Voilà déjà six jours que le gouvernement ivoirien a été dissout par le Président de la République, Alassane Ouattara. Le Premier Ministre Gon Coulibaly a été immédiatement chargé de former un nouveau gouvernement.
Qu’est-ce qui se joue derrière la constitution de cette équipe Gon 2? Que devra -t-on observer dans la composition du nouveau gouvernement pour tenter de comprendre les enjeux, les intentions des uns et des autres, l’état des rapports de forces au sein de la majorité?
Nous attendions l’annonce du nouveau gouvernement ce vendredi. En lieu et place, nous avons pu observer un spectaculaire déplacement des deux plus hautes responsables du RDR, sa Présidente, la Grande Chancelière Henriette Dagri Diabaté, et sa Secrétaire Générale, la Ministre Kandia Camara, à Daoukro, au domicile du Président du PDCI, Henri Konan Bédié. C’est ce dernier qui les avait invitées au lendemain du Bureau Politique de son parti, le 17 juin dernier, pour aborder, semble -t- il, la question brûlante du RHDP, parti unifié. Le changement de gouvernement est venu s’immiscer dans ce calendrier.
Rien n’a réellement filtré des conversations mais l’on comprend que le Président Ouattara attendait cette rencontre hautement stratégique pour composer son futur gouvernement. Le communiqué produit par le Président du PDCI à l’issue de la réunion nous donne quelques indices : le parti unifié est bien au cœur des discussions. Durant la rencontre, Henri Konan Bédié a fait de nouvelles propositions écrites à l’endroit d’Alassane Ouattara, à travers ses prestigieuses émissaires. Lesquelles? Nous n’en savons, à ce stade, pas plus, si ce n’est qu’elles concernent les statuts du futur parti et les mesures transitoires. Le communiqué fait également état de « propositions » de la part des responsables du RDR, sans plus de précisions non plus. On peut aisément en déduire que d’éventuelles concessions des uns et/ou des autres autour du calendrier du parti unifié, point de crispation de ces dernières semaines entre les deux principaux partis de la majorité, seront déterminantes.
La place du PDCI dans l’architecture du futur gouvernement donnera une réponse à ces questions. Si plusieurs membres du vieux parti obtiennent, es qualité, comme ce fut le cas jusqu’à présent, des départements ministériels importants, cela voudra dire que le compromis autour du calendrier de mise en œuvre du RHDP, parti unifié, aura été trouvé. Une éclaircie temporaire pour la majorité, assortie, en principe, d’un retour au calme dans les rangs du PDCI et du RDR. Jusqu’à ce que la question du ticket candidat à l’élection présidentielle de 2020 soit à l’ordre du jour. L’hypothèse d’un maintien du PDCI dans le gouvernement pourrait sonner le glas de ceux des ministres PDCI qui sont récemment montés au créneau pour défendre, à travers la création d’un mouvement autonome se réclamant de Felix Houphouët Boigny, l’entrée rapide de leur parti dans le RHDP unifié. Une prise de position en contradiction avec les décisions officielles des instances dirigeantes du PDCI. En revanche, si le PDCI n’est plus associé aux affaires, même si certains de ses membres, y compris les ministres pré-cités, y participent à titre individuel, nous en tirerons l’enseignement suivant : les présidents Ouattara et Bedié ne se sont pas entendus, campant chacun fermement sur ses positions. L’absence de solution de compromis autour du rythme de la création du RHDP, parti unifié, n’augureraient pas plus de solution sur la question de l’alternance donc sur la composition du futur ticket présidentiel pour 2020. S’ouvrirait dès lors une nouvelle étape du quinquennat, plus incertaine, plus stressante pour les ivoiriens. Même s’ils savent que l’objectif de stabilité du pays, prioritaire pour le chef de l’Etat comme pour ses concitoyens (aussi bien pour des raisons internes qu’externes, sociales, économiques ou même d’image) restera, au fond, une boussole incontournable.
Le niveau de la délégation qui s’est déplacée à Daoukro marque assez l’importance du moment politique que nous vivons et de son enjeu. Rien de moins que le maintien ou la dislocation de la majorité. Les deux acteurs ont-ils décidé de « se compter », chacun de son côté, lors de la prochaine élection présidentielle? Même si la politique peut réserver des surprises spectaculaires, c’est la réponse à cette question que nous aurons ce début de semaine, avec le nouveau gouvernement.
Le dialogue bilatéral, qui ressemble de plus en plus à un dialogue de sourds, que se livrent en tête à tête le RDR et le PDCI, Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié, n’est peut-être que l’arbre qui cache la forêt. Il y a un second indicateur qu’il faudra scruter avec attention lors de la constitution du gouvernement. Il s’agit de la place où l’absence des soroistes dans le dispositif gouvernemental, c’est à dire la position de Guillaume Soro lui-même dans l’actuelle majorité. Pour l’instant, les soroistes n’ont plus de ministres. Mais l’on sait que le Président de la République et le Président de l’Assemblée Nationale Nationale se sont rencontrés deux jours avant la dissolution du gouvernement, pour, selon des indiscrétions de presse, « se dire des vérités et apaiser les tensions ». Toujours selon les mêmes indiscrétions, les deux hommes se seraient compris. Jusqu’à, pour les soroistes, revenir au gouvernement? Tout le monde a vu le rapprochement spéculaire, ces derniers mois, entre Guillaume Soro et Henri Konan Bédié et le durcissement parallèle de l’entourage du PAN, du PAN lui-même, à l’égard du RDR, de ses responsables et du Président de la République. Les tensions n’ont fait que s’intensifier depuis le boycottage du 3ème congrès ordinaire du RDR, en septembre 2017, par Guillaume Soro. Il n’est recommandé par aucun stratège de mener deux batailles de front. De « L’art de la guerre » à l’art de gouverner, Sun Su et Machiavel sont formels. Le Président Ouattara a sûrement intérêt à réduire l’un de ses deux fronts, voire les deux. Quitte à consentir des concessions. Car laisser filer Guillaume Soro et ses fidèles, qui s’autonomisent de plus en plus, dans les bras d’Henri Konan Bédié, n’arrangerait pas le Président de la République. Une alliance du PAN avec le patron du PDCI, jusqu’à dit-on participer à un ticket présidentiel concurrent de celui du RHDP, aurait son poids.
Le nouveau gouvernement sera soit un carré romain autour du Président soit un carré élargi aux soroistes soit une équipe à l’assise politique plus large. Quand la fumée blanche sortira, nous saurons ce qu’il en est des équilibres les plus fins au sein de la majorité. Le Président de la République, qui a son schéma pour 2020, veut en toute logique qu’il se réalise. Nous allons voir comment il souhaite y parvenir car aujourd’hui, c’est déjà 2020.
Philippe Di Nacera
Directeur de la publication