Proscrite depuis 1964, la polygamie pourrait être réintroduite en Côte d’Ivoire. Et pour cause, dénonçant ce qu’il considère comme une hypocrisie généralisée, le député de Koumassi, Sangaré Yacouba, a déposé une proposition de loi pour légaliser la polygamie optionnelle. Dans l’opinion publique, le sujet divise et les associations féminines montent au créneau. Parmi elles, l’Association des droits de la femme ( AIDF) de Constance Yaï, l’ancienne ministre de la Solidarité et de la Promotion de la Femme.
Vous avez marqué votre opposition à la proposition de loi du député Yacouba Sangaré de légaliser la polygamie optionnelle. Pourquoi ?
La raison est toute simple, pour le respect de la dignité humaine. C’est depuis 1964 que le premier président de la Côte d’Ivoire, feu Félix Houphouët-Boigny avait institué la monogamie. Qu’en est-il aujourd’hui et qu’est-ce qui autorise un député d’un parti Houphouétiste à remettre en cause les fondements de la société ivoirienne ? Je le fais d’abord parce que je n’ai pas le choix, car le député Sangaré me remet au travail. Avoir été ministre de la Femme, avoir fait des propositions en conseil des ministres pour améliorer le statut de la femme et l’état de la famille dans notre pays ne m’autorise pas à garder le silence.
Est-ce que la polygamie ne concerne que les hommes ?
Il y a une facilité que l’on a aujourd’hui au niveau du discours patriarcal à n’employer le terme ‘’polygamie’’ que par rapport à la gent masculine. C’est une erreur parce que le mot polygamie est formé de deux éléments d’origine grecque : « poly » qui correspond à l’adjectif « polus » lui signifie « plusieurs ». « Gamie » correspond au nom « gamos » qui signifie « le mariage ». La polygamie définit plusieurs mariages. Donc que l’on soit un homme ou une femme, on est polygame quand on est marié à de multiples partenaires. Dans le cas d’espèce, on aurait plutôt parlé de polygynie concernant les hommes et de polyandrie quand il s’agit des femmes. Malheureusement, dans l’entendement général, quand on parle de polygamie, on pense à la polygamie masculine et beaucoup de gens s’en contentent.
La Côte d’Ivoire est un pays laïc certes, mais compte plus de 42% de musulmans et dans l’Islam la polygamie masculine est autorisée. Ne pensez-vous pas que cette loi pourrait permettre aux coépouses dans l’Islam d’être égales vis-à-vis de la loi et de pouvoir donner à leurs enfants l’héritage qui leur revient ?
J’aurais répondu bien volontiers si la Côte d’Ivoire était un État religieux. Nous sommes un État laïc, vous nous voyez en train de nous engager sur une pente dangereuse qui est celle des désidératas des différentes religions qui ont cours dans notre pays. C’est pour cela que nous avons interpellé le député de Koumassi en lui disant qu’il est en train d’ouvrir une boite de Pandore. Qu’il prenne garde de ne pas faire exploser la société ivoirienne parce que le danger est présent. Cela veut dire que chaque communauté, chaque religion et chaque groupe ethnique va regarder dans sa bassine et dire voici ce qui se passe de mon côté. La Côte d’Ivoire est le pays de tous les Ivoiriens, quelle que soit leur religion. Si ce débat a lieu aujourd’hui c’est simplement parce que nous n’avons pas été écoutés à temps.
Il y a quelques années, nous disions que dans certaines communautés, des guides religieux ne respectaient pas la loi ivoirienne. Il est temps de remettre les choses à plat et de faire en sorte qu’Ivoiriens du nord, du sud, de l’est et de l’ouest, la loi puisse s’appliquer à nous tous. Maintenant, en tenant compte des différences ethnique ou religieuse, de quelques groupes que ce soit, chacun vivra sa vie comme il voudra, mais tout en se conformant aux règles nationales. Il ne faut jamais oublier que la loi doit être impersonnelle et au-dessus de chacun de nous.
En évitant ce débat sur la polygamie masculine, est-ce que ces femmes ne sont pas condamnées à un mariage qui n’est pas reconnu par le droit civil ?
