Analyses Archives

Désintégration / Philippe Di Nacera

Mis à jour le 4 mars 2021
Publié le 01/07/2016 à 9:05 , , , ,

Le Royaume-Unis quitte donc l’Union Européenne. C’est un tremblement de terre, suite à un referendum organisé par le Premier Ministre Britannique. David Cameron croyait sauver son poste face à la contestation au sein de son parti, les Tories, et unifier ses troupes. C’est raté. Pour des raisons de politique interne, il a joué l’avenir de son pays à la roulette russe. À l’arrivée, il perd son poste, et son pays, sa place éminente, en Europe, plongeant l’Union Européenne dans une incertitude totale quant à son avenir.

Pour autant, ce cataclysme n’est pas dû qu’à un accident de tactique politique dans un pays membre. L’Europe a commis des erreurs. Elle a commis des fautes même, à l’égard des peuples qui la composent. Elle récolte aujourd’hui ce qu’elle a semé, d’abord au Royaume-Uni. Et plus tard, dans quel pays?

Mais revenons aux sources. Quel était le projet initial d’une Europe unie?

Très logiquement, après un conflit mondial qui avait fait 80 millions de morts, il fallait trouver le moyen qui, au delà des pleurs, des mots, des bonnes intentions (« plus jamais ça »), empêcherait une nouvelle guerre en Europe. Les pays seraient si imbriqués les uns aux autres, autour de projets économiques phares, qu’une nouvelle guerre serait inenvisageable. La souveraineté partagée, sur des projets particuliers, de plus en plus nombreux (Acier et charbon, Agriculture, Aéronautique, espace économique commun, liberté de circulation des hommes et des biens, monnaie commune, échanges universitaires, frontières extérieures, etc.), a permis un développement sans précédent du continent européen depuis 70 ans. La grande idée était le développement et le bien-être économique des européens qui, au delà de langues et des cultures différentes, auraient en partage les fruits de leurs efforts.

Il a fallu des visionnaires (Jean Monnet, Robert Schuman) pour imaginer et initier un tel processus, inédit dans l’histoire, qui ferait tâche d’huile sur l’ensemble de la planète. Certains sont même allés plus loin dans l’utopie en voulant promouvoir les États-Unis d’Europe, c’est à dire le rêve d’un seul État fédéral européen.

Il a fallu aussi des géants politiques, De gaulle, le Président français, et Adenauer, le Chancelier allemand, pour assumer et faire accepter par leurs peuples, en 1962, moins de 20 ans après la fin de la guerre, une réconciliation franche, sincère, et apparemment, définitive, entre le peuple allemand et le peuple français. Sans cela, rien n’aurait pu être possible. Les anglais ont rejoint l’Europe en 1973. Ils ont adhéré à ses valeurs et à ses objectifs.

L’intégration des pays européens dans un espace commun, unique en son genre après la seconde guerre mondiale, a été une source d’inspiration dans plusieurs régions du monde, à commencer par l’Afrique de l’Ouest. En mai 1975, naissait à Lagos, la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest), avec des ambitions semblables. Créer un espace économique plus large que chaque pays pour créer les conditions du développement. Cela s’est reproduit en Afrique centrale, dans les Caraïbes, au Maghreb, sur le continent américain, avec plus ou moins d’intensité. Alors comprendre ce qui n’a pas fonctionné en Europe, c’est se donner des chances de ne pas courir le même risque. Celui d’un arrêt net de l’intégration des nations d’Afrique de l’ouest, pour le mieux-être de ses populations.

L’Union Européenne a perdu l’esprit des pères fondateurs. Partie avec six membres en 1957, l’Union se gouverne aujourd’hui à 28. Une folie! Il a fallu intégrer, pour des raisons géostratégiques, les pays de l’ex-bloc de l’est. Ils n’étaient pas tous prêts. Et chacun venait y trouver un peu du bonheur économique dont ils rêvaient de l’autre côté du mur. On a « élargit » avant « d’approfondir ». Erreur historique, commise par le Président Chirac. Mais, fallait-il laisser livrés à eux-mêmes, ces anciens satellites de l’Union Soviétique qui, enfin libres, regardaient à l’ouest?

Les peuples européens ont peur. De leur avenir, de l’invasion de « l’autre », de perdre leurs identités, de ne plus progresser économiquement. La défiance est de mise. Le retour identitaire est général et la crise des réfugiés ne fait qu’attiser ces peurs. Les dirigeants des pays membres sont décriés, l’Europe, déconsidérée, accusée d’être la source de tous les maux. Chaque pays voit prospérer en son sein des pro-brexit à l’anglaise. L’Union Européenne risque la désintégration.

Où l’Europe a-t-elle échoué? Comment faire pour ne pas reproduire, ici, les erreurs accumulées en presque 70 ans, là-bas? Bureaucratie, pouvoirs lointains, mal identifiés des populations, souvent non démocratiques au sens où la question de la légitimité de la décision est posée, esprit tatillon qui donne l’impression que des personnes, loin de nous, s’occupent dans le détail de nos vies sans nous connaître, frontières mal protégées et j’en passe. À force de tirer sur l’élastique, un jour il casse. L’intégration doit être lisible, compréhensible aux peuples sinon ils n’adhèrent plus.

Je veux partager le testament européen du Président François Mitterrand. S’adressant en 1995 au parlement européen, malade, quasi mourant, quelques mois avant de quitter le pouvoir, dans une « tournée d’adieux » européenne, voici ce qu’il dit et qui raisonne si fort, 20 ans après, alors que l’Europe se délite : « Vous êtes nombreux à avoir gardé l’enseignement de vos pères, à avoir éprouvé les blessures de vos pays. À avoir connu le chagrin, la douleur des séparations, la présence de la mort, tout simplement par l’inimitié des hommes d’Europe entre eux. Il faut transmettre, non pas cette haine, mais au contraire la chance de la réconciliation (…). Il faut vaincre ses préjugés. Ce que je vous demande là est presque impossible car il faut vaincre notre histoire. Et pourtant si on ne la vainc pas, il faut savoir qu’une règle s’imposera, mesdames et messieurs, le nationalisme c’est la guerre! ».

C’est dit.

Philippe Di Nacera

Directeur de la publication

7info.ci_logo

Abonnez-vous gratuitement à la newsletter 7info

L’INFO, VU DE CÔTE D’IVOIRE