Analyses

Editorial- Béoumi doit remuer nos consciences / Adam’s Régis SOUAGA

Mis à jour le 21 mai 2019
Publié le 20/05/2019 à 12:06 , , , ,

Le 8 avril dernier, j’écrivais comme de façon prémonitoire que les ivoiriens avaient des pulsions semblables aux Rwandais, peu avant le déclenchement du génocide dans ce pays. (http://www.poleafrique.info/editorial-genocide-rwandais-et…/).

Ça n’a pas manqué ! Et là où on ne s’y attendait point. Dans le pays Baoulé, réputé pour son calme et son approche dialectique des questions. Cette fois-ci aura été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, pourrait-on dire. Un « accident » comme on n’en finit pas d’en dénombrer dans le pays, qui a coûté la vie à 9 personnes et fait 84 blessés.

Pourquoi ? Est-ce l’accident même qui a causé ces victimes ? Oui et non. L’accident a provoqué une bagarre avec blessé, mais pas de mort, quelques heures après une rixe entre les deux protagonistes.

C’est plutôt la résultante de la farouche volonté de certains d’en finir avec le dioula, considéré depuis longtemps comme le Mal de ce pays nôtre. Voilà ce qui a engendré le nombre de morts.

Les pyromanes tapis dans l’ombre qui souhaitent le match retour de la crise post-électorale ont vite trouvé le justificatif. « C’est le rattrapage, c’est l’échec de la réconciliation nationale ! » En quoi est-ce qu’un différend entre deux individus entame-t-il la paix entre les Ivoiriens, voisins dans les cours communes, partageant des limites de plantation, se côtoyant dans le quartier ou dans le village depuis des décennies ?

Ces courageux hommes et femmes du clavier, par le truchement des réseaux sociaux se sont régalés. Ils ont pour certains, joint leurs frères à Béoumi pour leur demander de tuer ces « kanga étrangers », ces envahisseurs sans village. Question de voir si en 2020, Alassane Ouattara et son parti, pas uniquement composé de nordistes, pourraient tenir face à l’équipe composite qui se met en place contre les dioulas et les traitres à leur solde.

Le 17 mai, à 13h32, le jeune avatar Franck Jordan Euro, sur la page FPI de Gbagbo écrit : « BRAVO A MES GRANDS-PARENTS KÔDÊ, BILAN DE LA SITUATION À BÉOUMI. Après brûlure du maquis Baoulé de Béoumi appartenant au neveu du maire actuel de Béoumi par les Dioula (étranger de CI), le peuple Kôdê a décidé de donner une petite leçon de morale à ces étrangers. Ils ont donc brûlé tous les magasins appartenant aux Dioula, les bœufs et moutons dans les enclos ont été sortis et égorgés. Certains bœufs tués par balle de fusils de chasse. Un camion transporteur de sable de construction en provenance de Bouaké a été brûlé et ses passagers chassés. Deux jeunes dioulas fuyant pour se réfugiés à Bouaké ont été interpellés avec leurs motos. Ils furent amenés chez le chef et livrés à la police mais leurs motos n’ont pas eu cette chance car elles sont allées en flamme. Un camion transporteur d’anacarde s’est vu stoppé. Le camion brûlé avec les sacs d’anacarde. Les passagers qui avaient pris la fuite se sont vus arrêter et tuer dans différents village aux alentours de Béoumi ».

Voici le récit des faits sur le terrain fait par cet activiste des réseaux sociaux, dans son langage.
Ainsi des sacs d’anacarde achetés à Béoumi sont partis en flamme du fait de jeunes Baoulé en colère. A qui appartenait l’anacarde brûlée ? N’est-ce pas le remake du Rwanda qui se dessinait sous nos yeux coupables quand, même les animaux sont décimés pour ne plus avoir trace de leurs propriétaires Dioula ?

« C’était mon grand souhait que tous les villages baoulé environnants de Béoumi se mobilisent pour riposter violemment et de façon très meurtrière pour que ces étrangers armés par Ouattara sachent que même si le crapaud ne mord pas, on doit éviter de mettre le doigt dans sa gueule. Bédié doit armer toute la population Baoulé sur toute l’étendue du territoire ivoirien comme Ouattara le fait avec les dioula » écrivait dans le feu de l’action Djéha Koffi Serge sur la plateforme ODCI.

