Analyses

[Édito/ Philippe Di Nacera]-Macron, le geste Gaullien 

Mis à jour le 10 juin 2024
Publié le 10/06/2024 à 1:03 , , , , , ,

Aucun Président de la République n’avait osé. Décider d’une dissolution de l’Assemblée Nationale après une défaite électorale de son camp lors d’une élection intermédiaire, en l’occurrence les élections au parlement européen, l’audace laisse sans voix le monde politique, les analystes, les citoyens français. Personne, absolument personne, ne s’attendait à cela.

 

Si elle est audacieuse, l’annonce est aussi risquée. Car cette fois-ci, pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, l’extrême droite pourrait accéder au pouvoir en France après les élections législatives, convoquées par le Président de République les 30 juin et 7 juillet prochain. Même si, dans son allocution, Emmanuel Macron a affirmé : « C’est une décision grave et lourde mais c’est avant tout un acte de confiance », beaucoup se demandent sur quoi il compte s’appuyer pour oser cette démarche. Sûrement sur l’idée que le choc de son annonce suscitera un « sursaut républicain » chez les Français pour empêcher une issue qui semble inéluctable.

Mais en moins d’un mois, il sera particulièrement difficile à son camp, politiquement démonétisé, d’élargir sa coalition pour barrer la route au Rassemblement National. La gauche, quant à elle, sera-t-elle capable de s’unir, laissant les rancœurs de côté, face à l’urgence, pour endiguer la vague bleue marine qui s’annonce ?

Enfin, dernière hypothèque, il n’est pas du tout certain que le fameux « plafond de verre », qui a toujours empêché le Front National, puis le Rassemblement National (RN), d’accéder au pouvoir, résiste encore cette fois-ci, tant la dynamique est du côté du mouvement Le penniste.

En cas d’accession du rassemblement national au pouvoir, la société française pourrait se fracturer plus profondément encore avec des conséquences qu’on ne maîtrise pas. Quant à la politique étrangère de la France, en pleine guerre en Ukraine, elle connaîtrait un changement radical.

L’incertitude est encore plus importante en ce qui concerne la relation de la France à l’Afrique, particulièrement avec ses partenaires traditionnels. Devrait-on s’attendre à un replis plus important de la France ? Tous les secteurs de la politique économique (flux migratoires, par exemple), de la politique sociale (quelle sera le sort des bi-nationaux ?) seraient impactés.

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Il faut essayer de comprendre pourquoi Emmanuel Macron a pris cette décision.

On a connu des dissolutions de « confort », lorsqu’un président tout juste élu a dissout l’Assemblée nationale pour que la majorité parlementaire concorde avec la politique qu’il souhaitait mener (Mitterrand). On a vu des dissolutions « plébiscites », une spécialité du général De Gaulle et un essai raté de Jacques Chirac ; mais jamais la circonstance que nous vivons ne s’est présentée.

Il faut reconnaître au Président français un certain courage d’assumer la défaite de son camp et de demander aux français leur arbitrage. Rien n’est plus démocratique et indiscutable que l’appel au peuple souverain. Il y a du panache dans la démarche qui peut rappeller une posture gaullienne.

Depuis son accession à la magistrature suprême en 1958, De Gaulle avait gagné toutes les élections importantes. La question d’une éventuelle dissolution ne s’était pas posée. Mais après une motion de censure qui, en 1962, avait renversé le gouvernent de son Premier ministre, Georges Pompidou, il avait fait appel à l’arbitrage du peuple et dissout l’Assemblée. Pareil, après la crise de mai 1968, il en appela aux français pour trancher. S’en étaient suivies deux victoires éclatantes pour son parti. C’est ce même mouvement, l’appel au peuple, que réalise Emmanuel Macron. Avec le risque, comme De Gaulle en 1969, de ne pas pouvoir rester si le peuple le désavoue.

Autre raison, plus tactique, qui a amené Emmanuel Macron à frapper si fort dimanche soir. En faisant cette annonce surprise en pleine soirée électorale, il a réalisé une sorte de « détournement d’attention » spectaculaire, volant la vedette au Rassemblement National. On ne parle plus, en France, que des élections législatives à venir. Et peut-être espère-t-il sans le dire, qu’une fois aux manettes, deux ans demi avant la prochaine échéance présidentielle en 2027, l’équipe RN montrera ses limites aux français qui, ainsi, hésiteraient à élire Marine Le Pen à la magistrature suprême.

Il n’est pas surfait de dire que la France vit aujourd’hui une de ses pages d’histoire, sur fond de crise politique, comme elle en a le secret. Personne à ce stade ne peut dire ce qu’en sera l’issue.

Philippe Di Nacera

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