Côte d’Ivoire

Corruption- Des ivoiriens dénoncés, Marius Comoé: « le pouvoir a failli », Sociologue:  » Au contraire Ouattara a fait des efforts »

Mis à jour le 29 août 2018
Publié le 29/08/2018 à 8:42 , , ,

L’affaire a certes été jugée en Suisse mais c’est l’Afrique qui est concernée. Un négociant français, ancien employé de la société pétrolière Gunvor, a été condamné ce mardi, pour corruption. Parmi les personnes incriminées, figurent des dirigeants congolais et ivoiriens. La lutte contre la corruption en Côte d’Ivoire, est loin d’être gagnée.

L’article de la condamnation de Pascal C, négociant français a été rendu public par RFI, la Radio mondiale. Un fait qui relance une fois de plus l’épineuse question de la corruption en Afrique et surtout en Côte d’Ivoire. Car au-delà du jugement rendu, des interrogations subsistent. Combien sont-ils les coopérants expatriés, qui bénéficient de gros marchés en Afrique en octroyant des pots-de-vin aux dirigeants ? Pourtant en Côte d’Ivoire, un organe chargé de lutter contre ce phénomène a été mis en place. Selon Marius Comoé, président de l’observatoire des organisations de consommateurs de Côte d’Ivoire, le pouvoir actuel a échoué dans sa lutte contre la corruption en l’aidant même à prospérer.

« La venue de Ouattara au pouvoir en 2010 a suscité beaucoup d’espoirs chez les ivoiriens car il avait promis réguler les marchés publics et faire de la lutte contre la corruption sa préoccupation majeure. Mais qu’est-ce qu’on constate sur le terrain ? Il y a beaucoup de légèreté dans l’attribution des marchés publics. Pire, ce sont des particuliers très proches du pouvoir qui obtiennent tous ces marchés. On connaît Adama Bictogo dans ce pays et la façon à lui, d’obtenir tous les contrats de l’Etat de Côte d’Ivoire. On sait dans quelles conditions Web fontaine, une entreprise gérée par le beau fils du Président de la République a obtenu le marché de l’importation des véhicules en Côte d’Ivoire. On sait aussi par quel tour de passe-passe, la gestion d’un terminal à conteneurs a été octroyée au groupe Bolloré. Et donc quand à cela s’ajoute le scandale du pétrole et du gaz c’est exagéré » réagit le consommateur avant d’affirmer que le régime Ouattara a échoué dans sa mission d’assainir les marchés publics dans le pays.

« Au vu de tout ce que je viens de citer, je puis dire sans risque de me tromper que le pouvoir actuel, n’a pas tenu sa promesse. Celle de mettre les ivoiriens à l’abri des malversations économiques. Ce scandale de pétrole avec l’implication de hauts dirigeants de la SIR, est grave. Cette façon de gérer les marchés publics est en violation avec le décret de régulation des marchés et qui est censé garantir une meilleure qualité de vie aux ivoiriens. La haute autorité de régulation des marchés publics et la haute autorité pour la bonne gouvernance, ont donc échoué dans leurs missions » conclut-il.
 
Quoique les actes dénoncés se soient passés avant le pouvoir Ouattara.
 

La haute autorité pour la bonne gouvernance, a en effet la lourde charge d’assurer la transparence dans la transmission des marchés publics. Mais les derniers rapports des organismes de lutte contre la corruption sur la Côte d’Ivoire, affichent des chiffres alarmants. Le pays est en constante régression. Toute chose qui porte à croire que l’action du gouvernement n’a pas l’effet escompté et les pots-de-vin, continuent d’infecter l’économie ivoirienne, causant des pertes énormes.

