Les Ivoiriens pleurent, ils ont perdu comme un parent, le mercredi 10 Mars soir. Chaque personne vivant dans ce pays a une histoire singulière avec cet homme, Hamed Bakayoko, foncièrement bon, humain et généreux. Il était l’ami de tous, et chacun, qu’il le connaisse ou pas, se sentait proche de lui.
« N’oublie jamais d’où tu viens, dit l’adage, si tu veux savoir où tu vas ». Il n’a jamais oublié le quartier d’Adjamé où il a grandi et s’étonnait parfois, pour s’en émerveiller, du chemin parcouru. Sa bienveillance naturelle lui venait de là. Sa colonne vertébrale aussi. Il aimait aider. Il aimait faire plaisir. Il connaissait profondément les Ivoiriens dont, en quelque sorte, il en représentait l’âme profonde. Il savait parler au peuple, dont il a partagé la condition, et aux jeunes, qui voyaient en lui un exemple de réussite. Alors, les gens l’aimaient en retour.
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Hamed Bakayoko était l’un des hommes politiques les plus populaires de son pays. Des jeunes, désintéressés par la politique ou même se sentant proches de l’opposition, pleuraient hier soir. La popularité du Premier ministre, dans toutes les couches de la population, sa capacité à pouvoir parler et négocier avec tous les courants politiques sans exception, en faisaient un atout maître pour le pouvoir.
Pour la première fois depuis l’élection du Président Ouattara, tous les partis politiques existants en Côte d’Ivoire ont participé récemment à une élection nationale, en l’occurrence les élections législatives, dont le scrutin s’est déroulé samedi 6 mars dernier ; pour la première fois depuis de nombreuses années, ces élections n’ont eu à déplorer aucune victime. Cela, en grande partie grâce à lui qui était un homme politique avisé, instinctif, d’une rare finesse d’analyse. Les Ivoiriens ont perdu un Homme (au sens quasi philosophique du terme, c’est-à-dire un homme complet et avisé), le pays a perdu un grand homme.
Dieu seul sait jusqu’où son destin si brillant l’aurait porté. Lui-même disait souvent ne pas vouloir se projeter. Il n’avait aucun de plan de carrière préétabli. Il préférait, en homme de devoir, laisser faire son destin et son mentor, le Président Ouattara, auquel il avait indéfectiblement lié son sort. Durant toute sa vie publique, il a fait preuve de la plus grande loyauté à l’endroit d’Alassane et Dominique Ouattara qui lui ont mis le pied à l’étrier en politique. Y compris quand il dut s’effacer devant le Premier ministre Gon Coulibaly, son prédécesseur, dans la perspective de la présidentielle de 2021.
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Le pouvoir en soi ne l’intéressait pas plus que cela. Il savait les renoncements qu’il implique. Si toutefois l’opportunité devait se présenter, il la saisirait. Certains, pour cette raison et parce que, très trop happé par la politique, il n’avait pas fait de grandes études, ont commis l’erreur de le sous-estimer. Ils l’ont appris à leurs dépens. Car sa réussite, dans le champ politique comme économique, il la devait à un instinct sûr, un charme hors norme et surtout à une grande capacité et un acharnement au travail. Il avait l’intelligence du cœur, celle des hommes et des situations. D’une exigence absolue à l’égard de ses équipes qui redoutaient ses brutales foucades, il ne laissait jamais rien au hasard. Voilà à grands traits qui était Hamed Bakayoko, l’espoir de toute une génération et d’une immense partie du peuple ivoirien.
Moi, c’est juste un ami que j’ai perdu hier soir. Pas que je fusse de son tout premier cercle, non, mais comme tous les Ivoiriens, j’ai mon histoire personnelle avec lui, une relation faite d’affection réciproque. Elle fut la conséquence d’une anecdote que, pour la première fois, je dévoile publiquement ici, et qui scella une sorte de « pacte de confiance » entre lui et moi. C’était un an environ après l’installation au pouvoir du Président Ouattara. Hamed Bakayoko était ministre d’État, Ministre de l’Intérieur et de la Sécurité. Moi, je dirigeais toujours la rédaction francophone de France 24. Nous étions donc au début de l’année 2012. J’appris par une incroyable indiscrétion venue de la Haye (via une journaliste de la rédaction de France 24), que le Président Gbagbo, jusqu’ici en résidence surveillée à Korhogo, dans le nord du pays, serait prochainement transféré à la Cour Pénale Internationale, à La Haye. Nous étions un jeudi. J’appelai immédiatement le ministre Bakayoko pour recouper cette information cruciale à Abidjan. C’est à la réaction du ministre que j’en compris le caractère extrêmement confidentiel et potentiellement explosif : un silence assourdissant qui marquait à la fois la stupéfaction et la crainte que l’information s’évente.
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Le transfèrement devait avoir lieu le lundi ou le mardi suivant, avec un week-end entre temps. J’ai pris conscience, à travers cette éloquente réaction, qu’une telle information, si elle était divulguée par France 24 risquait de créer des troubles à Abidjan. J’ai donc proposé au ministre de retenir l’information en lui demandant de m’informer dès que l’avion qui emportait le Président Gbagbo quitterait le sol de la Côte d’Ivoire. C’est ce qui s’est passé, un acte fondateur dans la relation de confiance qui ce jour-là est née entre Hamed Bakayoko et moi. Elle ne s’est jamais démentie.
Depuis hier soir, plus que jamais, je suis Ivoirien, et je pleure. J’embrasse son épouse, Yolande Bakayoko, et ses enfants. J’embrasse tous ceux qui l’aimaient. Yako! Yako! Yako!