Ça se passait ces trois derniers soirs à l’institut français d’Abidjan. Trois représentations, pour la première fois sur le continent africain, de l’œuvre magistrale et ample du compositeur Allemand, Carl Orff : Carmina Burana.
Rappelons que Carmina Burana est la mise en musique, en 1935, par le compositeur allemand, de poèmes profanes du 13ème siècle, écrits en latin médiéval, et découverts en 1803 dans une abbaye près de Munich. Des textes pour la plupart non religieux, très rares pour cette époque. Ils parlent d’amour, des saisons, de nature. Une œuvre profondément marquée par la culture européenne.
Mais quand le haut moyen âge européen rencontre l’Afrique contemporaine, c’est un bombardement d’émotions et de couleurs que l’on reçoit durant plus d’une heure.
Sous la baguette de la talentueuse cheffe d’orchestre allemande, Kerstin Behnke, venue à Abidjan tout spécialement pour l’événement, le chœur et l’orchestre ivoiriens, d’une qualité exceptionnelle, fonctionnent comme des horloges. L’œuvre de Carl Orff est parfaitement respectée. Il faut féliciter le Directeur musical, Fred Bagui Mankaye, et le chef d’orchestre, Fabrice Koffi, qui ont préparé, durant six mois, ces musiciens, dont on dit qu’ils sont de différents niveaux mais aptes à exécuter une œuvre aussi complexe. Il en va de même pour le chef de chœur, Guy-Constant Assoukrou. On mesure le travail et l’engagement de chacun lorsque l’on sait que Ia plupart des 40 choristes, des solistes et des 40 musiciens ne sont pas des professionnels. La performance est de taille. Il faut également remercier la Cheffe d’orchestre Kerstin Behnke, pour sa générosité. Ce n’était pas sans risque pour elle de s’engager dans un tel projet. Elle était manifestement heureuse d’être là et fière de la prestation de sa troupe éphémère.
Et puis, il y a la belle idée. Comme un supplément d’âme offert à l’œuvre. La touche africaine et contemporaine. Ici et là, un djembé, une kora, un balafon, prolongent agréablement de leurs sonorités reconnaissables entre toutes, une musique composée il y a plus de 80 ans. Il y a le décor, ensuite, coloré et chaleureux, avec les lumières, crues et vives. Les costumes des danseurs, africains, chatoyants, modernes, ne laissent aucun doute : l’histoire racontée sur l’avant- scène, à travers une chorégraphie de Hermann Nikoko, très contemporaine, est un conte africain dont la sage philosophie s’inspire des principaux textes chantés par le chœur. Les tableaux se succèdent. Musique, chants, danses sont en résonance. Le spectateur, tous les sens en éveil, est traversé d’émotions multiples.
Ce spectacle, monté, porté et mis en scène par Abass Zein, est un baume à l’âme. Ce libanais ivoirien sait comme personne mélanger les influences culturelles. Il sait également comme personne mobiliser les bonnes volontés : l’ambassadeur de France, Gilles Huberson et l’ambassadeur d’Allemagne, Michael Grau, se sont alliés pour réunir les conditions de la réussite. Un pool de mécènes, indispensable soutien de Abass Zein, a répondu présent. Le résultat est époustouflant. Quand le dialogue des cultures atteint ce niveau d’intention et de réalisation, c’est d’harmonie qu’il faut parler. Elle est possible et, durant ces trois soirées, elle a été visible. Le message est fort. Il est éminemment politique. Merci Abass d’avoir fait cette démonstration. Dans le monde, tel qu’il va aujourd’hui, cela fait du bien.
Philippe Di Nacera
Directeur de PoleAfrique.info