J’ai peur. Oui, depuis quelques temps, j’ai peur de la guerre. Comme tout le monde, me direz-vous. Je pense, également comme tout le monde, qu’il faut absolument l’éviter. La question est de savoir « comment le faire ? ».
Est-ce parce que je vis loin de l’Europe, que je l’observe depuis l’Afrique, en longue focale, mais ce que je vois de la situation internationale, de l’enlisement de la guerre en Ukraine à l’escalade verbale de Macron et de Poutine, de la montée des partis anti-système et des populismes en occident à l’explosion de l’antisémitisme, du fléchissement de l’entrain occidental à soutenir l’Ukraine à la possible victoire de Trump à l’élection présidentielle aux Etats-Unis, tout cela est source d’inquiétudes de plus en plus vives. « Sources d’inquiétudes », vous l’avez compris, est un euphémisme. Parque qu’aujourd’hui, il y a la bombe nucléaire dans la guerre, autant dire la destruction d’une partie non négligeable de l’humanité. Alors, comment l’éviter ?
Il flotte actuellement un parfum d’années 30 sur l’Europe au bord du basculement. Il y a ceux, les plus nombreux, qui refusent de voir le danger. « Allons, allons, nous sommes entre personnes raisonnables ». Ils réfutent toute idée de réarmement, toute fermeté devant la Russie, tout soutien trop ostentatoire à l’Ukraine, petit Poucet qui résiste (combien de temps encore ?) à l’ogre Russe, de peur d’apparaître aux yeux de Poutine comme un belligérant. Ils pensent que l’histoire s’est arrêtée après la chute du mur de Berlin et l’effondrement du bloc soviétique. Ils croient dur comme fer que la paix est un acquis définitif de l’histoire. Ou s’ils ne le croient pas, ils ont sûrement l’impression que leur posture « pacifiste », « non agressive », les protège du danger. Ceux-là critiquent le durcissement du ton du Président français à l’endroit de Vladimir Poutine. « Les cons ! », s’était écrié Edouard Daladier, Président du conseil français, rentrant en septembre 1938 de sa rencontre à Munich, flanqué du Premier ministre Britannique Neville Chamberlin, avec le Führer, Adolphe Hitler. « Les cons ! », c’étaient les français venus en masse l’acclamer à sa descente d’avion, lui qui avait soi-disant « sauvé la paix » en signant, avec le britannique, « les accords de Munich ». Il avait conscience que le peuple célébrant la paix se trompait lourdement. Il avait signé parce que son peuple, qui refusait la guerre, l’exigeait. On connaît la suite. L’histoire a lourdement condamné ces dirigeants de démocraties occidentales, « mous » ou « aveugles » qui, ayant offert leur faiblesse au dictateur allemand, lui ont laisser les mains libres pour ravager l’Europe. Au passage, je veux dire à ces « pacifistes des temps modernes », qui sont les premiers à critiquer l’Union Européenne dans ses fondements ou dans son fonctionnement, que c’est pourtant bien grâce à cette construction européenne qu’ils vivent en paix, cette paix à laquelle éperdument ils s’accrochent, depuis 80 ans. À ces aveugles d’aujourd’hui, parmi lesquels on trouve, comme par hasard, La France Insoumise (la gauche radicale) et le Rassemblement National (la droite radicale), mais aussi des dirigeants occidentaux comme l’inquiétant nouveau-Chamberlin-Chancelier-Allemand, Olaf Scholz, je dis qu’ils feraient mieux de réviser leur histoire. Dans cette catégorie je place également ceux qui ne pensent rien, un gros ventre mou de l’échiquier politique français, qui va des Républicains aux socialistes, des centristes aux communistes. Eux, ne comprennent pas Macron ou refusent -bêtement- de le suivre pour des raisons purement politiciennes (on ne donne jamais raison à un adversaire politique). Ils jouent avec le feu. Il faut exclure de ce sac informe le leader de la liste socialiste aux élections européennes, Raphaël Glucksmann (mais paradoxalement, lui, n’est pas membre du Parti Socialiste), député européen sortant, qui réclame à corps et à cris un soutien bien plus fort à l’Ukraine.
Emmanuel Macron, en ces heures complexes, incarne le camp minoritaire du réalisme, celui de la fermeté face au dirigeant Russe. « Rien ne doit être exclu pour poursuivre l’objectif qui est le nôtre : la Russie ne peut ni ne doit gagner cette guerre », a -t-il déclaré récemment en République Tchèque. Il est allé jusqu’à affirmer ne pas écarter l’hypothèse d’envoyer des troupes en Ukraine. Je le dis avec d’autant plus d’aisance que je ne me suis pas privé de lourdement critiquer la gouvernance et l’attitude du Président français : Macron a raison ! (https://www.7info.ci/lechec-demmanuel-macron-en-marche-vers-le-vide/)
Il a raison parce que les démocraties, cela se mesure sans démenti dans l’histoire, ne sont jamais aussi fortes que lorsqu’elles sont fermes et unies. Et elles ne sont jamais autant en danger que lorsque quelles sont molles, faibles et désunies. À l’issue de la conférence de Munich, Winston Churchill, qui n’était pas encore Premier ministre, eut ce mot « Le gouvernement avait le choix entre la guerre et le déshonneur ; il a choisi le déshonneur et il aura la guerre ». Capituler devant une dictature n’est jamais un bon signe. Emmanuel Macron tente, ces derniers temps, de créer un électrochoc dans les opinions publiques occidentales. Il alerte, se montre de plus en plus précis sur la menace, pour leur faire prendre conscience qu’elles sont directement concernées, directement en danger par les décisions du Président russe. Car ce qui se joue en Ukraine pour les démocraties est tout simplement leur survie.