Dans ce scandale de corruption, des dirigeants congolais ont été cités. Mais neuf ivoiriens ont aussi été dénoncés. Ils auraient aidé l’entreprise Gunvor à obtenir « des cargaisons de pétrole » en Côte d’Ivoire en acceptant des pots-de-vin. Les faits selon l’article remontent entre 2007 et 2012. L’enquête a démarré en 2011 et a permis 7 ans plus tard, d’épingler les corrompus. La société incriminée a triplé son chiffre d’affaire en l’espace de quelques années, avec des bénéfices qui s’élèvent à des milliards francs CFA. Mais Dr Mémon Fofana, enseignant-chercheur à l’Université Péléforo Gon de Korhogo, au nord de la Côte d’Ivoire, a lui, une autre approche du problème.

« On ne peut pas dire que des efforts dans la lutte contre la corruption n’ont pas été faits depuis l’avènement du régime actuel. Les faits pour lesquels le sieur Pascal C. a été jugé, remontent entre 2007 et 2012. En ce temps la Côte d’Ivoire était en crise. Cependant, conscient du fait que la corruption a empoisonné les marchés publics de l’Etat, Alassane Ouattara a mis en place la haute autorité de régulation des marchés publics et pour la bonne gouvernance. C’est vrai que les résultats attendus ne sont pas encore là, mais quand on voit que l’Etat est capable de révoquer un maire pour mauvaise gestion, cela veut dire que les choses évoluent à mon humble avis » relativise l’universitaire avant d’accuser la société civile ivoirienne qui selon lui, ne joue pas son rôle.

« Vous savez, la société civile dans un Etat est l’interface entre les dirigeants et le peuple. Mais on constate qu’en Côte d’Ivoire, il ne joue pas vraiment son rôle. Peut-être parce qu’elle n’a pas simplement les moyens de le faire et c’est dommage. On ne peut pas regarder les choses augmenter, la vie être de plus en plus chère et ne pas broncher. Si les organisations de consommateurs n’ont qu’un rôle de dénonciation, alors on est mal barré » déplore le sociologue.

Le 2 mai dernier, Mahamadou Kébé, opérateur économique ivoirien dénonçait une main noire dans le système d’attribution des marchés publics de l’Etat. Il s’insurgeait au cours d’une conférence de presse, contre la concession d’un marché public de l’Etat, à une entreprise qui s’est rendue coupable d’usage de faux. Quelques jours plus tard, c’était au tour du Directeur Général des Douanes Ivoiriennes, le Colonel-Major Da Pierre, de lancer un ultimatum aux usagers et propriétaires de véhicules frauduleusement dédouanés à se mettre en règle sous peine de poursuite judiciaire. L’Etat annonçait 5000 véhicules tandis que les associations de consommateurs avancent 15000. Des faits qui indiquent le niveau de corruption dans le pays.
 
Dr Kouakou Albert Yao, sociologue, Enseignant-chercheur à l’Université Lorougnon Guédé analyse le phénomène.
 
« Parler de la corruption, c’est chercher à en connaître les causes qui sont multiples. mais retenons que si la corruption perdure, c’est parce que nous avons érigé l’immoralité en règle de conduite et que nos gouvernants loin de prendre des mesures pour réduire cela, regardent faire. Si pour rentrer dans un corps de métier, il faut ouvrir la porte avec des billets de banque, le citoyen qui aspire à un mieux-être va suivre cette procédure. il va peut-être s’endetter pour le faire mais après, il faudra bien qu’il rembourse son emprunt. tant que nous ne ferons pas la promotion du mérite au détriment du favoritisme, tant que nous ne paierons pas les diplômes mais les postes et les emplois, tant que le corrupteur et le corrompu ne seront pas sanctionnés, nous assisterons toujours à la corruption dans nos sociétés. Mais ne soyez pas étonnés car l’immoralité est érigée en règle de conduite partout dans le monde d’aujourd’hui. Seule la promotion et le respect de la valeur intrinsèque du citoyen, la valorisation du mérite individuel ou collectif nous amèneront à réduire la corruption. Faire autre chose que ça, c’est traité les conséquences et non la cause » estime le sociologue.
 

La question demeure. Peut-on vraiment lutter contre la corruption en Côte d’ Ivoire et en Afrique ?

Éric Coulibaly

Source: Rédaction Poleafrique.info

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