Le Président américain interdit d’utiliser ses instruments de communication favoris, particulièrement Twitter? Dis comme cela, ça peut paraître étrange, et pour bons nombres, choquant. Comment une entreprise privée pourrait empêcher un chef d’État de s’exprimer? On serait ainsi en train de découvrir, mais peut-être un peu tard, un « Big Brother » privé, qui orienterait tout ce qui se dit dans l’espace public.
Pourtant, pour une fois, je me placerai du côté des géants des réseaux sociaux, les GAFA, qu’habituellement j’aurais plutôt tendance à pourfendre. Non pas parce que je n’apprécie pas le Président américain, mais pour des raisons de principe.
Quand je loue une maison ou une voiture qui ne m’appartient pas, je signe un contrat où sont stipulées les conditions d’utilisation de ces biens.
Quand je me rends chez quelqu’un, en général je ne me comporte pas comme si j’étais chez moi.
Quand aussi, je veux utiliser une plateforme qui me donne des possibilités de m’exprimer, cette plateforme ne m’appartient pas ; je dois me soumettre à un certain de nombre de règles pour pouvoir l’utiliser, règles que j’accepte expressément au préalable. Si, après plusieurs avertissements, je m’obstine à enfreindre ces règles, je serai éjecté, à juste titre, de cette plateforme.
C’est exactement ce qu’il se passe pour Donald Trump avec ses comptes Twitter, Facebook et Instagram. Un chef d’État est-il au-dessus des règles? Peut-il rouler sans assurance? Peut-il injurier les gens sur Twitter? Pousser à la haine? À l’insurrection? Raconter n’importe quoi? Propager de fausses informations alors que c’est justement ce que l’on reproche aux GAFA, d’être le meilleur vecteur de la diffusion des fake news? Non, non et non, pas plus Donald Trump que n’importe qui d’autre.
Le seul vrai reproche que l’on pourrait faire aux entreprises concernées et d’avoir agi trop tard, c’est-à-dire après une véritable émeute qui a débouché sur des morts. L’instigateur direct de ce triste état de fait est malheureusement un chef d’État. Mais voilà des années, depuis qu’il est élu, qu’il jette de l’huile sur le feu, creuse un fossé de haine entre les Américains, propage ostensiblement rumeurs et fake news, sur Twitter, Facebook ou Instagram, au mépris des règles élémentaires, que toute personne qui ouvre un compte sur ces réseaux sociaux s’engage à respecter. Des avertissements, Trump en a reçu. Mais que n’ont-elles agi plus tôt, ces sociétés qui ont bien profité de l’audience que le président américain leur apportait et font mine aujourd’hui de se rendre compte qu’il, et elles avec lui, jouait avec le feu.
Alors oui, Twitter et consorts ont eu raison de couper le sifflet de Donald Trump. Mais elles l’ont fait bien tard et plutôt par opportunisme, pour ne pas être emporté elles-mêmes par la tempête, que par conviction.
Enfin, ceux qui s’offusquent de cette décision des GAFA à l’endroit de Donald Trump disent « c’est scandaleux d’empêcher un homme qui représente 78 millions de citoyens de s’exprimer ». Le problème est que ces réseaux sociaux sont devenus comme autant de fora publics de discussions, directement entre les individus, un lieu de libre expression, d’échange, de controverses et pourquoi pas, de polémiques. Ils oublient que, même si tout ceci est vrai, tout ceci est encadré par un règlement que tout utilisateur doit respecter. Ne pas le faire respecter à Trump ouvrirait à tout un chacun la voie à tous les excès. C’est déjà limite, les débordements sont quotidiens. Si les GAFA apprennent enfin à dire non, quel que soit le statut de la personne concernée, alors cette histoire de prise d’assaut du Capitole aura au moins servi à quelque chose.
Philippe Di Nacera
7info