Macky Sall, le Président sénégalais, a supprimé le Sénat dès son élection à la magistrature suprême, pour dit il, « régler les problèmes énergétiques de son pays ». Et pourtant en Côte d’Ivoire, on s’apprête à élire des sénateurs dans quelques semaines. Mais le pays en a-t-il vraiment besoin ? Les spécialistes se prononcent.
La création d’un Sénat en Côte d’Ivoire, est une disposition prévue par la Constitution de la troisième République, votée par référendum, le 30 octobre 2016. C’est donc bien plus qu’une promesse que s’apprête à honorer le Président de la République, Alassane Ouattara, en dotant le pouvoir législatif, d’une deuxième chambre constituante. L’objectif pour les autorités ivoiriennes, décentraliser encore plus le pouvoir en permettant une représentation directe des administrés. Un réaménagement parlementaire dont le Président sénégalais, Macky Sall, a bien voulu se passer, indiquant que « j’ai supprimé le Sénat, et j’ai utilisé les fonds alloués à cette institution pour construire une centrale. Mon peuple a plus besoin d’électricité que de sénateurs qui ne servent à rien » avait t-il indiqué.
Pour le Docteur Eddie Guipié, enseignant chercheur, politologue à l’Université Péléforo Gon de Korhogo (Nord de la Côte d’Ivoire), un Sénat ne serait tout aussi inutile au pays.
« On n’a pas de tradition de monarchie comme la plupart des pays européens, encore moins un grand État comme les États-Unis d’Amérique ou le Nigéria, pour avoir deux représentants par sous-État, afin de participer à l’action législative. Pourquoi un sénat ? Nous sommes des africains et nos parlements fonctionnent déjà bien. On ne va donc pas multiplier les chambres qui parfois ne servent à rien. Au temps du Président Bédié, on était à 190 députés. Au temps du Président Gbagbo, 225 et aujourd’hui avec le Président Ouattara, nous sommes à 250 députés. Et je pense que ceux qui sont là sont aptes à recevoir les lois, délibérer et les adopter. On n’a pas besoin d’en rajouter. C’est déjà un problème » a t-il analysé avant d’évoquer la question de l’utilité des institutions dans le pays.
« Voici une institution par exemple, le Conseil Économique Social et Culturel où des personnes siègent et donnent leur avis, sur les actions gouvernementales. Mais on vous dit aussi, que le gouvernement n’est pas obligé de prendre en compte les avis, émanant de cette institution où les membres sont pourtant payés. En mon sens, c’est une institution qui ne sert à rien. En plus le Président Bédié avait en juillet 1997, entrepris une réforme de la Constitution, lui permettant de ne nommer qu’un seul sénateur. Malheureusement, cela n’a pu être appliqué, la cause au coup d’État de 99. C’est donc fort de voir que le Président Alassane Ouattara, nommera le tiers des sénateurs. C’est un autre fait à prendre en compte. Donc pour moi, la Côte d’Ivoire n’a pas besoin d’un Sénat » a conclu l’universitaire.
Ce sont 99 sénateurs qui constitueront la deuxième chambre du pouvoir législatif en Côte d’Ivoire, dès cette année. 66 d’entre eux, seront élus au suffrage universel indirect, tandis que les 33 autres seront directement nommés par le Président de la République, Alassane Ouattara. Ce qui assurera un certain confort au pouvoir, qui aura le tiers de cette assemblée. En tout, 352 membres siègeront au Sénat et à l’Assemblée Nationale car la Côte d’Ivoire compte déjà, 253 députés. Le professeur Dogbo Pierre, directeur de l’école des sciences politiques de l’Université Félix Houphouet Boigny, est lui aussi sceptique quant à la création de cette nouvelle chambre parlementaire. Pour lui, la création du Sénat est la satisfaction d’une simple envie politique.
« Anachronisme ou modernité ? Dans un monde où on parle de rationalisation des dépenses et de gestion optimale des fonds publics, créer un Sénat en Côte d’Ivoire pour prétendre démocratiser davantage le pays, est une chimère. La République Démocratique du Congo a par exemple un Sénat, mais le pays n’est pas tout aussi démocratique. Je pense que c’est simplement la satisfaction d’une envie politique qui explique cet entêtement de la part des dirigeants ivoiriens. La Côte d’Ivoire n’a pas besoin de Sénat. Vouloir absolument donner un sénat au pays alors que l’Assemblée Nationale n’a pas encore donné les résultats optimums de sa mise en place, est une erreur monumentale. Regardez, même le citoyen lambda ne sait même pas ce que c’est qu’un Sénat alors pourquoi s’y engager ? Il faut sortir des faux mimétismes. Et je puis vous dire que du point de vue de l’analyse politique, le Sénat en Côte d’Ivoire est inopportun. » a t-il conclu.
Le Sénat n’est pas encore fonctionnel mais son budget est connu. Il coûtera 3,375 milliards FCFA, à la Côte d’Ivoire. Si au Sénégal, il était bien plus élevé (8 milliards avec la suppression de la vice-présidence), en Côte d’Ivoire, cette disposition risque d’affecter encore plus le déficit budgétaire du gouvernement et partant, influer sur la dette extérieure. Pour le docteur Yao Séraphin, enseignant chercheur d’économie à l’Université de Bouaké (Centre Nord de la Côte d’Ivoire), le Sénat est un « gouffre à milliards ».
« On veut mettre en place une institution qui coûtera environ 4 milliards au contribuable ivoirien. Et ce budget a été fixé, alors que le Sénat n’est pas encore fonctionnel. Imaginez quand ce sera le cas. On risque de passer à près de 8 milliards FCFA. Le Sénat est un véritable gouffre à milliards. Certains pays l’ont expérimenté, notamment la Mauritanie, ou encore le Sénégal, où le Président a préféré construire une centrale solaire, plutôt que de dilapider les fonds publics dans une institution inutile. Le Sénat est une cathédrale dans un désert. Si vous construisez une cathédrale dans un désert, à quoi servirait-elle ? Cette chambre est une arnaque car l’État ivoirien devait plutôt chercher à réduire sa dette, au lieu d’en rajouter, en créant des institutions superflues. Un dirigeant qui utilise les ressources propres de son pays pour éviter au maximum l’endettement, ne s’engage pas dans ce genre de projet. C’est une erreur colossale du pouvoir » a estimé l’économiste.
Les élections sénatoriales en Côte d’Ivoire auront lieu le 24 mars prochain. Les voix s’élèvent de plus en plus pour demander au pouvoir, de faire machine arrière en abandonnant l’idée de la création de cette nouvelle chambre parlementaire.
Éric Coulibaly
Source : Rédaction Poleafrique.info