Il n’a pas cédé. L’adresse traditionnelle du 6 août à la Nation du Président Ouattara, pour la fête d’indépendance, laisse, cette fois, sur sa faim.
Certes, 69 personnes mises en examen et incarcérées depuis les remous engendrés par les débats autour du 3e mandat, en octobre/novembre 2020, ont été libérées… Mais elles restent sous contrôle judiciaire. C’est-à-dire que les procédures en cours et les enquêtes judiciaires se poursuivent ;
Certes, neuf condamnés de 2020, dont des proches de Laurent Gbagbo et Henri Konan Bédié, ont été graciés ;
Certes, il y a eu l’habituelle grâce présidentielle de 3000 condamnés à des peines inférieures à un an de prison ;
Certes, le Président a salué sa rencontre avec son « jeune frère » Laurent Gbagbo, le 27 juillet dernier et celle avec son « aîné » , Henri Konan Bédié, le 11 novembre dernier ;
Certes, il a également salué la rencontre de ses deux prédécesseurs le 10 juillet 2021 à Daoukro, au cours de laquelle Henri Konan Bédié a eu des mots forts en direction d’une décrispation de la vie politique et de la réconciliation ;
Certes, il a loué à juste titre la bonne tenue de la Côte d’Ivoire dans la traversée inédite de la pandémie à COVID 19 qui a affaibli l’économie mondiale.
Mais aucun incarcéré de la grande crise post-électorale de 2010/2011, n’est concerné par les mesures d’élargissement ;
Mais la liste des cent noms établie par Laurent Gbagbo et donnée à Alassane Ouattara lors de leur rencontre n’a pas, en grande partie, été prise en compte ;
Mais le courrier récent d’Henri Konan Bédié, véritable catalogue des doléances de l’opposition (dont « la libération générale des prisonniers des crises sociales que nous avons subies »), préalable nécessaire selon elle pour « l’ouverture d’un dialogue inclusif pour la réconciliation et la paix durable » afin d’atteindre « la réconciliation vraie des Ivoiriennes et des Ivoiriens », est restée, pour l’instant, lettre morte.
Certes, la Côte d’Ivoire « n’est pas en crise », selon les éléments de langage largement diffusés par les proches d’Alassane Ouattara. Il ne serait donc pas nécessaire d’aller plus loin que ce qui a déjà été fait ;
Certes, l’économie ivoirienne croît, la politique du gouvernement s’oriente vers un bénéfice plus partagé des fruits de la croissance ;
Certes, les Ivoiriens vont et viennent, en toute liberté, à leurs occupations.
Mais on a vu, toutefois, en octobre/novembre 2020, à quel point une forte tempête peut en un clin d’œil succéder au calme apparent. C’est bien le signe, contrairement aux verbatim complaisamment diffusés par la majorité, que les Ivoiriens ne sont pas encore totalement réconciliés. De l’aigreur et de la rancune dorment encore au fond des cœurs. Il suffit d’un rien pour les réveiller.
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Le Président Ouattara n’a pourtant pas souhaité prendre, cette fois-ci, une nouvelle initiative d’une action forte, ostensible, visible de tous, incluant tout le monde, pour dépasser définitivement les meurtrissures du passé.
Certes, beaucoup a déjà été fait pour tendre la main à l’opposition. La grâce présidentielle accordée, il y a trois ans, à Simone Gbagbo en a été le point d’orgue. Je l’avais ici saluée. Le retour accepté de Laurent Gbagbo dans son pays après son acquittement à La Haye, avec les égards dus à son rang d’ancien Président, achève le processus de mise en place des éléments pour, maintenant, ouvrir le dialogue.
Mais le Président Ouattara aime les surprises. Il ne goûte pas se trouver où on l’attend. Cette année, pour son discours du 6 août, on l’attendait et on attendait plus. Alors la surprise est venue du fait qu’il n’a pas accédé totalement à cette attente, montrant que lui seul, maîtrise le temps et les horloges de réconciliations.
Espérons que la politique du « pas à pas » ne démotive pas les uns et les autres. Tous les acteurs semblent se trouver dans les dispositions idéales pour enfin se parler. Il serait dommage de laisser passer, pour des raisons secondaires, cette belle occasion.