Vous créez un débat entre la loi et ceux qui se moquent de cette loi. Lorsque vous vous mettez en ménage clandestin ou officiel avec un homme et dans cette hypocrisie dénoncée par le député de Koumassi un homme trompe sa femme, vous entendez parler de deuxième bureau. C’est une offense à la femme et à la dignité humaine. Vous entendez un discours passéiste qui veut que ces pauvres hommes qui ont souffert de la polygamie dans leur enfance, ils s’arrogent le droit de disposer de plusieurs femmes pour lesquelles ils décideraient. Nous sommes dans un pays où la loi sur le mariage a évolué en ce sens que l’homme et la femme sont tous deux responsables et tiennent le rôle de chefs de famille. Maintenant que les hommes veulent multiplier les partenaires féminines par deux parce que personne ne parle de la possibilité pour les femmes d’épouser deux ou trois hommes, ce qui à mon avis devrait pouvoir être défendu par ces mêmes députés, on se demande bien pourquoi ils créent une discrimination entre les hommes et les femmes.
En le faisant, ces personnes violent encore les engagements de notre pays. Depuis 1995, la Côte d’Ivoire a ratifié la Convention sur l’élimination des discriminations à l’égard des femmes. Donc, tout état ayant ratifié cette convention se doit d’abroger les lois internes qui discriminent la femme, se doit de mettre au même niveau les hommes et les femmes concernant son arsenal juridique national. Alors, comment expliquer qu’un membre du Parlement ivoirien ayant connaissance de toutes ces règles nous demande de faire un rétro pédalage, pour retourner à l’âge de la pierre taillée ou de la pierre polie.
La première chose à faire c’est d’avoir dans notre pays des hommes généreux et courageux. Lorsqu’une relation conjugale ne peut plus continuer, on y met fin. Malheureusement, quand ça ne va pas dans les ménages, très souvent ce sont les femmes et les enfants qui sont les sacrifiés parce que les finances sont aux mains des hommes. Cela aboutit à un autre problème qui est l’inégalité chronique entre les revenus des hommes et des femmes. Chose s’explique par le fait que notre Assemblée nationale est composée d’hommes et d’une petite minorité de femmes. Aucun parti politique ivoirien présent au Parlement n’a respecté la loi sur le quota des femmes. Il y a tellement de choses qui ne vont pas et le député de Koumassi a commencé quelque chose, nous l’en remercions et nous promettons de la terminer avec plaisir. Il nous faut aller jusqu’au bout d’une certaine logique, à savoir respecter la Constitution, appliquer les lois ivoiriennes et respecter les engagements pris par notre pays.
Pour l’instant, on en est qu’au stade de proposition de loi. Qu’est-ce que vous comptez faire pour empêcher l’adoption de cette loi en Côte d’Ivoire ?
La première des choses, c’est de prendre la population à témoin et recadrer le débat. Dire aux ivoiriens et aux Ivoiriennes que ce débat n’a pas lieu d’être, surtout au niveau du Parlement. La question de fond est celle de l’absence de contrôle de la sexualité masculine dans notre pays. En même temps que les hommes veulent contrôler les femmes sexuellement, ils ont eux une frénésie libidinale qui les amène à utiliser leur sexe de façon frénétique. C’est ça l’hypocrisie de ce débat. Sachant que vous êtes mariés, abstenez-vous de faire des enfants à tout bout de champ.
Si jamais la loi sur la polygamie était adoptée, qu’est-ce que vous feriez ?
Cette loi ne peut pas être adoptée à moins de changer le nom de notre pays, les couleurs du drapeau national et son hymne national. L’on constate que les valeurs qui ont fondé l’Houphouétisme sont piétinées par ce député sous prétexte que l’adultère dans lequel certains hommes se sont installés et la pagaille familiale qu’ils ont créée ne trouvent pas de solution, alors il faut déstabiliser des familles entières, fragiliser et diviser la société ivoirienne. Pour l’instant, nous sommes à la mise en garde, si nous ne sommes pas entendues, nous allons interpeller le parti politique du député Sangaré dont il a l’aval. Si malgré tout notre appel reste lettre morte, nous allons nous adresser au Chef de l’État et en dernier recours, nous allons saisir le système des Nations Unies à travers le Comité sur l’élimination sur les discriminations à l’égard des femmes.
Entretien réalisé par Ashley Duprat