Certes, il s’en est sorti de justesse, dans la nuit du 15 juillet, face aux putschistes. Certes, le Président Erdogan a repris la main sur les pouvoirs publics, l’armée et le gouvernement, sauvé par FaceTime et, conséquemment, par son peuple. Mais est-ce un retour plein et entier ou un simple répit pour lui?
Souvenons-nous, nous sommes en août 1991. Le dernier Leader de l’ex-URSS, Michael Gorbatchev, coule des vacances tranquilles et sûrement méritées, dans la résidence d’été des chefs d’Etat soviétiques, en Crimée, sur la mer noire. Il est toujours alors le chef incontesté de la deuxième puissance mondiale de cette époque. Mais une tentative de coup d’Etat le neutralise pendant quatre jours. Qui est à l’origine du coup? La super-structure conservatrice soviétique, vieille garde du pouvoir, conglomérats économiques et services secrets (KGB), opposés aux vastes réformes que le chef de l’Etat a engagées, pérestroïka et glasnost (réformes économiques, transparence et démocratisation). Un agrégat polico-économique qui refuse ces changements qu’il assimile à une destruction pure et simple de 70 ans d’acquis. Aussi puissants étaient-ils à l’intérieur du pays, au coeur même du système soviétique, les putschistes n’avaient pas pu tenir devant la pression internationale. Quatre jours après le déclenchement du putsch, Gorbatchev revient. Mais le ressort est cassé net. Le Secrétaire Général du Parti Communiste soviétique a vu son autorité contestée, et durement. La magie du pouvoir, envolée en quatre jours, n’opère plus. Six mois plus tard, tout est fini. Gorbatchev, et avec lui l’Union Soviétique, sont emportés par une révolution de velours, au profit du maire de Moscou, Boris Eltsine, qui avait organisé la résistance de l’intérieur lors du coup d’Etat et s’avère par la suite le fossoyeur de l’Union Soviétique comme de l’idéal collectiviste révolutionnaire.
Le Président Erdogan a échappé au coup d’Etat. Ici aussi les militaires ont profité de ses vacances dans le sud de la Turquie, pour déclencher l’offensive. Ils ne voulaient pas, disent-ils, des changements constitutionnels en cours qui devaient renforcer le pouvoir déjà surdimensionné du Président turc. Mais ils n’ont pas pu tenir devant la pression du peuple. Erdogan a vaincu, il affiche sa force. Et il n’a pas tardé à agir. Sous couvert de faire la chasse aux putschistes et ceux qui les ont aidé, ce sont les écuries d’augias qu’il récure, profitant de l’aubaine pour neutraliser toute forme d’opposition, jusqu’au coeur de l’appareil d’Etat, y compris au sein du conseil constitutionnel. 6000 arrestations en moins de deux jours. Belle réactivité! À croire que monsieur Erdogan avait ses listes toutes prêtes…
Mais le tout puissant leader d’Ankara, qu’on le veuille ou non, a failli. Un pouvoir fort qui montre une faiblesse ne fait plus peur. Il n’est pas exclu qu’il paie cette faiblesse. Il est entré en vainqueur à Ankara. Mais, tout comme Gorbatchev vingt ans plus tôt, il ne porte plus tout à fait aussi beau. Son projet d’hyper présidentialisation du régime, qui est à l’origine du coup organisé par ceux qui dans l’armée rêvaient, comme dans l’URSS déclinante, d’une grandeur révolue, devra se faire vite ou ne se fera pas.
Pas sûr qu’en ayant sauvé Erdogan le peuple ait sauvé la démocratie. A moins que l’homme, affaibli par ce dernier soubresaut, ne puisse maîtriser les forces qui, mises en mouvement, risquent de l’emporter, en douceur cette fois.
Durcissement du régime ou grand chambardement. Toutes les options sont sur la table. Rendez-vous dans un an.
Philippe Di Nacera
Directeur de la publication