Société

Entretien/Kakpotia Marie-Claire Moraldo: « L’excision ne doit pas avoir le dernier mot sur la vie des victimes »

Mis à jour le 4 avril 2022
Publié le 06/02/2022 à 4:41 , ,

Aujourd’hui, dans certaines régions de Côte d’Ivoire, il est encore de tradition d’exciser de jeunes filles, parfois des petites filles. Pourtant, de nombreuses études médicales et associations déconseillent fortement ces pratiques jugées dangereuses. Pour la journée internationale contre les mutilations génitales féminines en Côte d’Ivoire, nous nous sommes donc intéressés à une association ivoirienne qui vient en aide aux femmes victimes de ces pratiques.  

Focus sur « Les Orchidées rouges ». Une association pour l’éradication des mutilations sexuelles féminines, du mariage forcé, et de toutes les formes de violences faites aux femmes et aux jeunes filles dès leur très jeune âge fondée par Kakpotia Marie-Claire Moraldo. Entretien.

Quel est l’état des lieux de la mutilation génitale féminine en Côte d’Ivoire ? Quels sont les derniers chiffres sur ce phénomène en Côte d’Ivoire ?

Malheureusement, non. Les chiffres en Côte d’Ivoire n’ont pas été mis à jour depuis 2012, où le taux d’excision était à 36%.

Y a-t-il des régions en Côte d’Ivoire qui sont plus touchées que d’autres par cette pratique ?

C’est une pratique qui est énormément répandue dans le nord de la Côte d’Ivoire, surtout dans la région de Korhogo. Mais, pas seulement. Un peu partout dans le monde également, dans toute l’Afrique, en Amérique du Sud comme dans les pays du Caucase, nous avons des cas de mutilations génitales.  C’est malheureusement un phénomène qui est répandu.

Vous êtes responsable d’une organisation dénommée «Les Orchidées rouges ». Pourquoi l’avez-vous créée et dans quel but ?

J’ai créé « Les Orchidées rouges » toute seule. Je n’avais pas le choix de toute façon puisque j’ai moi-même subi une mutilation sexuelle à l’âge de 9 ans en Côte d’Ivoire. J’ai grandi à Ferkessédougou au nord du pays et c’est pendant des vacances scolaires à Korhogo que j’ai été excisée. Cela a par la suite eu des conséquences sur ma vie de femme adulte. Notamment sur ma confiance en moi. Je me disais que je n’étais pas une femme à part entière. J’ai donc décidé de me reconstruire.

C’est quand j’ai réalisé que là où je vis, dans le sud de la France, il n’y avait aucune structure ou association de lutte contre cette forme de violences, que j’ai décidé de créer la mienne. Je ne pouvais pas rester sans rien faire.

En quoi consistent concrètement vos actions sur le terrain ?

J’ai toujours voulu militer activement et apporter ma contribution contre les mutilations génitales. Car, je ne veux plus que cela arrive aux petites filles. Mon action consiste à apporter des solutions concrètes de reconstruction psychologique tout d’abord. J’accompagne et je renseigne les femmes mutilées en leur disant que ce n’est pas fini. Je leur fais comprendre que leur vie n’est pas finie, malgré l’excision et la honte qui en suit. Je travaille et je dirige les femmes vers des médecins, des psychologues, des assistantes sociales et des chirurgiens esthétiques. L’excision ne doit pas avoir le dernier mot sur leurs vies. Cela nous a valu une reconnaissance auprès de l’ONU qui nous a octroyé le statut consultatif spécial auprès de son conseil économique et social en 2021. C’est pour dire qu’on peut changer les choses.

Quels sont les premiers besoins des victimes des mutilations sexuelles qui viennent à vous ?

Les premiers besoins sont l’accès à l’éducation, pour que nos filles et petites filles deviennent maîtresses de leur vie.

Bénéficiez-vous du soutien de l’État ivoirien dans vos actions ?

En France, nous avons une belle reconnaissance et le soutien de certains organismes, mais en Côte d’Ivoire malheureusement aucun représentant de l’État n’est venu à l’inauguration de l’association. Nous n’avons pas encore de soutien des autorités.

L’excision est une pratique culturelle qui existe dans certaines sociétés africaines. Est-ce facile de les faire abandonner ?

Non, ce n’est pas facile du tout. Mais nous restons confiants, car nous sommes convaincus que les traditions vont évoluer. Il y a certaines pratiques qui ont été aujourd’hui abandonnées, alors qu’elles faisaient l’unanimité.

Nous mettons en place des choses aujourd’hui, qui seront plus tard remplacées par d’autres traditions et pratiques.

Aujourd’hui, quand de petits garçons me disent, “Madame, l’excision c’est bien. Les femmes doivent être excisées sinon elles seront excitées”, ce sont des choses qu’ils entendent à la maison, mais qu’il faut leur enlever de la tête. C’est tout mon travail de leur expliquer que l’excision fait du mal. C’est un travail de longue haleine, loin d’être facile.

Quel bilan faites-vous de vos actions ? Les mentalités ont-elles évolué ?

L’éradication de l’excision se fait en plusieurs étapes. Il faut informer, sensibiliser et guérir. C’est là toute notre action.

J’observe qu’il y a une envie de changer les choses, surtout chez les femmes. Quand je leur dis qu’il ne faut pas chercher un mari riche, mais avoir l’ambition d’être chef d’entreprise, elles et acquiescent et applaudissent. Donc oui, les mentalités changent.

En Côte d’Ivoire l’excision est interdite par une loi promulguée le 23 décembre 1998 qui prévoit une peine de cinq à vingt ans d’emprisonnement en cas de décès de la victime. Cette loi est-elle suffisamment appliquée ?

Non pas du tout, mais ça, c’est lié au fait qu’on apprend aux femmes dans nos sociétés africaines à serrer les dents. Une fois dans un groupe de parole une femme me demande “Est-ce que j’ai le droit de refuser de faire l’amour à mon mari ?” Je lui ai dit, bien sûr, et elle me répond que dans son pays elle devait dire oui à tout. Vous voyez donc le problème. En Afrique on apprend aux femmes à dire oui à tout. C’est en cela que le combat pour l’éradication des mutilations génitales n’est pas du tout évident.

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