Cet ex-agent de la protection civile qui se croyait en sécurité pour lancer cet appel à la guerre a été heureusement retrouvé et viendra répondre de son appel insurrectionnel. A-t-il dévoilé une stratégie camouflée sous le couvert de mots vindicatifs ? Lui seul pourra situer les ivoiriens sur un certain nombre de faits dont la distribution d’armes aux dioulas dont il a été témoin. Bien plus tard, il tente le repenti qui ne saurait prospérer. « Bonjour à tous et à toutes. Je suis Djéha Koffi Serge, je viens humblement par cette note présenter mes sincères excuses aux autorités et à toute la population ivoirienne qui ont été frustrées par mon commentaire lors des affrontements entre les allogènes et autochtones à béoumi. Vu les images qui circulaient sur Facebook, j’étais pris par la colère, d’où mes propos incontrôlés donc je demande pardon à tout le monde sans exception. vive la côte d’Ivoire »

Daouda Doumbia lui écrit : « Gbagbo ne peut rien faire et il ne sera jamais président dans ce pays. 2020, même si c’est guerre civile, nous les dioulas on est prêt. On va vous assassiner comme des chiens », soutenu en cela par Bamba Mohamed Ham qui indique après son « soutien frangin », qu’il « faudra un vrai front à l’instar du Rwanda ou de la Sierra Leone, là ce pays sera définitivement stable pour de bon » croit-il savoir.

Voici le décor planté. D’un côté des pro-Gbagbo et Bédié contre des pro-Ouattara mais pas de pro-Côte d’Ivoire comme du temps de Félix Houphouët-Boigny dont tout le monde se revendique.

Enfin de compte, ces jeunes ont-ils tort ? N’est-ce pas bien l’échec de la justice après la crise postélectorale de 2010-2011 qui conduit le pays sur le bord du gouffre qui fait craindre une élection de quelques heures, fut-elle la présidentielle ?

A Duékoué, à Abidjan on ne saura jamais qui a fait quoi. Les activistes pro-Gbagbo ont bien raison de dire aux affidés du pouvoir qu’aucune preuve n’a été apportée pour étayer la culpabilité de Laurent Gbagbo et de son pouvoir. Est-ce faux ? A la Haye, devant la justice internationale, l’élargissement sans frais de Gbagbo et Charles Blé Goudé ne sonne -t-il pas comme un échec pour le pouvoir? N’agit-il pas aussi comme un blanc-seing pour les plus extrémistes?

Si personne n’est coupable, alors il faut dans l’entendement des anti-dioulas, reprendre la bataille. Et ça se joue sur tous les fronts. On abuse des réseaux sociaux, on incite à la haine, au meurtre sans que la justice ne lève le petit doigt car, complexé par ceux qui ‘accusent d’être instrumentalisée. On laisse libre cours à des émotions meurtrières, on érige sans sourciller « des palais des martyrs » sans que l’Etat régalien ne tousse.

C’est aussi le laxisme du pouvoir qui voulait des 2011 embellir son visage face aux critiques de justice des vainqueurs créée par les médias français qui conduit aujourd’hui à ces dérives.

Béoumi devrait parler à la conscience de tous si tant est qu’il est encore temps. On en est arrivé à demander aux dioulas d’exhiber leurs origines, leurs villages, pour justifier leur « ivoirité ». Le Malinké ainsi établit à Daloa, à Gagnoa, à Béoumi ne se sentira pas plus Ivoirien que le Baoulé ou Bété tant qu’il n’aura pas dit d’où il vient. La nation ivoirienne si elle a semblé exister, démontre aux yeux de tous qu’elle n’existe pas encore. Béoumi, Duékoué, Zouan hounien et partout ailleurs sonne comme un échec collectif. Une seule institution pour sceller le pacte de paix, la justice dont le marteau devra sanctionner tous les acteurs, détenteurs de fusils, de machettes, auteurs ou coauteurs de ces actes ignobles. Ou des paroles de haine. Il ne faudrait pas laisser les choses en l’état car il y a tout de même 9 morts et 84 blessés !

Tous ces jeunes, ces personnes sans foi ni loi qui ont dans le secret de leurs maisons, appelé leurs frères à s’entretuer devront être épinglées et jugées pour servir une fois de leçon. La justice en a les moyens. La police a vu tous les posts appelant au meurtre, à la mobilisation contre des Ivoiriens, aux tentatives de justification. Ce sont des frères et sœurs, souvent seuls espoirs des familles endeuillées qui partent sans savoir la raison. Il leur faut une justice. Car trop c’est trop face à ce laxisme étatique qui ne rapporte aucune médaille de Nobel !

Adam’s Régis SOUAGA

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