La rencontre entre Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara a donc eu lieu la semaine dernière. Le calme est revenu instantanément dans le pays, sans que l’un ou l’autre n’ait eu à le réclamer ni même à le suggérer. Comme quoi, quand ces deux-là se parlent, les Ivoiriens tendent l’oreille plutôt que les poings. Cela est de bonne augure pour la suite.
Maintenant, à quoi doit-on s’attendre à court et moyen terme ?
Alassane Ouattara, bien calé dans son fauteuil présidentiel, reconnu par la communauté internationale, a les cartes en main pour faire bouger les lignes. Quoi qu’en dise une certaine presse internationale, mal informée ou malveillante, le principe de réalité, ici, s’impose à tous. Alassane Ouattara a gagné et il dispose de cinq années pour changer la donne. Car son dernier mandat sera paradoxalement un mandat de transition. Le Président pourrait certes souhaiter ne pas aller au bout de ce mandat, mais avant cela, il s’attachera à redorer son image, quelque peu écornée par la séquence politique que nous venons de vivre, et aussi à préparer la suite, sur tous les plans, notamment celui de sa succession.
Pour redorer son image, une seule voie s’offre à lui : réussir pour de bon une réconciliation sincère à travers un dialogue qui ne le soit pas moins.
L’opposition a échoué à imposer un ordre juridique alternatif ; elle a également échoué dans sa tentative de mobilisation des masses à travers son mot d’ordre de désobéissance civile. Toutes choses qui, malgré les paroles de ses leaders, l’a fait sortir un temps du cadre légal et républicain. Quant à ceux qui en appelaient ouvertement, depuis l’étranger, au soulèvent du peuple et au coup d’État, le discrédit les paralyse pour un bon bout de temps. Il ne reste à l’opposition que le dialogue républicain. Un dialogue qui, on le voit, est dans l’intérêt bien compris des deux parties. Et aussi dans celui du pays qui doit retrouver l’apaisement et le chemin du développement. Car le développement auquel aspirent avant tout, les Ivoiriens, qu’il soit économique ou humain, a besoin de calme et non de chaos.
Il revient à Alassane Ouattara, en tant que Chef de l’État, de créer les conditions de son avènement. Mais ces conditions, simples à exprimer, sont difficiles à mettre en œuvre, tant elles soulèvent de questions juridiques et politiques. Ce n’est pas ici le lieu de décliner les obstacles. Disons que les services de la Présidence, de la Primature et des ministères concernés doivent d’ores et déjà consacrer du temps et de la réflexion à leur faisabilité. Renouer le fil du dialogue, c’est panser les plaies récentes, mais aussi remettre du baume sur les plaies anciennes qui, manifestement, n’étaient pas encore entièrement cicatrisées.
Quelles sont donc ces conditions et comment faire ?
Sur la forme, il faut des interlocuteurs à qui parler. Le Président Bédié ne peut à lui seul se trouver à la table du dialogue national, même si le rétablissement d’un canal de communication entre lui et le Président Ouattara représentait la première étape indispensable. Ça, c’est fait.
Une autre de ces conditions est déjà, semble-t-il, engagée. Il s’agit du retour au pays de l’ex-Président Laurent Gbagbo. Le Président Ouattara, plusieurs sources s’en font échos, aurait donné son feu vert pour qu’un passeport lui soit remis. L’ancien Président a tenu, durant cette crise, des propos fort raisonnables, encourageant le dialogue républicain, décourageant les aventures incertaines. On peut imaginer que ses paroles plutôt apaisantes visaient autant les juges de l’appel à la CPI que le personnel politique en Côte d’Ivoire. Ce positionnement pacifique, pourvu qu’il soit renouvelé, devrait lui permettre de gagner sa place à la table des négociations et l’imposer comme un interlocuteur valable, à équidistance de tous les acteurs.
Enfin, dernière condition pour créer un cadre de discussion adéquat, la libération les leaders de l’opposition, emprisonnés alors qu’ils voulaient mettre en place un « gouvernement de transition ». Pas simple. Une procédure judiciaire ne s’interrompt pas ainsi, dans un claquement de doigts. Il faudra à Alassane Ouattara beaucoup de hauteur pour passer outre et à ses équipes beaucoup d’imagination pour trouver les outils juridiques permettant à cers opposants de participer au dialogue national. Les avocats, défenseurs de ces leaders politiques, devraient déjà pouvoir être mis sur un pied d’égalité avec l’accusation dans les procédures encore cours. Cela apaiserait les tensions qui subsistent encore.
