Elles sont venues à la politique sous l’influence de leur entourage ou d’hommes politiques médiatisés. Vivant en banlieues ou dans la capitale, leur courage les hisse aux postes de responsabilité au sein des partis ou formations politiques en Côte d’Ivoire. Si certaines font face à l’adversité pour s’imposer, d’autres demandent plus de moyens financiers pour mieux asseoir leur vision de la cité. Pôleafrique.info est allé à leur rencontre.
Cette après-midi de décembre, Véronique N’Guessan, propriétaire de salon de coiffure, maintient son téléphone à l’oreille. La jeune femme fait la navette devant l’école primaire publique de Jacqueville. C’est une ville située à une centaine de kilomètres d’Abidjan, la capitale économique ivoirienne. En un quart d’heure, une petite équipe de fidèles la rejoint dans une salle de classe apprêtée pour l’occasion. Cela tombe bien. C’est dimanche, il n’y a pas de cours.
Un leadership freiné par l’argent
Dans ce groupe de camarades, c’est Véronique le chef. C’est elle, la présidente départementale du Rassemblement des Jeunes Républicains (RJR) dans la localité de 44 villages. Le RJR est la branche de la jeunesse militante du Rassemblement des Républicains (RDR), le principal parti au pouvoir en Côte d’Ivoire.
A Jacqueville, il est de notoriété publique que Véronique est de toutes les mobilisations pour le parti d’Alassane Ouattara. Elle ne jure que par lui. Et se fait fort de défendre ses idées dans la région. Véronique anime des meetings. Mais elle rêvait en secret d’un autre volet dans sa stratégie de communication politique : occuper un média.
« C’est la première fois que je parle à une journaliste. J’ai toujours rêvé d’intervenir dans un media », confesse-t-elle. Toute petite, Véronique a le béguin pour la politique d’Alassane Ouattara. « Je devais avoir 9 ou 10 ans lorsqu’il est devenu Premier Ministre. J’ai tout de suite été frappée par sa rigueur dont on parlait à la télévision » fait-elle savoir.
Il y a dix ans, elle devient officiellement militante du RDR à Jacqueville. Et doit faire face aux adversaires politiques, parfois dans le cocon familial. « On dit que Jacqueville est une zone Gbagbo. Nous avons aussi des militants ici. Si le parti met le paquet, il verra car moi je n’ai pas peur. Tout le monde sait que je suis RDR. Dans ma famille, la majorité est PDCI ou FPI. Nous nous lançons des piques souvent quand le débat politique national est chaud. Sinon, après l’ambiance familiale prend le dessus »
Si celle qui n’était qu’adjointe se réjouit de la promotion du genre au sein du parti, elle souhaite plus de moyens financiers pour mieux travailler sur le terrain. « Sans moyens, il est difficile de tenir les réunions, de maintenir la flamme militante. Ce sont des questions dont nous discutons. Nos résolutions insistent toujours sur la promotion des jeunes politiciens. Sans promotion, les jeunes se démotivent. Il ne faut pas attendre les périodes de campagnes pour les impliquer» souhaite-t-elle.
Véronique veut une Côte d’Ivoire réconciliée. Elle recommande plus de sagesse dans les camps antagonistes. Pour mettre en œuvre sa vision, elle veut gravir davantage d’échelon. C’est également le vœu de ses camarades. « Elle est très dévouée. Il faut l’honorer. Il faut la grader », suggère Frédéric Aké, membre du bureau départemental du RJR. « Elle fait bien son travail », juge Philomène Labedji, militante RJR de première heure dans la localité. N’Gotta Mathieu, président du bureau communal n’a pas de complexe à être chapeauté par une jeune femme. « Elle mérite sa place. Je ne suis pas gêné car elle sait manager », témoigne-t-il.
Les femmes politiques interviennent dans les médias, bien souvent, lorsqu’elles occupent des postes de responsabilité au niveau national. Ou encore lorsqu’elles sont porte-voix officiel des partis ou formations politiques. Rarement les jeunes femmes sont nommées à ces postes. Rarement, elles dirigent le premier poste de responsabilité au niveau national dans les structures de jeunesse de partis ou groupements politiques. Pas évident qu’elles prennent la parole dans les médias.
Pourtant, ce ne sont pas de jeunes militantes dynamiques qui manquent. Membres de bureaux nationaux, secrétaires de section, présidentes départementales, militante de base dévouée etc. Elles sont actives en politique.
Loin des feux des projecteurs
L’histoire qui suit est celle d’une militante de base dévouée qui monte en grade dans sa localité. Nous sommes dans le Leboutou, la Fédération de la Jeunesse du Front Populaire Ivoirien (JFPI) à Dabou, ville voisine de Jacqueville. Le FPI est le parti fondé par Laurent Gbagbo, l’ancien président ivoirien en procès à la CPI, à la Haye. Le parti est en proie à une crise interne. Et cette fédération se revendique d’Abou Drahamane Sangaré camp opposé à Affi N’Guessan.
