L’accession au pouvoir d’Etat uniquement par la voie démocratique et rien d’autre. Le président du Nigeria, Bola Tinubu y tient. Élu par ses pairs à la tête de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), il entend faire de cette vision sa priorité, le socle de son action. Le projet de création d’une force anti-coup d’Etat et anti-djihadiste sous-régionale annoncée début décembre 2022, va-t-il connaître un souffle nouveau sous sa gestion ?
« Nous n’allons plus tolérer les coups d’État successifs dans la région ! » Le dimanche 9 juillet 2023, à Bissau en Guinée-Bissau, à la 63e session de la conférence des chefs d’État de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qui l’a élu comme nouveau président de l’organisation, Bola Tinubu a fait cette déclaration. Le président du Nigeria prenait ainsi l’engagement de promouvoir l’accession au pouvoir d’Etat par les voies démocratiques. Et partant, combattre les coups d’Etat qui semblent devenir dernièrement un mode d’accession au pouvoir dans la sous-région ouest africaine.
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L’espace CEDEAO, il faut le rappeler, a enregistré plusieurs coups de force en deux ans. C’est d’abord le Mali avec le renversement de feu le président Ibrahim Boubacar Kéita, mi-août 2020. La Communauté internationale et principalement la CEDEAO étaient dans des échanges avec les militaires nouveaux dirigeants de Bamako, pour un retour rapide à l’ordre constitutionnel, quand un autre coup d’Etat a lieu fin mai 2021. C’est le deuxième coup en moins d’un an au Mali.
Début septembre 2021, c’est la Guinée qui enregistrait aussi l’intrusion des militaires dans la gestion du pouvoir d’Etat. Le Lieutenant-colonel Mamady Doumbouya et ses hommes des forces spéciales venaient de faire tomber le président Alpha Condé. Là encore, alors que les chefs d’Etat ouest-africains s’expliquaient difficilement ce qui arrivait dans leur espace, le Burkina Faso voisin subit un putsch. Le Lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba venait de renverser le président Roch Marc Christian Kaboré, courant janvier 2022, avant de se faire renverser lui aussi fin septembre 2022 par le capitaine Ibrahim Traoré.
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Le phénomène inquiète la CEDEAO. Réunis à Abuja au Nigeria le 4 décembre 2022, les dirigeants ouest africains décident d’un double projet de création de forces armées anti coup d’État et de lutte contre le terrorisme. Mais après une réunion des chefs d’Etat-major des armées de la sous-région le 19 décembre 2022 à Bissau, c’est le silence sur le projet. Ce jusqu’au 9 juillet 2023 avec la prise de position du président Bola Tinubu.
L’arrivée à la tête de l’organisation sous-régionale du Nigérian, va-t-elle réveiller le dossier ?
« La force peut voir le jour, mais pas les moyens de sa politique. Elle peut voir le jour de façon nominale. Il existe déjà une force d’attente au niveau de l’Union africaine qui n’a jamais été opérationnelle à la vérité. Cette force peut avoir le jour sur le papier, mais sur le plan opérationnel, ce sera compliqué parce que cela réclamerait des combats pour lesquels je ne pense pas que certains pays soient disposés. À mon avis, c’est un signal fort, c’est symbolique. C’est une pression supplémentaire sur les putschistes », analyse pour 7info, Dr Eddie Guipié, enseignant-chercheur en Sciences politiques à l’Université Péléforo Gon Coulibaly de Korhogo dans le Nord de la Côte d’Ivoire.
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Parmi ces coups d’Etat dernièrement enregistrés dans l’espace ouest africain, un cas spécialement avait été prévenu. Des acteurs de la société civile avaient avancé la question de la mauvaise gouvernance pour justifier les bruits de bottes qui ont emporté l’un des présidents. Sous la gestion de Bola Tinubu, la CEDEAO sera-t-elle regardant sur ce volet pour prévenir des putschs ?
« Cela pourrait être difficile d’un point de vue des relations internationales de pouvoir évaluer ou situer à quel moment on peut parler de bonne ou mauvaise gouvernance, au regard du respect du schéma de la souveraineté. Il sera difficile de voir sur quel indicateur s’appuyer pour évaluer cet aspect. Mais d’un point de vue normatif, c’est possible. On pourrait avoir une charte renforcée de la CEDEAO en ajoutant de nouvelles clauses dans l’acte constitutif de l’organisation. Par exemple qu’il faille faire deux mandats non-renouvelables et s’en tenir à ça. Ce serait des moyens intéressants qui vont éviter l’immixtion des militaires dans les affaires publiques. Mais les cas burkinabés et maliens sont là pour invalider cette hypothèse. Car en l’espèce, c’est la faiblesse de la gouvernance sécuritaire qui a été reprochée aux présidents IBK et Roch Marc Christian Kaboré. C’est cet argument qui a servi de justification à l’action militaire. Mais là, c’est difficile à évaluer, et ça donne toute la légitimité peut-être à la force anti-terroriste de la CEDEAO pour pouvoir venir en aide aux pouvoirs qui sont mis en difficulté et éviter que les militaires eux-mêmes ne prennent leurs responsabilités », analyse Dr Eddie Guipié.
Richard Yasseu