Ces déclarations du Président français ont suscité une levée de bouclier en France et en Europe. C’est le même Macron que les mêmes personnes critiquaient lorsqu’il disait vouloir conserver un fil de dialogue avec Poutine, qu’il prônait la modération, la discussion, bref, la voie diplomatique, pour éviter d’« humilier » le dirigeant russe. On ne peut pas lui reprocher de n’avoir pas essayé, au point, lui, d’encaisser une forme d’humiliation lorsqu’il fut reçu à Moscou, avec une cuillère à très longue queue, autour d’une table d’un kilomètre de long. Les démocraties tombent dans le même panneau qu’en 1938 : la désunion, la crainte des opinions publiques, la faiblesse. Du pain béni pour Poutine qui reçoit le message cinq sur cinq. Plus les démocraties européennes se délitent entre elles, plus le doute grandit en occident, plus il sait qu’il pourra poursuivre la besogne après sa victoire en Ukraine. Les russes n’hésitent d’ailleurs pas à tenter d’influencer le débat public dans les démocraties occidentales, via notamment les réseaux sociaux.
Je ne suis pas spécialement favorable à l’envoi de troupes en Ukraine. Ce serait dramatique et cela doit rester un dernier recours. Mais le fait de se l’interdire, offre à Poutine un boulevard. En stratégie, l’adversaire doit demeurer dans le doute de ce que vous êtes capable de décider. Lui, sait le faire à merveille. Il sait malheureusement déjà que les démocraties européennes sont, pour le moment, arrivées au bout de ce qu’elles peuvent faire et c’est insuffisant pour l’arrêter. Pourtant, l’histoire démontre à l’inverse que la fermeté et l’unité des démocraties paie. Elles ont payé en1962, lors de la crise des missiles à Cuba. De même, lors de la crise des missiles à moyenne portée en Europe, au début des années 80, lorsque François Mitterrand déclara en janvier 1983, devant le parlement Allemand, le Bundestag, « Le pacifisme est à l’ouest, les euromissiles sont à l’est ». II joua un rôle crucial, apportant un soutien déterminant à son voisin, pour l’installation de missiles américains Pershing sur son territoire, pour contrer les SS20 soviétiques. Je ne peux m’empêcher, non plus, de penser, en ce moment, au sublime « discours testament » de François Mitterrand au parlement Européen, très personnel, alors qu’il effectue une tournée d’adieu en Europe, quelques semaines avant la fin de son second mandant, au printemps 1995. Il mourra huit mois plus tard. Il y explique sa conviction européenne, lui qui a fait la guerre, et qui a grandi dans une famille ou l’ennemi désigné était l’Allemagne. De toute la force qui lui restait, il s’écria du haut de cette tribune « une réalité s’imposera, mesdames et messieurs les députés, le nationalisme c’est la guerre ! » (https://fresques.ina.fr/mitterrand/fiche-media/Mitter00129/le-nationalisme-c-est-la-guerre.html). Le président Macron vient de reprendre ce même thème devant ses ministres : « Ne laissez pas entrer les nationalismes. Ils étaient déjà la guerre, ils sont désormais la défaite face à la Russie ».
Certes, il y a du calcul politique dans tout cela : à l’approche de l’élection européenne le Président français veut obliger les acteurs de la vie politique à se dévoiler et à clarifier leur position vis à vis de l’Ukraine. D’ailleurs, LFI et le RN le critiquent désormais sans nuance. Certes, le président dont le caractère disruptif le pousse toujours à se démarquer des autres, à vouloir « laisser sa trace » dans l’histoire, tient peut-être une occasion de démontrer qu’il aura été lucide avant tous les dirigeants occidentaux, si l’affaire tourne mal. Mais oui, Macron a raison de vouloir être ferme. Il a raison d’avoir multiplié par deux les crédits militaires Français dans une loi de programmation. Il a raison d’appeler les chefs d’Etat européens à ne pas être « lâches » face à la menace que représente Poutine. Nous sommes à un moment de cristallisation où les consciences doivent se déterminer. Mais pour le moment, Emmanuel Macron fait bien rire Poutine, parce qu’il est seul. Espérons qu’il trouvera les mots pour convaincre son opinion publique, d’abord, les dirigeants occidentaux, ensuite. Quant à nous, en Afrique, gardons-nous de croire que « ces histoires de blancs » ne nous concernent pas. Car le continent, que tout le monde présente comme « l’avenir du monde », a besoin d’un monde en vie pour se bâtir cet avenir radieux qui lui est promis.
Philippe Di Nacera