Les élections municipales passées, chacun en tire les enseignements politiques.
Le RHDP peut valablement revendiquer la victoire. C’est vrai en nombre de communes conquises ou conservées sur l’ensemble du territoire national. Même si, à quelques signes, on distingue un certain « agacement » dans l’électorat : la faiblesse de la mobilisation des électeurs en est un. Et, également, l’échec du RHDP à réaliser le « grand chelem » à Abidjan, comme il l’ambitionnait.
Le PDCI, lui, a fait relativement bonne figure, montrant, malgré ses dissensions internes, qu’il reste une force profondément implantée dans le pays et une vraie machine électorale. Il arrive néanmoins en troisième position. Il faut dire que les dissidents du PDCI, ceux qui, à l’image des Ministres Adjoumani et Danho, ont rejoint le RHDP unifié, contre les instructions du Président Bedié, ceux-là ont réussi leur coup. La plupart d’entre-eux se sont fait élire dans leurs bastions.
Quant aux indépendants, même s’ils sont de « faux indépendants », ils confirment que cette « étiquette politique », qui n’en est pas vraiment une, est un refuge pour les électeurs : elle s’installe comme étant la deuxième force politique du pays. Chaque élu indépendant regagnera, ou pas, son parti d’origine. En attendant, le vote indépendant agit comme une soupape d’ajustement à la disposition de l’électorat pour contrecarrer certaines décisions prises à Abidjan par les partis politiques. C’est une prime à l’implantation locale (qui a fonctionné aussi pour les PDCI-RHDP unifié), au détriment de l’appartenance politique. L’ampleur du phénomène des indépendants a d’abord surpris les observateurs et les acteurs politiques. Il s’incruste aujourd’hui durablement dans le paysage politique et constitue un autre signe d’une certaine distance des électeurs à l’égard des partis politiques.
Le FPI enfin, toujours handicapé par ses divisions internes, a plus de mal à étendre son implantation, dans la mesure où un groupe non négligeable de cette tendance politique a, hélas, boycotté le scrutin.
Sur le déroulement du scrutin, c’est tout de même assez inquiétant. Si la pré-campagne et la campagne s’étaient déroulées dans une ambiance bon enfant, samedi soir, à l’issue du scrutin, la tension était palpable. Trop de fraudes, dénoncées par les uns et/ou les autres, devant des électeurs effarés, incapables de trancher dans un sens ou dans l’autre, s’en remettant à une CEI passablement discréditée, en passe d’être profondément réformée. Trop de tensions aussi durant le dépouillement. On entend parler ici de menaces, là d’intimidations, ici encore de blocage ou de saccage de bureaux de votes. Cinq morts sont à déplorer. On dira « c’est moins qu’avant », ils sont cinq de trop. Ces faits ne sont pas admissibles dans un pays qui s’affiche comme démocratique. C’est aux candidats qu’il revient d’encadrer et de guider leurs plus chauds partisans. Il faut lire entre les lignes les organisations ivoiriennes et internationales qui ont « observé » ces élections sur le terrain. Sans dénoncer le scrutin elles évoquent à demi-mot les dérives derrière des bilans « globalement positifs ».
L’heureuse surprise est venue de candidats malheureux, qui ont su prendre la hauteur nécessaire pour reconnaître publiquement leur défaite. Il faut citer le député et maire de sortant de Fresco, Alain Lobognon, au Plateau, à Abidjan, le candidat du RHDP Fabrice Sawegnon et le député et maire sortant de Divo, Famoussa Coulibaly. Leurs gestes et leurs paroles d’apaisement, encore rares dans le paysage ivoirien, compteront comme des précédents.
Il y a tout de même une incongruité dont on comprend qu’elle est à l’origine de bien des tensions. Il faut dénoncer cette disposition légale, utile à plus d’un candidat, mais qui fausse considérablement les résultats dans certains endroits. La loi électorale, en Côte d’Ivoire, autorise les citoyens à voter ailleurs que sur leur lieu d’habitation. Chacun peut donc s’inscrire ou il veut sur les listes électorales. Énoncée ainsi, la mesure semble anodine. Cette autorisation des « électeurs nomades » ouvre pourtant la voie à toutes les dérives, certaines communes se trouvant, au final, quasiment avec plus d’électeurs que d’habitants… Les candidats qui s’y prennent bien préparent de longue date le scrutin, remplissant les listes électorales de chauds partisans, venus d’ailleurs, à coup de billets de 10 000. Si l’on parle d’assainir les pratiques en politique, cette drôle de loi est à éradiquer.
Philippe Di Nacera
Directeur de la publication