En moins de dix ans de militantisme actif, Irié Lou Mélanie se fait remarquer positivement à Dabou et occupe maintenant le poste de secrétaire à l’organisation, un poste stratégique. Son rôle est de veiller à ce que les activités se déroulent selon le protocole établi. Elle s’assure que les chaises et les bâches sont bien placées, elle vérifie les sièges des officiels. Elle intervient dans la cuisine. En somme elle est désormais au cœur des événements.
Après notre entrevue avec l’équipe de la jeunesse du RDR dans la ville voisine, nous sommes reçue dans la soirée du même dimanche de décembre par Mélanie et ses camarades du parti. Le restaurant de Sylvie Affian, Fédérale aux finances est transformé en Quartier Général pour l’entretien.
Comme Véronique du RDR, Mélanie du FPI expérimente sa première médiatisation. «Lorsque nous organisons des activités, les membres de la direction du parti sont là. Je vois bien les journalistes. Ils interrogent nos responsables mais ils ne nous posent pas de question, ce qui fait que je ne suis pas habituée à parler dans les médias. »
Elle remarque son mentor politique, toute petite. Mais c’est sur la braise de la crise post-électorale ivoirienne, en 2011, que Mélanie se décide à épouser la vie politique active. Elle est toujours présente aux meetings, aussi bien dans sa localité que dans d’autres parties du pays. Quand le FPI a une rencontre populaire, elle répond au rendez-vous. Yopougon, Koumassi, Akouré, Guiglo etc. Mélanie se souvient avoir parcouru des kilomètres à pieds, au niveau de Dabou pour sonner la mobilisation avant le jour des meetings. Une fois, elle a même traversé en pirogue, ce qu’elle n’avait pas l’habitude de faire avant son entrée en politique.
« J’étais triste de voir le président Laurent Gbagbo en qui je crois, être arrêté et conduit à la CPI. J’ai décidé de m’engager en politique pour lutter pour sa libération. C’est pour cela que je suis active».
Au début, sa famille est réticente, vu le contexte fait de méfiances de part et d’autre, de dénonciations et d’arrestations. « Je n’avais pas peur. C’est vrai que je pense à mes enfants mais je ne compte pas abandonner la vie politique. Aujourd’hui mes parents sont fiers de moi. Ils ont compris », se réjouit-elle.
Gnagne Abi Besso, Fédéral JFPI Dabou et secrétaire national chargé de la région des Lagunes II, se remémore une anecdote : « Au cours de la marche du front de refus de la nouvelle Constitution en 2016, Mélanie et ses amies avançaient pendant que les hommes reculaient. Ce sont des fonceuses. Elles sont allées jusqu’à ce que la direction du parti leur demande de se replier. Chez nous à Dabou, le quota de 30% est respecté. Les femmes sont déterminées», insiste-t-il.
« Il y a de la place pour les femmes en politique. Nous qui sommes en politique, nous ne voyons pas cette violence qui effraie d’autres femmes. Le problème que nous avons est celui des moyens financiers. C’est vrai que les cadres du FPI dans la région nous appuient mais il se trouve que nous y mettons nos propres économies pour maintenir la flamme », intervient Apka Michèle Désirée, Fédérale aux affaires sociales qui assiste à l’entretien.
Des voix inaudibles au niveau national
Actives pourtant en zone rurale ou même urbaine, les jeunes femmes politiques sont rarement entendues sur l’échiquier national. Comment l’expliquer ?
Interrogée par Pôleafrique.info, l’ivoirienne Brigith Gbadi, consultante en genre, confirme cette faible participation des jeunes femmes dans le débat public. « De façon générale, la participation des femmes est faible et celle des jeunes femmes est très faible ».
Mme Gbadi pointe du doigt, le faible accès aux médias d’Etat et de proximité d’une part et d’autre part leur peur de ceux-ci.
Par ailleurs, l’experte en genre indexe comme les précédentes intervenantes, l’absence de ressource financière. « L’absence de ressource financière et matérielle sont les conséquences de la précarité des conditions de vie. L’engagement politique nécessite de mobiliser un minium de ressources, ce que les femmes n’ont pas souvent », note Mme Gbadi.
Sans faire allusion aux militantes qui interviennent dans l’article, la spécialiste explique aussi l’insuffisance de présence dans le débat public des jeunes politiciennes par « le déficit de culture politique et le manque de confiance en soi ». Selon elle, « les jeunes femmes ignorent très souvent, l’histoire politique de leur pays, le rôle et la fonction des institutions, c’est-à-dire, les mairies, le parlement, le gouvernement. Elles ignorent l’importance des élections, les voies d’action politique ».
Pour y remédier, l’experte préconise un renforcement des capacités des jeunes politiciennes des zones rurales et urbaines au leadership. Elle énumère l’appui financier et la valorisation de l’image des femmes modèles dans les médias comme une alternative à la faible participation au débat national.
La participation politique des femmes, les jeunes y comprises, est un enjeu de démocratie. Elles ont leur mot à dire. Donnons-leur la parole.
Nesmon De Laure
Source : Rédaction Pôleafrique.info