Nous avons le choix entre « Welcome Trump » et « Bye bye Obama ». Que choisissez-vous ? En raison des angoisses suscitées par l’arrivée de l’un, je préfère parler du départ de l’autre qui avait porté nos espoirs. Il est devenu Président américain mais son aura avait franchi les frontières de son pays. Les rêves ne connaissent ni limites ni frontières !
L’oncle John Lewis est fâché. Il n’est pas n’importe qui. Il était à Selma et sur d’autres fronts du combat des Noirs pour leurs droits civils. Il dit que Trump est illégitime. Il n’ira pas à son investiture.
Celui-ci lui répondra dans le style que nous lui connaissons : « Je m’en gnangne ! L’investiture aura lieu sans toi ! D’ailleurs reste chez toi en Géorgie. Tu oublies qu’on peut te remettre à ta place là-bas !» Celui qui croit que l’histoire a changé, on le remet en place, comme dirait le vieux de Ménékré.
Restons avec le Président sortant. Obama sonne un peu comme « Ô ba ma » qui pourrait se traduire par « Il n’est pas venu ». Nous devons nous pincer, lui-même avec nous, pour nous assurer de la réalité de son passage. Même s’il ne fut pas météorique, il a duré huit bonnes années, on se demande encore s’il est entré dans notre histoire.
« A kô a ba » : tu es parti et tu es venu. « Akwaba » : bonne arrivée. C’est cela qu’on dit chez nous. Le problème historique ici, c’est que les Noirs viennent de loin mais en même de nulle part. Ils étaient invisibles, selon un écrivain nommé R. Ellison. Entre présence et invisibilité, ils ont cherché leur chemin. Ils n’avaient déjà pas franchi les mers volontairement. Nul ne leur a souhaité la bonne arrivée. Sitôt arrivés, sitôt mis à la tâche ou dans les fers !
L’avènement d’Obama fut un événement retentissant mais pas une avancée historique. Les Noirs devaient payer leur outrecuidance d’avoir voulu s’émanciper de leur destin, celui qui fait que l’histoire leur colle à la peau et sur le dos. Il fallait qu’ils sachent qu’ils ne sont toujours rien et que l’histoire avance sans bouger, la fameuse « dynamique statique » de Hélé Béji.
Il a subi le sort de tous les marronnages, et nous avec lui. Esclaves refugiés dans des lieux inaccessibles mais devenus des sortes de prisons ! Esclaves repris et sanctionnés, Ce qu’on a appelé reconstruction après la guerre de sécession n’était rien d’autre que la déconstruction des acquis obtenus par les Noirs. Reprises en main dans le sud ressenties jusqu’au moment où nous interpelle le film Selma. Exode vers le nord et ses usines, en l’occurrence aujourd’hui vers Chicago.
Billie Holiday chantait les fruits étranges pendus aux arbres racistes du sud, voici un fruit étrange suspendu à l’arbre de Noël de la Maison Blanche et qui doit être rapidement décroché. D’ailleurs, a-t-elle été bien lavée de tous ses péchés avant d’y aménager ?
Si Billie vivait aujourd’hui, elle parlerait de fruits étranges fauchés dans les rues de leurs villes. Quand les rues remplacent les arbres, y a-t-il recul ou progrès ? Nous entendons dire « Black lives matter » (Les vies noires comptent). Elles comptent mais qui procède au comptage ? Ce qui est évident, dit-on, ne s’énonce pas. Si on le rappelle, c’est qu’un doute est venu miner les certitudes, c’est que la police et la justice reprennent du service. Elles sont les gardiennes d’un ordre qu’il faudra restaurer après une parenthèse noire.
Les Noirs américains ont montré leur capacité humaine en de nombreux domaines. En boxe avec Joe Louis et Ali, au tennis avec Arthur Ashe, en athlétisme avec Jesse Owens, Carl Lewis, au basket avec Bill Russell, Magic Johnson et Michael Jordan. Au moins, Obama ne risque pas le sort d’Owens et de Louis le bombardier noir qui ont fini dans une dèche honteuse. En musique, point n’est besoin de citer des noms. Ce domaine est dominé par eux. Cela crève les oreilles ! Ce qui semble faire défaut, c’est la capacité historique, celle qui permet de transformer son histoire.