Sur le fond, rien ne devra être tabou dans les sujets à discuter. Et si chacun viendra sûrement avec ses arrière-pensées, il faudra, pour guérir en profondeur, nettoyer ce qui reste de plaies purulentes, même si pour cela il faut remonter loin dans le temps. Sur les récents palabres, le Président ne viendra sûrement pas les mains vides : des réformes institutionnelles (ou d’institutions comme la Commission électorale indépendante et le Conseil Constitutionnel) devraient être au menu, de même que les conditions d’un audit de la liste électorale. Mais au-delà de la résolution des points de crispation récents, ne serait-il pas souhaitable de profiter de la présence de tous pour viser la mise en place d’instituions fortes, partagées et acceptées, qui résisteraient, comme on le voit actuellement aux États-Unis, aux caprices des conjonctures et des hommes?
L’autre grand défi du Président, c’est préparer la suite, c’est-à-dire aplanir le terrain, avant de quitter la scène.
Si un dialogue national réussi et des résultats économiques probants représenteront un solide socle pour bâtir le renouveau de la Côte d’Ivoire, par qui ce renouveau sera-il conduit ?
Il faut des hommes pour servir des institutions, même s’ils ne devraient jamais prendre le pas sur elles. L’ objectif, on le voit, est de pousser ceux qui tiennent les premiers rôles dans tous les camps depuis trente ans, vers la sortie. Si Alassane Ouattara l’avait compris avant l’élection, c’est maintenant que les circonstances le permettront. Faire émerger la génération d’Ivoiriens qui, jusque là, faisaient office de numéros 2 (ou 3) dans chaque chapelle, permettre à une nouvelle génération de prendre en main les destinées du pays, voilà qui sera de nature apaiser les coeurs et redonner de l’espoir. Un nouveau gouvernement devrait prochainement être nommé par Alassane Ouattara. Des signes de renouveau y seront déjà forcément donnés.
Mais concernant sa succession, Alassane Ouattara l’a déjà dit à ses partisans : il ne prendra parti pour personne dans son camp. ‘Que ceux qui veulent me succéder se préparent ». Obligé de prendre le recul nécessaire s’il veut que cela fonctionne sur tout l’échiquier politique, ce n’est pas anodin qu’il fasse part de son état d’esprit à peine élu. Il n’adoubera cette fois personne, comme il l’avait fait pour Amadou Gon Coulibaly. Mais il engage ceux qui y pensent à mettre en place leurs pions sur l’échiquier. Le message, cette promesse de transparence dans la succession, doit être reçu cinq sur cinq au RHDP et susciter une saine émulation, c’est-à-dire un accord sur des règles claires et transparentes dans la désignation de la future figure de proue. C’est à ce prix que le parti bâti par le président, pour lui, pourra perdurer.
Au RHDP, les regards se tournent vers Hamed Bakayoko. Les fonctions qu’il occupera dans le dispositif du nouveau mandat, qu’il soit reconduit à la Primature ou pas, seront un indice de sa marge de manœuvre. Si les circonstances et sa fonction de Premier ministre l’ont imposé comme incontournable dans les semaines difficiles que nous venons de vivre et s’il n’a commis aucune erreur dans ces temps troublés ; s’il est populaire dans de nombreuses couches de la population et s’il est l’un des rares responsables de son camp capable d’apparaitre comme un interlocuteur, non seulement valable, mais fiable pour l’autre bord du champ politique, l’adversité au sein du RHDP n’en sera pas moins rude. L’homme, qui a pris beaucoup d’épaisseur, part néanmoins avec une longueur d’avance même s’ils sont quelques-uns à l’attendre en embuscade.
Dans les autres partis, c’est plus flou. Le couvercle a été maintenu au PDCI par Henri Konan Bédié et Maurice-Kacou Guikahué sur une marmite en ébullition. La jeune garde qui ne manque pas d’hommes talentueux, a préféré respecter une prudente discrétion, renonçant temporairement à ses légitimes ambitions en attendant de voir ce qu’il se passe. Seul Kouadio Konan Bertin, refusant la chape de plomb, a franchi le rubicon. Cela lui donne un avantage psychologique.
Au FPI, Laurent Gbagbo adoptera -t-il la même posture qu’Alassane Ouattara au RHDP, c’est-à-dire une attitude de neutralité ? L’absence d’indice sur ce point ne laisse rien présager des évolutions qui ne manqueront pas non plus de transformer ce parti toujours coupé en deux. Au bénéfice de qui ? Difficile de le dire tant cela dépendra de la capacité des membres du FPI à se retrouver et les bases sur lesquelles se feront ces retrouvailles.
Les bouleversements annoncés sur l’échiquier politique ivoirien auront bien lieu dans les mois et les années qui viennent. Tous les camps sont concernés. La configuration de la prochaine élection présidentielle, au maximum dans cinq ans, sera radicalement différente de celle que nous venons de vivre. Le climat de cette élection, également. La réussite d’Alassane Ouattara dans cette dernière ligne droite se mesurera finalement à sa capacité à laisser à ses successeurs, grâce au dialogue et au renouvellement des leaders, un pays en tout point « normalisé ».
Philippe Di Nacera