Alors que le Conseil café-cacao (CCC), organe en charge de la filière cacaoyère ivoirienne, a fixé à 1000 FCFA le kilogramme de cacao, à Vavoua, ville du Centre Ouest ivoirien dans la région du Haut Sassandra, la réalité est tout autre. Le prix est dévalué. Les producteurs sont contraints de brader à 650 FCFA voire 600 FCFA/kg leur produit… Reportage entre détresse des paysans et impuissance du CCC.
Le prix bord-champ dévalué
Pour la campagne 2020-2021 qui s’étend d’octobre 2020 au 31 mars 2021, les autorités ivoiriennes ont fixé à 1000 FCFA le prix du kilogramme de cacao. Une nouvelle qui avait suscité beaucoup d’espoir chez les producteurs. Malheureusement, leur joie a été de courte durée.
Deux mois à peine après la fixation de ce prix bord-champ, alors que la plupart des planteurs de Vavoua n’avaient pas encore récolté leur produit, certains acheteurs ont dévalué le prix bord-champ à 650 voire 600 FCFA. « Au début de la campagne, d’octobre à décembre, les acheteurs de produits prenaient le cacao à 1000 FCFA. Ils respectaient le prix minimum garanti producteur. Mais à partir de fin décembre 2020, le prix a connu une baisse à Vavoua. Il est passé à 650 FCFA. Ailleurs, je ne sais pas si la situation est pareille », se demande Patrice G, planteur à Bonoufla, village situé dans la ville de Vavoua. Et de s’alarmer : « On n’arrive plus à subvenir aux besoins de nos familles. La situation est très difficile pour nous. Nous sommes dans des difficultés financières et sociales. Nos enfants ne vont plus à l’école. Qu’allons-nous faire ? ».
Embouchant la même trompette, Kouadio Maurice, planteur de cacao de Oussoukro, village situé à six (6) kilomètres de Vavoua, accompagné de trois autres planteurs, interpelle les autorités en charge de la filière cacao sur le non-respect du prix minimum garanti.
« Tout ce qui se dit est archi faux. Ici, le kilogramme de cacao est à 650 voire 600 FCFA selon l’humeur des acheteurs. Nous invitons le Conseil café-cacao à mener une enquête pour se faire sa propre opinion sur le drame que nous vivons à Vavoua », insiste-t-il.
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Détresse des familles de producteurs
Machette à la main, Jean Bolou s’enfonce dans la plantation de vingt hectares de cacao de son père à Koffikro, village situé à une quinzaine de kilomètres de la ville de Vavoua. Ce jeune homme de 16 ans a arrêté l’école en classe de troisième au cours de cette année scolaire 2020-2021. Son père n’a pas de moyen pour payer sa scolarité. « J’aurais bien voulu poursuivre mes études, mais je ne peux pas à cause du manque de moyen. Mon père dit que cette année la vente de cacao n’a pas été rentable », révèle d’une voix triste l’ex-collégien. Et de confier : « Lorsque je vais à Vavoua et que je rencontre certains amis en tenue scolaire, je ne peux m’empêcher de pleurer ».
À cinq kilomètres, de là, à Kokokro, Jean-Paul. K, est assis près de sa fille âgée de sept ans, couchée sous un manguier. Elle souffre de complications respiratoires. Jean-Paul K attend l’argent de ses 4,8 tonnes de cacao. Il a vendu sa production à crédit à 3.120.000 au lieu de 4.800.000 FCFA. Ce mercredi 10 mars, il espère entrer en possession de son argent afin de conduire son enfant chez un médecin.
« Comme je ne pouvais pas conserver ma production, j’ai été obligé de céder mon cacao à crédit à 650 FCFA le kilogramme. Mon acheteur a promis de me régler aujourd’hui. Dès que je prends mon argent, j’irai à Abidjan avec ma fille à l’institut de cardiologie voir un spécialiste », raconte cet ancien docker reconverti en cacaoculteur.
La réfutation des acheteurs
Assis dans le magasin de stockage de la Société coopérative Espoir de Vavoua, dont il est le directeur, Moctar Ouédraogo, contrairement à ce que disent les producteurs, affirme lui, acheter le cacao à 1000 FCFA/kg, comme l’exigent les autorités ivoiriennes.
« Le prix bord-champ du kilogramme de cacao a été fixé à 1000 FCFA. À notre niveau, il n’y a pas eu de problème parce que nous sommes dans un programme de durabilité donc nous sommes encore mieux organisés que les autres. Aucun producteur ne vous dira que nous ne respectons pas le prix fixé par le Conseil café-cacao. Personne, preuve à l’appui, ne peut dire que ‘’Espoir’’ est composé d’acheteurs véreux », soutient-il.
Et pourtant, un plus loin, à la gare de Burkina Faso, se trouve un magasin de stockage. Les fèves sont exposées sur du plastique pour être séchées. Dans ce magasin sans écriteaux, le maître des lieux, Abdoulaye nous explique qu’il achète le kilogramme à 850 FCFA. Il se vante d’ailleurs d’avoir le meilleur prix. « Moi je prends le kilogramme de cacao à 850 FCFA. C’est le meilleur prix à Vavoua », lance-t-il à un producteur ayant en sa possession trois sacs de joutes dont le poids total est de 304 kilogrammes de cacao. Ce dernier visiblement heureux de vendre à 850 FCFA entre dans ledit magasin dans lequel se dégage une odeur de fèves de cacao. Un quart d’heure après, il ressort avec des liasses de billets de banque pour disparaître quelques instants plus tard sur un tricycle.
Un autre acheteur de produits dont le magasin est situé au quartier ‘’District’’ non loin de l’hôpital de Vavoua, à réfuter les accusations selon lesquelles il achèterait le kilogramme de fèves de cacao à moins de 1000 FCFA. Sans toutefois nous en montrer la preuve de ce qu’il atteste. Ne serait-ce qu’un reçu d’achat pour prouver sa bonne foi.
Ce que dit le Conseil café-cacao
Pour Amon N’Goran Guy Roger, responsable de la délégation régionale du Conseil café-cacao (CCC)du haut Sassandra, sa structure sera impuissante face aux acheteurs de produits peu scrupuleux tant que les producteurs n’auront pas le courage de les dénoncer.
« Le prix minimum garanti est fixé à 1000 FCFA. Et tous les acteurs de la filière sont censés le respecter. Mais si d’autres planteurs au lieu d’exiger les 1000 FCFA par kilogramme, acceptent des sommes en dessous, on ne peut rien faire. Ce que nous disons aux producteurs, c’est de refuser de vendre à un prix dérisoire. Maintenant, si les acheteurs veulent prendre par la loi de la menace et de force le fruit de leur labeur qu’ils nous informent et nous allons sévir. Et puis lorsqu’un producteur vend son cacao, il reçoit un reçu. Donc nous invitons tous ceux qui affirment avoir vendu le kilogramme de cacao à moins de 1000 FCFA de venir avec les preuves afin que nous puissions agir », commente-t-il.
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Sûrement dans les jours à venir, le CCC devra aller voir de près ce qui se passe dans cette ville du centre ouest, réputée grande productrice de cacao (entre 60 et 80.000 tonnes par an). L’or brun constitue la principale source de revenus des paysans à Vavoua, acheter le fruit de leur dur labeur à vil prix, serait contribuer à la paupérisation de la classe paysanne.