Les propos orduriers tenus par la députée RHDP, Mariam Traoré, à l’encontre d’une responsable des femmes du PDCI, Sita Coulibaly, sont au-delà de ce qu’on peut imaginer quand on évoque le niveau zéro du débat public. On toucherait plutôt le niveau -20.
Ils suscitent, en eux-mêmes, l’effroi et le dégoût, et aussi de la honte pour l’élue de la République qui les a prononcés. Ils sont certes insultants pour celle à qui ils étaient destinés ; insultants aussi pour toutes les femmes de ce pays ; insultants pour la fonction de députée ; insultants pour son propre parti. Ils sont de plus, et c’est tout aussi grave, irrespectueux pour une Dame, au-dessus de la mêlée, la Grande Chancelière de Côte d’Ivoire, également Présidente du RDR et 1ère Vice-Présidente du RHDP. Henriette Dagri Diabaté avait en effet prononcé la seule parole sensée de ce début d’année. S’adressant au personnel politique lors de ses vœux à la Grande Chancellerie, elle a lancé en trois mots un appel fort et profond : « Désarmons nos paroles ! ». Comment ne pas voir dans la sortie de la députée une manière de dire à la Présidente de son propre parti, « Cause toujours tu m’intéresses !» ou à l’inviter à prêcher dans le désert ? Face au tollé suscités par les mots de « l’honorable », qui ne l’est pas tant que ça, celle-ci s’est excusée le lendemain. Mais le mal était déjà fait. Nous sommes tombés dans le caniveau. Mais de sanction, il ne semble toujours pas en être question.
Précédemment, nous avions eu droit aux propos bien peu présidentiels, pour ne pas dire méprisants, du Président du PDCI-RDA, ex-Président de la République, Henri Konan Bédié, se moquant ouvertement des militants du RHDP, qui selon lui avaient « reçu de l’huile, du riz, des sardines et du pain » pour remplir le stade FHB. Il a, par la même occasion, indexé les responsables du RHDP, désormais qualifiés d’ « adversaires », les traitant de « fils adultérins d’Houphouët-Boigny », et les soupçonnant d’être des « détourneurs de deniers publics ». Est-ce cela un ancien Président ? Ces mots sont-ils au niveau de sa carrière ? Ils font, en tout cas, bien peu de cas de ses concitoyens qui aspirent à s’engager, tout comme les militants de son parti, pour la Côte d’Ivoire. Il aurait plutôt dû les en féliciter. La vive réponse de la Secrétaire Générale du RDR, qui a vertement demandé à Bédié de ne pas « descendre dans les poubelles », ne poussait pas à la tempérance. C’est dans ce contexte qu’est intervenue la députée Traoré après que les femmes du PDCI ont contre-attaqué pour justifier les propos de leur Président. Où cela va -t-il s’arrêter ? Car de réponse en réplique, de pique en contre-pique, cela peut durer longtemps, très longtemps.
J’en profite pour faite cas d’une réelle préoccupation pour qui aime ce pays : la forte résurgence de l’intolérance, de la xénophobie, des propos identitaires, souvent liés à l’ethnie des gens. Cela vaut dans tous les camps. Des choses que l’on n’entendait plus depuis quelques années ressortent sans filtre sur les réseaux sociaux et dans la bouche de certains responsables politiques. C’est que leurs auteurs s’y sentent poussés, voire autorisés, par l’ambiance délétère que nous constatons. Le moindre palabre, et l’on se met à dénoncer, chez son contradicteur, son origine burkinabé, béninoise, ghanéenne et j’en passe, pour dénier à ce « non ivoirien » sa capacité à participer au débat. Dès que le ton monte du haut des tribunes, on constate instantanément une résurgence sur les réseaux de violentes menaces, y compris de mort, contre des groupes éthiques entiers, et tout ceci au grand jour.
Les Ivoiriens sont-ils vraiment obligés de subir cela jusqu’à la prochaine élection présidentielle ? 2020, c’est certes demain. Mais nous sommes encore à 600 jours de l’échéance présidentielle. 600 jours durant lesquels les ivoiriens devraient vivre quotidiennement avec les saillies toujours plus violentes des uns et des autres ? Cette tension, cette surenchère verbale, cette pression, ce venin permanent des responsables politiques, avec la complicité de certains journaux dits d’opinion, où peuvent-ils nous mener ? On ne le sait que trop. On le sait et on fonce tout droit vers la catastrophe. On se trouve dans la situation du train sans frein qui fonce contre un mur et dont le chauffeur, ne sachant que faire, accélère encore.
Il a suffi de trois mots à Henriette Diabaté pour tout dire de la responsabilité première des élus, de ceux qui espèrent l’être et de tous les militants et responsables politiques. Trois mots pour leur demander d’élever le débat et de s’adresser à l’Intelligence des Ivoiriens, non à leurs plus bas instincts. Elle rappelle l’évidence que les mots sont une arme. Que la violence verbale débouche immanquablement sur la violence tout court. Pourquoi refuse -t-on de voir, ou fait-on mine de ne pas voir, que les mêmes causes produiront les mêmes effets ? Ne voit-on pas que cette « dérive langagière », comme la nomme notre confrère Fraternité Matin, est tout simplement dangereuse ? Que si l’on continue ainsi l’histoire bégayera ?
La Ministre Mariétou Koné, en charge de la cohésion sociale, elle, a su trouver les mots de l’apaisement lors du rassemblement des femmes RHDP : « Ne cultivons pas la haine, n’entretenons pas la haine (…). La politique c’est bien mais sans violence. La politique c’est bien mais sans injure (…) Allez donc partout en Côte d’Ivoire comme des messagers de Paix, soyez donc des ambassadrices de paix ». Il s’agit là de l’expression simple et droite d’une conviction tranquille. S’il vous plaît, mesdames et messieurs les politiciens, prenez exemple sur ceux qui ouvrent la voie d’un débat démocratique normalisé. Arrêtez d’effrayer les Ivoiriens !
Le Président Ouattara l’a dit lors de ses vœux, « Il n’y aura rien en 2020 ». Ces mots, repris le 26 janvier, dans son discours de clôture du congrès du RHDP, nous aimerions y croire. Nous voudrions en être convaincus. Mais pour cela, il devient urgent que la classe politique change de logiciel. DÉSARMEZ-VOS PAROLES !
Philippe DI NACERA
Directeur PôleAfrique.info