Le 6 novembre 2004, le camp militaire français de Bouaké en Côte d’Ivoire est bombardé. Neuf soldats français et un civil américain trouvent la mort. À l’époque, trois anciens ministres français Michèle Alliot-Marie, Dominique de Villepin et Michel Bernier sont accusés d’avoir permis la libération des mercenaires soupçonnés d’être les auteurs de l’attaque. Mais, après une longue procédure judiciaire, la Cour de justice de la République (CJR) tranche et décide de ne pas les poursuivre. Rebondissement imprévu dans l’affaire. Les trois anciens ministres sont cités à comparaître le 17 mars prochain, accusés par les avocats des familles victimes d’avoir empêché la justice de lever le voile sur les véritables commanditaires de l’attaque.
Survenue le 6 novembre 2004 dans une Côte d’Ivoire secouée par une crise militaro-politique qui a éclaté deux ans plus tôt, la responsabilité de l’attaque est directement imputée à l’armée ivoirienne et Laurent Gbagbo plus précisément, dont le pouvoir français souhaite le départ. Paris riposte alors. Dans la foulée, elle détruit la flotte militaire de l’armée loyaliste qui soutient Laurent Gbagbo. Au terme d’une instruction parsemée de zones d’ombres, la juge Sabine Kheris réclame des poursuites judiciaires à l’encontre de Michèle Alliot-Marie, Dominique de Villepin et Michel Bernier, (alors ministres de la Défense, de l’Intérieur et des Affaires étrangères), qu’elle estime être à l’origine de la libération des mercenaires.
Le ministre de l’Intérieur Dominique de Villepin déclare « ne jamais avoir été saisi de cette affaire ». La ministre de la Défense Michèle Alliot-Marie, quant à elle, estime qu’aucune base légale n’existe pour les arrêter. La commission de requête de la CJR, seule compétente pour juger les ministres en exercice, déboute finalement la juge Kheris, estimant « qu’aucune preuve tangible ne montre le rôle actif des ministres dans l’affaire ». Pour cette commission, « les faits d’entrave à la manifestation de la vérité, de non-dénonciation de crime et recel de malfaiteurs » ne sont pas constitués. Aussi, elle considère que l’inaction des trois ministres ne suffit pas à caractériser l’infraction de recel.
« J’ai reçu instruction du quai d’Orsay, du ministre Michel Barnier, de les libérer immédiatement »
Seulement, l’ « inaction » des trois ministres français continue d’intriguer Maître Balan, l’un des avocats des familles victimes. Selon lui et des révélations récentes du média Le Parisien, les trois ministres auraient joué des coudes pour faire libérer les trois pilotes mercenaires, dont un Biélorusse et deux copilotes Ivoiriens. Par deux fois, la France serait parvenue à appréhender les mercenaires incriminés avant de les relâcher. Une première fois lorsque l’armée française a pris le contrôle de l’aéroport Félix Houphouët-Boigny : elle épingle alors une dizaine de personnes d’origine slave et les photographie avant de les remettre au consul de Russie.
« Ordre m’a été donné de les libérer », se justifiera le général Poncet à la tête de l’opération Licorne. « J’ai reçu instruction du quai d’Orsay, du ministre Michel Barnier, de les libérer immédiatement », expliquera de son côté l’ambassadeur de France en Côte d’Ivoire de l’époque, Gildas Le Lidec. La deuxième fois, quelques jours plus tard à Lomé : les autorités togolaises arrêtent huit ressortissants biélorusses en provenance de Côte d’Ivoire, les mettent à disposition de Paris mais la direction du renseignement militaire ne réagit pas et, à la surprise générale, la France les relâche.
La France accusée d’avoir étouffé l’affaire
La question de savoir qui a véritablement émis l’ordre de libérer les mercenaires demeure. Dans un livre à paraître intitulé « Crimes sans châtiment », Maître Jean Balan accuse les trois anciens ministres français d’avoir étouffé l’affaire. Dans une interview accordée à Radio France International le jeudi 30 janvier, Jean Balan explique que l’Etat français aurait organisé le bombardement du camp militaire français dans le but de renverser Laurent Gbagbo. Selon lui, « les autorités françaises savaient que ce n’était pas Laurent Gbagbo qui avait donné l’ordre ». « Ce n’est pas moi qui le dis, c’est la juge d’instruction (…) » rebondit-il, ajoutant que les autorités françaises « ont fait en sorte que l’enquête judiciaire ne puisse pas prospérer depuis 2004 ».
Ce 17 mars 2020, Michèle Alliot-Marie, Dominique de Villepin et Michel Barnier comparaîtront donc devant la barre comme témoins. Les trois pilotes quant à eux seront jugés lors du procès par contumace (en leur absence), par la cour d’assise.
Manuela Pokossy-Coulibaly