avec espoir », commente pour 7info.ci, Mamadou Traoré, un proche de l’ex-président de l’Assemblée nationale.
Au Front populaire ivoirien (FPI) d’Affi N’Guessan, l’on salue la rencontre. Cependant, cette formation politique y voit l’expression de la volonté des acteurs politiques de manipuler à souhait la réconciliation nationale. « On constate qu’en réalité, il suffit que des leaders politiques se réconcilient pour que leurs partisans en fassent autant. On peut donc en déduire que si la Côte d’Ivoire n’est toujours pas réconciliée, c’est en raison de ce que certains leaders politiques prennent en otage leurs partisans en les maintenant dans des postures de défiance, de belligérance et de suspicions réciproques », analyse Jean Bonin Kouadio, Secrétaire général adjoint du FPI chargé de la communication.
A La Haye, Guillaume Soro et Charles Blé Goudé ont indiqué que leurs retrouvailles s’inscrivent dans la dynamique de la recherche de la paix dans l’intérêt du peuple ivoirien. Ils ont à cet effet fait savoir leur engagement « à œuvrer pour une réconciliation sincère et non propagandiste en Côte d’Ivoire ». Pour André Silver Konan, journaliste écrivain, cette rencontre Soro-Blé Goudé précédée de celle entre Bédié et Gbagbo rendra les choses difficiles pour la Cour pénale internationale (CPI) dans la prise de décision finale concernant Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé.
« (…) la CPI est prise à son propre piège de liberté conditionnelle (…). Après Bédié-Gbagbo et Blé Goudé-Soro, jadis pires ennemis, il sera difficile à la CPI de condamner Blé et Gbagbo et indiquer qu’ils doivent retourner en prison. Aucun communicateur au monde ne peut défendre un tel dossier et je ne vois pas comment la CPI pourra convaincre une bonne partie de la planète, sans paraître du moins ridicule, sinon discréditée. Les tergiversations de la CPI et son refus calculé de poursuivre les deux camps, ont noyé son propre dossier. Les juges n’auront d’autre choix que de les libérer. Quand ? C’est une autre affaire ? Pourront-ils revenir en Côte d’Ivoire ? C’est une autre affaire supplémentaire », analyse-t-il.
Après Blé Goudé, Guillaume Soro pourrait-il aller plus loin et rencontrer également les présidents Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara pour une paix véritable ? « Un pas entre Soro et Gbagbo ? Oui, ce pas est en cours. Un pas entre Soro et Ouattara ? Ce serait l’idéal. Mais demander à Soro de rejoindre le RHDP pour sceller la réconciliation avec Ouattara n’est pas envisageable », tranche l’ancien Directeur Général de l’INFS.
Dr Geoffroy-Julien Kouao est écrivain et analyste politique. « Il ne faut pas être euphorique après cette rencontre » recommande-il. « Lorsque deux hommes politiques se rencontrent, ils ne peuvent que parler de politique et faire de la politique. C’est ce que Soro et Blé ont fait. Ils ont certainement questionné leur antagonisme passé, leur réconciliation aujourd’hui et leur adversité future dans le cadre d’une compétition politique apaisée. Cette rencontre s’est faite autour d’une table ronde, la symbolique est forte et le communiqué final le mentionne bien, l’invitation à une concertation nationale. Evidemment, tout ceci s’inscrit dans des stratégies politiques à l’approche de 2020. Hier c’était Gbagbo qui recevait Bédié, aujourd’hui, Soro et Blé s’assoient ensemble, il ne reste que la rencontre entre Ouattara et Gbagbo », analyse pour 7info.ci, Geoffroy-Julien Kouao.
Toutefois, selon l’expert ivoirien, « Il ne faut pas être euphorique ». A l’en croire, même si le geste de La Haye est à saluer, « la classe politique nationale est rarement capable du meilleur. » Il appelle donc à la vigilance pour ne pas que la politique politicienne se fasse au détriment de la paix sociale et la prospérité économique.
Richard Yasseu
7info.ci