Après 13 échecs de demande de liberté provisoire, les avocats de Laurent Gbagbo, demandent une nouvelle fois l’acquittement de leur client écroué à la Haye depuis la crise post-électorale en Côte d’Ivoire. La requête de la défense a été déposée le 23 juillet 2018 auprès des juges de la CPI. Mais les motifs évoqués par les avocats vont-ils enfin, infléchir la décision de ces derniers? L’analyse des juristes ivoiriens.
« Le cas du procureur a duré deux ans ; 82 témoins ont été appelés ; l’ensemble des témoignages correspond à 15000 pages de transcrits ; le procureur a déposé des milliers de documents et des centaines d’heures de vidéos au dossier. Sa preuve est exposée dans un « Mid-Trial Bref » de 542 pages (y compris l’ensemble des annexes) » peut-on lire à l’article II, annexe 7, point 6 de la requête des avocats de la défense avant de poursuivre au point 7, en indiquant que « dans les soumissions de la Défense portées en annexe de la présente requête. Il est démontré que les éléments présentés par le procureur contre Laurent Gbagbo dans le cadre de son cas, ne permettent pas de prouver les charges, au-delà de tout doute raisonnable ».
Les avocats demandent donc au vu de ce qui suit, « la prononciation d’un non-lieu, d’un acquittement en sa faveur pour toutes les charges et pour tous les modes de responsabilités et donc la libération immédiate de Laurent Gbagbo » peut-on lire au bas du document. Pour le juriste écrivain Geoffroy Kouao Julien, le procès doit aller jusqu’à son terme, en vue de situer les responsabilités.
« Les avocats de Laurent Gbagbo sont dans leur droit. Cela fait partie de la pénalité procédurale que de demander à chaque fois la libération de son client. Il revient désormais aux juges d’analyser cette demande au vu des témoignages et des charges, afin de donner suite à cette requête. Il est donc difficile de dire qu’il y a plus de chance cette fois-ci » a-t-il réagi avant de souhaiter que le procès aille à son terme afin que lumière soit faite sur les événements de 2011 en Côte d’Ivoire.
« Le président Laurent Gbagbo l’a dit lui-même. Il souhaite que le procès suive son cours afin que la vérité éclate au grand jour. Car il serait facile de prononcer la libération des accusés sans que les vrais coupables ne soient traduits devant la justice. Regardez ce qui se passe actuellement dans la sphère politique ivoirienne. On atteint même parfois l’escalade verbale. Mais personne ne dit rien. On viendra chercher les coupables plus tard alors que c’est maintenant qu’il faut le faire. Pour moi, il faut faire éclater la vérité de sorte que cela serve de leçon à toute personne qui voudrait porter atteinte à la sureté de l’Etat et surtout à l’intégrité du peuple » a commenté le juriste.
La libération éventuelle des pensionnaires de la CPI, continue d’alimenter les débats politiques en Côte d’Ivoire. Même si le Front Populaire Ivoirien (FPI), parti de Laurent Gbagbo, fait face à une division interne depuis plusieurs années, il n’en demeure pas moins que les partisans de l’ancien président, ne souhaitent qu’une seule chose, son acquittement.
Certains cadres du parti, en ont même fait, leur moteur de campagne. Et l’espoir n’a jamais été aussi frétillant, surtout après la libération de l’opposant congolais, Jean Pierre Bemba de la CPI, le 12 juin dernier. Il aura passé 10 ans à la Haye. Selon maître Aké Mel Christiano, juriste chargé des projets monitoring des procès de la Cour Pénale Internationale, Laurent Gbagbo devrait être relaxé pour insuffisance de preuves matérielles.
« Dans tout procès, l’existence ou subsistance de doute dans la présentation des preuves, profite à l’accusé. Les avocats de Laurent Gbagbo, veulent éviter un procès qui risque d’être encore plus long qu’il ne l’a déjà été. L’accusation a en effet basé sa stratégie sur la démonstration de l’extermination des ressortissants du Nord par Laurent Gbagbo. Une thèse qui jusque-là, n’a pu être confirmée de manière irréfutable. Alors tant que les preuves présentées par l’accusation ne sont pas inattaquables, irréfragables, la défense a le droit de demander l’acquittement des charges contre son client » a analysé le juriste observateur des procès post-crise ivoiriens, avant de revenir sur certaines preuves présentées par l’accusation.
« Tous les témoins qui sont passés à la barre. Soit 82 sur 138 présentés par l’accusation, y compris les gradés de l’armée ivoirienne, n’ont pu prouver de manière directe l’implication du président Laurent Gbagbo dans les faits qui lui sont reprochés. Pis, certains experts ont même émis le doute sur la qualité du sang des femmes tuées à Abobo et la nature de l’arme utilisée pour le bombardement du marché Chaka Koné de la même commune. Toutes ces incohérences donnent force à la requête de la Défense, l’accusation n’ayant réussi à prouver la responsabilité pénale du sieur Laurent Gbagbo dans ces événements. Et donc normalement, au vu du déroulement du procès et du manque tangible de preuves, l’accusé devrait être acquitté » a conclu maître Aké Mel Christiano.
Pendant ce temps la vie politique ivoirienne connaît des rebondissements sans pareil. D’aucuns prédisent une recomposition de l’opposition au moment où la crise au sein du PDCI, bat son plein. La libération de l’ex président ivoirien, ajoutera à coup sûr, une note supplémentaire au son du paysage politique, déjà très rythmé en Côte d’Ivoire.
Éric Coulibaly
Source: Poleafrique.info