Le moins que l’on puisse dire c’est qu’il n’y a pas eu, contrairement à ce qu’on aurait pu croire, de parallélisme dans le ton lors des discours de Ouattara et Bédié à une semaine d’intervalle.
Le premier avait prononcé, le dimanche 10 septembre, le discours de clôture du 3ème congrès ordinaire du RDR. Il avait surpris tout le monde par les nominations, incontestables à l’intérieur de son parti, à la Présidence et au Secrétariat General, d’Henriette Dagri Diabate et Kandia Camara, avec le Premier Ministre Gon Coulibaly à la 1ère vice-Presidence. Un nouvel état major, parfaitement « PDCI compatible », qui a lui seul était un message à l’endroit de ses partenaires de la majorité. Ajoutant les mots aux gestes, il avait fait assaut de bonnes paroles à l’égard du Sphynx de Daoukro, lui rendant ostensiblement hommage, réaffirmant avec force son attachement à l’union des Houphouëtistes, le RHDP, et proposant la fusion des deux grands partis avant la fin de l’année. Mais il n’avais alors pas abordé la question qui fâche au sein du RHDP, celle de l’alternance en 2020. Voulant d’abord s’assurer que le climat de confiance serait rétabli au sein du RHDP, il avait reporté la question qui fâche à plus tard.
À Daoukro, ce dimanche, on célébrait dans l’allégresse et l’unanimisme, le 3eme anniversaire de l’appel de Daoukro, ce discours au cours duquel Henri Konan Bédié avait renoncé en 2014 à une candidature du PDCI à l’élection présidentielle de 2015, au profit du Président sortant, Alassane Ouattara. Il avait émis une condition à ce geste politique fort. Le prochain candidat RHDP à la présidentielle de 2020 devrait être issu des rangs du PDCI. Le banc et l’arrière banc du PDCI, du RDR et du RHDP avaient fait le déplacement pour l’occasion. La nouvelle Présidente du RDR a y relayé les paroles apaisantes du Président Ouattara en faveur de « l’union, de la stabilité et de la paix ». Le parrain de la cérémonie, Hamed Bakayoko, a fait de meme : hommage à Bédié, promotion de l’union dans le RHDP.
Et puis, le Président du PDCI a parlé. Et lui aussi a surpris… Par sa fermeté. Rappelant les termes de l’appel de Daoukro, il a, pour ainsi dire, mis les pieds dans le plat de l’alternance. En substance, le President Bédié a dit ceci : j’ai fait ma part du contrat, j’attends de mes partenaires du RDR qu’ils fassent de même, c’est à dire s’inclinent devant la bannière PDCI en 2020. « Il faut arrêter les débats stériles sur 2020 et laisser Alassane Ouattara travailler », comme si, l’alternance n’étant plus un débat, chacun pouvait retourner à ses occupations. Avec la nette impression que pour Henri Konan Bédié, l’équation ainsi posée est à prendre ou à laisser. L’exaltation de la nécessité de l’union du RHDP qui a bien entouré le message, n’est apparue que secondaire. Un discours plus ferme qu’attendu, donc, auquel le RDR devra trouver une réponse rapide, sur la question, la fameuse alternance en 2020, qui braque le PDCI et fait courir des risques à la pérennité de la majorité.
Dure et transgressif. Tel est l’animal politique Bédié qui n’est pas souvent où on l’attend. Si au congrès du RDR, le nom de Guillaume Soro, le Président de l’Assemblée Nationale, ostensiblement absent, n’avait pas été prononcé, singulièrement par Alassane Ouattara, il n’en a pas été de même à Daoukro.
Henri Konan Bédié l’a cité deux fois dans un discours de 20 minutes, lui redonnant toute sa place, et avec lui, son mouvement des soroistes, au coeur du système. Un adoubement de première classe. Et un petit croche-pied à son partenaire et « petit frère », le Président de la République. Sans être présent, mais officiellement représenté par l’ancienne Ministre de la Communication, Affoussiata Bamba Lamine, Guillaume Soro a fait, en quelques sortes, sa rentrée politique, a là faveurs des mots plutôt avenants d’Henri Konan Bédié.
La séquence politique que nous venons de vivre -congrès du RDR, célébration de l’appel de Daoukro- nous donne quelques enseignements sur le climat actuel :
1- Le RDR tient à l’alliance RHDP, veut montrer sa bonne volonté, donne des gages au PDCI et veut discuter. Mais on ne sait pas encore s’il acceptera de céder la place en 2020.
2- Au PDCI, on tient aussi à l’alliance mais pas à n’importe quel prix. La grogne n’est pas retombée. L’alternance en 2020 est un condition indépassable pour laquelle on attend une réponse claire et rapide du RDR.
3- La nouvelle Presidente du RDR, Henriette Dagri Diabaté, respectée de tous dans son parti et au PDCI, est sûrement le bon choix, voire le seul, pour décrisper, apaiser et trouver un accord entre les partenaires du RHDP.
Mais comme elle l’a elle même pressenti dans son discours à Daoukro, elle aura du pain sur la planche pour réussir ce qui ressemble de plus en plus à un tour de force.
Philippe Di Nacera
Directeur de la publication
