La politique, c’est plus fort que le théâtre. Les imprévus, retournements, coup de théâtre, y sont d’autant plus spectaculaires qu’ils se produisent dans la « vraie vie ». Et depuis quelques temps, sous nos yeux ébahis, la politique nous offre un spectacle que même les plus grands dramaturges ne pouvaient imaginer, en France et ailleurs. En moins de quinze jours, un challenger que personne n’attendait, François Fillon, est élu candidat de la droite à l’élection présidentielle française. Un ancien Président de la République (Nicolas Sarkozy), un autre en exercice (François Hollande), sont éliminés, coup sur coup, de la course à la présidentielle de 2017, avant même qu’elle ne commence vraiment. C’est évidemment du jamais vu.
Le renoncement de François Hollande, Président de la République française, à briguer sa propre succession, est proprement incroyable. Il a fallu à cet homme une humilité rare, à ce niveau de responsabilités, pour reconnaître qu’il risquait de représenter un problème plutôt qu’une solution, pour son camp et pour la France.
C’est l’allocution d’un homme d’Etat que les français ont entendu jeudi 1 er décembre, au soir. Un qualificatif que nombreux refuseraient de lui accorder. Ils auront du mal à poursuivre dans cette voie. Être battu, comme Sarkozy (deux fois) ou comme Giscard d’Estaing, dans les urnes, est sûrement une blessure profonde qui dure longtemps. Giscard, avec le temps, l’a d’ailleurs reconnu publiquement. Mais renoncer… Renoncer quand, au fond, on présente un bilan qui n’est pas mauvais, tant sur le plan intérieur qu’à l’international, c’est probablement pire. Il n’aura même pas pu essayer.
Mais, le Président français a dû se rendre à l’évidence. Trois de ses anciens ministres ont déjà fait acte de candidatures pour les primaires socialistes (Arnaud Montebourg, Benoit Hamon) et hors primaires (Emmanuel Macron). Son Premier Ministre même, Manuel Valls, décidé à se présenter quoi qu’il arrive, a mis sur lui, ces dernières semaines, une pression maximum, à coup de petites phrases, de plus en plus précises, dans la presse. La position du Président, crédité d’un catastrophique 4% de bonnes opinions dans les sondages, et d’une médiocre 4ème ou même 5ème position au premier tour de l’élection présidentielle, n’avait plus le choix. Encore fallait-il le reconnaître et prendre la décision, peut être la plus courageuse de sa vie. Il l’a gardée secrète jusqu’au dernier moment. Lundi, rentrant de voyage, Manuel Valls déjeunait avec François Hollande. Il était décidé à lui remettre sa démission pour annoncer sa candidature. Mais Hollande l’en a dissuadé en laissant entendre, sans vraiment le dire, l’issue qui approchait. La voie est désormais ouverte pour une candidature Valls à la primaire socialiste. Il représentera la gauche de gouvernement, en assumera le bilan, face aux autres candidats de la gauche radicale. Ce sera dur pour lui. Mais c’est lui désormais qui portera ce courant de la « gauche libérale » ou social-démocrate. S’il a peu de chances de trouver son chemin pour 2017, il devient le leader d’un courant incontournable de la politique française. Son tour viendra et c’est sûrement 2022 qu’il vise aujourd’hui.
En deux mandats, celui de Nicolas Sarkozy et celui de François Hollande, la fonction présidentielle s’est trouvée considérablement affaiblie. Trop matamore pour l’un, trop « normal » pour l’autre, ni l’un ni l’autre n’a jamais vraiment trouvé la bonne posture dans l’habit présidentiel. Ils ne sont pas seuls en cause. Cet affaiblissement date de l’instauration du quinquennat sous la cohabitation entre Chirac et Jospin, entre 1997 et 2002. Un arrangement de circonstances politiciennes qui a été lourd de conséquences. On ne joue pas impunément avec les institutions. D’un coup d’un seul, le Président, déjà clé de voûte des instituions, s’est retrouvé dans la cuisine gouvernementale, en première ligne. Nous sommes à la fin d’un cycle. Les instituions de la 5eme République sont à bout de souffle. Il ne suffira pas au prochain Président élu, quel qu’il soit, de « prendre la pause » présidentielle pour hisser de nouveau la fonction là où elle doit être. Il faudra probablement réfléchir sur les institutions.
Quant à François Hollande, il faut saluer son courage, son abnégation, sa hauteur de vue. Son sacrifice restera dans l’histoire, si ce n’est son bilan. Le Chef de l’Etat a pensé à son camp en créant un électrochoc. Il était facteur de division, son appel à l’unité n’en est que plus crédible. Il a pensé à la France. Dans les circonstances dangereuses où elle se trouve (la menace terroriste est toujours à un niveau exceptionnel), il ne voulait pas plus de déstabilisation au sommet de l’Etat. Il pourra sereinement se consacrer à sa tâche jusqu’à la passation de ses pouvoirs avec son successeur.
François Hollande donne une belle leçon de démocratie et d’humilité. Bravo l’artiste! La sortie de scène est réussie!
Philippe Di Nacera
Directeur de la publication