En politique, ils ont investi la Maison Blanche après les décennies qu’y a passées Cecil Gaines le majordome. Il connaissait la Maison mais était conscient de ne pas être chez lui. Obama aurait pleuré en voyant le film. Un Président noir se trouvait là où il n’y avait que des Noirs pour servir. De Cecil à Barack, quelle évolution ! Deux dominés au cœur d’un pouvoir dominant ! Jadis confinés aux cuisines, ils occupaient maintenant le salon ovale ! Les Noirs viennent de très loin ! Ce fut une longue marche, depuis les Sénateurs Hiram Revels puis Edward Brooke, depuis MLK, le frère X, la candidate à la présidence Shirley Chisholm, et le frère Jesse Jackson etc.
Il est venu, ce fut une chance. Comme toutes les chances, il fallait la saisir. Il s’en va, c’est aussi une chance. Après la fête du sacre, il faut empêcher la défaite de la consécration !
Le départ d’Obama nous met en crise, du moins ceux qui ont crû en lui. Mais il nous amène à réfléchir. Il débouche sur une crise salutaire du messianisme dans lequel on s’en remet à un sauveur et démissionne donc en tant que citoyens. Il aurait demandé aux citoyens, dans son ultime discours de Chicago, là où tout commença, de croire en eux. C’est tout le piège de la représentation. Croire en soi mais s’en remettre à un autre ou à d’autres pour nous dire ce qu’il faut penser et pour agir en notre nom.
C’est donc un retour à la démocratie ! Nous revenons à un problème non réglé, les relations raciales doublées de la question de la pauvreté dans l’hyper richesse. Et les écailles nous tombent des yeux.
La démocratie est comparable à la pratique du vélo. Il faut pédaler en permanence sinon c’est la perte de vitesse et la chute. Il peut « trumpéter » et tempêter, les forces du progrès sont poussées à se réveiller. Elles le seront par les secousses qui arrivent et qu’il fera advenir.
Reprennent alors du poil de la bête et revêtent leurs anciennes armures, des chevaliers d’un temps qu’on croyait révolu : Al Sharpton, John Lewis, NAACP et bien d’autres. Ce qui est contesté, ce n’est pas la légalité de l’élection de Trump mais le fait qu’il ait choisi d’incarner des valeurs contraires à celles sur lesquelles l’Amérique a été bâtie : liberté, égalité, opportunité pour tous.
« Nuits debout ! » entend-on dire en France. Cela n’est pas suffisant pour nous qui venons du fond des cales de l’histoire. Pour nous, c’est « Vies debout ! », « Générations debout ! », « Siècles debout ! » Ne nous faisons pas d’illusion.
« Obamacare » (soins Obama) deviendra « Obama I don’t care » (Obama je m’en fous). Si on peut détricoter ce programme, c’est qu’il n’était pas entré dans la chair ni dans la conscience des Américains. C’est un simple tricot porté pendant quelques années et qui doit déchoir dans une machine à laver.
On a oublié la crise financière de 2008. Il ne l’aurait pas réglée, on aurait dénoncé son incompétence et non la cupidité du grand capital. Il l’a réglée. Il le regrettera. Ce grand capital se retournera contre lui en regagnant son conservatisme habituel.
Si Trump continue de cultiver son impopularité, on finira par regretter notre frère Obama. Mais cela servira à quoi ? Cela apportera quoi à la population ? « A kô ma, a ba ma » (Tu n’es pas parti, tu n’es pas venu). Nous ne pouvons même pas lui dire « bla n’dè » (à bientôt, reviens vite !). Il part pour de bon !
Cependant, nous devons dire un grand merci au Président Obama : « Obama mo ! » (Obama merci). Il ne nous a pas discrédités. Donnons-lui ce crédit. Si l’histoire ne retourne jamais à son point de départ, c’est grâce à des personnes comme lui. Le monde change tout en ne changeant pas ! Héraclite dit qu’on ne met jamais deux fois le pied dans une eau qui coule. Le pied est le même mais l’eau coule.
Obama a fini son mandat et son discours d’adieu par son habituel « Yes we can ». Les Africains lui répondent « Oui, nous avons la CAN !». Çà rime à quoi historiquement ?