Ce dimanche 7 avril, le Rwanda commémorait les 25 ans du génocide des Tutsis perpétrés depuis 1994. Les rwandais, tous ensemble, avec à leur tête le président Paul Kagamé, l’un des plus cités en exemple sur le continent, ont marqué un arrêt de souvenir. Pour rappeler à la conscience de chaque rwandais, bourreau hutu ou victime tutsi ce que l’Histoire leur a légué en héritage.
Des enfants nés en cette année 1994 entendent l’histoire triste de leur pays sans l’avoir vécue. Ils sont aujourd’hui, de jeunes adolescents qui contribuent à l’effort de développement de leur pays. La main dans la main, sans haine pour l’un ou l’autre. Les plus grands, les vrais coupables, essaient de panser les plaies et la traque aux génocidaires se poursuit de par le monde. Jean Bizimana, président de la Commission nationale de lutte contre le génocide, a présenté le long chemin qui a conduit, de la colonisation jusqu’en 1994, à la mort en dix jours de 800.000 rwandais, principalement des Tutsis.
Bien loin du chiffre de morts au Rwanda, il y a eu 3000 personnes tuées en Côte d’Ivoire, au cours de la sanglante et meurtrière crise postélectorale qui suivit la paisible élection du 28 novembre 2010. L’élection en elle-même s’est déroulée sans anicroche sur l’ensemble du territoire national. Jusqu’à ce que survienne la possession de corps et d’esprit, à en croire Paul Yao-N’dré, ancien président du conseil constitutionnel à cette période, de certains ivoiriens par le diable. Le diable fit son job.
Des mercenaires libériens, des miliciens pro-Gbagbo chauffés à blanc, des ex-rebelles baptisés FRCI, une population prête à en découdre face à des religieux divisés, la dynamite ne pouvait que sauter. Et faire les dégâts qui, à lire et entendre des Ivoiriens aujourd’hui, donnent à croire qu’il y a eu une amnésie collective pendant une courte période. C’est comme si ce pays de paix, légué par Félix Houphouët-Boigny n’avait pas été tailladé par une crise militaro-politique de 8 ans qui a laissé un gap d’ex-combattants démobilisés qui crient à l’oubli et demandent réparation. Les entend-on ? Bref !
La similitude entre le Rwanda et la Côte d’Ivoire se limite à des morts, pas dans la même proportion mais des morts qui résultent des dissensions politiques, mais aussi, d’une farouche volonté de classifier des ethnies, de réduire le Peuple à une frange d’ethnies. Quand il n’y a que deux groupes, Hutus et Tutsis, c’est plus facile pour les Hutus de lancer l’appel à l’extermination des « cafards ». La Côte d’Ivoire, avec ses 60 ethnies plus les métis en tous genres, ne pouvait pas vivre pareille expérience de nazisme tropical. Quoique, dans l’esprit collectif, par l’inoculation à dose homéopathique, paroles et écrits venimeux se suivant, un esprit malsain et dangereux a eu cours.
Par des touches de « plaisanterie », on a réussi à complexer des frères et sœurs, des amis que l’on a fui, refusant leur salut car ils étaient l’invasion, les voleurs de nationalité, avaient l’argent mais voulaient le pouvoir d’Etat, ça c’est un sacrilège. Une célèbre artiste comédienne s’est même permis de théâtraliser le décès brutal de la belle fille d’Alassane Ouattara sur les réseaux sociaux. Simplement parce qu’il est Alassane Ouattara dont il faut salir la descendance, la famille, le nom. On le hait pour avoir vaincu Laurent Gbagbo. On ne fait plus de politique, on est en plein délire, en pleine négation de l’Humain. Attention à ce que la haine ne prenne pas le dessus. Si à chaque fois, le Président ou le Premier Ministre rappelle à souhait qu’il « faut arrêter de faire peur aux ivoiriens et se faire peur », c’est bien parce qu’il y a de l’inquiétude. Si la Grande Chancelière, Henriette Dagri Diabaté, proclame « désarmons nos paroles », c’est bien qu’il y a une raison. Si la plateforme des leaders croyants pour la paix, la réconciliation, la cohésion sociale et le développement avec à sa tête Madeleine Yao et ses amis, se lance dans une croisière hebdomadaire du 6 au 13 avril pour prier et sensibiliser à l’unité, la paix et la cohésion sociale, c’est le signe palpable de la peur qui s’installe. Des signes avant-coureurs qui n’interpellent en rien des jeunes qui s’adonnent à cœur joie au soufflet de la braise divisionniste.
Des vidéos de pro X ou pro-Y pour « un équilibre de la terreur », « exterminer X ethnie ou Y ethnie » sans tenir compte de nos enfants eus avec des frères ou sœurs de telle autre ethnie circulent à profusion sans condamnation judiciaire. La liberté d’expression est devenue abusive en Côte d’Ivoire, surtout sur les réseaux sociaux. On se permet tout au nom du soutien à tel leader politique. Quand, Henri Konan Bédié invite des chefs traditionnels à huer des émissaires de Ouattara, c’est ce dernier qui est ainsi dans le viseur des huées. Et si ses partisans ripostent le jour où cette instruction est mise en œuvre ? Bonjour la chienlit dont on n’aura pas pris soin de mesurer la portée avant cette parole vengeresse. Les appels des religieux, des gardiens de la tradition, des ivoiriens épris de paix qui refusent de revivre décembre 2010 à mai 2011 semblent ricocher sur les pavillons durs de ceux qui veulent à coup de mots tranchants, porter le glaive dans le cœur du pays, la patrie de la vraie fraternité transformée en un ring sans limite. Pour un appétit de pouvoir. On va même jusqu’à tenter un putsch sur la Reine du Royaume Baoulé, un des plus organisés.
Juste parce que dans la conscience de ces « mercenaires coutumiers », leur ethnie devrait être le régent de la société ivoirienne, à vie, les autres étant bons pour accompagner, soutenir, financer, applaudir. Le pouvoir d’Etat, pas pour eux, vu comme des envahisseurs, des maliens, des burkinabè, des guinéens, tout sauf des Ivoiriens taillés sur mesure dans leurs esprits tordus. On n’a pas fini de purger le terrible concept d’ivoirité dans notre pays. Le Rwanda qui célébrera sur une semaine l’histoire du génocide, marque ainsi une halte pour regarder le rétroviseur de son Histoire et adresser à tous ceux qui ont ce genre de tentation, un signal fort. Il faut bien l’entendre.
Adam’s Régis SOUAGA