Côte d’Ivoire Culture

Interview, Diallo Mohamed Lamine: «Le Gouvernement du Président Bédié aidait les artisans »

Mis à jour le 21 mai 2019
Publié le 18/04/2019 à 8:22 , , ,

Prix  d’excellence du meilleur artisan de Côte d’ivoire éditions 1997 et 1999, décoré dans l’ordre d’officier du mérite en 2013, Diallo Mohamed Lamine est un artiste plein. Dans ce métier pourtant depuis les années 70, l’homme peine à se frayer un chemin. Rencontré dans un atelier de fortune dans sa cour, il dit être à bout de souffle, car la sculpture est abandonnée et ne nourrit plus. Aussi, invite-t-i les décideurs et les bonnes volontés à voler au secours de l’artisanat.

Vous êtes l’un des anciens sculpteurs de la région du Tonkpi, parlez-nous un peu des moments fastes de cet art dans la région avant la rébellion.

Avant la crise, la sculpture nourrissait son homme. Chacun se défendait bien. Il y avait le tourisme qui battait son plein avec assez de visites chaque jour. L’ivoirien aimait la sculpture et les choses marchaient bien. On n’avait pas besoin d’aller à Abidjan pour vendre, les touristes venaient.  Je me déplaçais souvent pour aller hors du pays, au Ghana, au Cameroun, en Guinée pour tailler de belles pièces en ivoire. Comme il est interdit de tailler l’ivoire, ce sont les bois nous taillons maintenant. Pour le bois, j’ai fait le Mali et bien d’autres pays afin de faire des sculptures.

Pendant toute cette période qu’est-ce qui vous a le plus marqué ?

C’est en Afrique centrale, au Cameroun que je garde des souvenirs inoubliables. Quand j’ai été au Cameroun, je suis allé en Guinée équatoriale. Au retour au Cameroun, j’ai été accueilli comme un prince. A cette époque partout où tu passes et que tu te présentes en tant qu’ivoirien, tu es bien accueilli.

Comment avez-vous vécu pendant la crise avec votre art ?

Au début de la crise c’était vraiment difficile. Avec ma politique de l’artisanat, j’ai été approché le major de l’armée française pour que nous puissions exercer. Il m’a dit qu’ils sont venus pour le maintien de la paix et non pour autre chose. Je lui demande alors si c’est pour les hommes, qu’il recherchait et maintenait la paix. Il m’a répondu que c’est pour les ivoiriens. Je lui dis de permettre à leurs hommes de venir nous voir dans nos ateliers pour nous permettre de vivre avec l’achat des objets d’art qu’ils emmèneront avec eux en guise de souvenir après leur mission. On a donc signé une convention et j’ai réuni tous les artisans. Pendant cette période la chambre nationale des métiers, n’existait pas dans la région. Mon atelier a servi de bureau à la chambre nationale de métiers. Avec l’armée française, je n’ai pas eu de problème, de même qu’avec les ex-Forces nouvelles.  A cette période, les articles de 25 000F étaient vendus à 3000f ou 5000f. Les Forces Nouvelles nous ont délivrés, des laisser-passer pour aller un peu partout dans leur zone de couverture. Nous étions dans la détresse et elles nous ont aidés.

Aujourd’hui, comment se porte votre milieu à Man ?

Vraiment ! Je regrette beaucoup. Ça me fait mal. J’ai mal au cœur. Avant la crise je suis allé représenter le pays jusqu’en France avec mes propres moyens et non ceux de l’Etat. Je suis allé en Hollande, en Allemagne et en Suisse au nom de la Côte d’Ivoire avec mes propres moyens. Aujourd’hui, un prix d’excellence, décoré dans l’ordre du mérite ivoirien, qui se retrouve dans un tel cadre. Dans un atelier de fortune. Qui n’arrive même plus à nourrir sa famille. J’ai tapé à toutes les portes, j’ai écrit plusieurs lettres aux cadres du Tonkpi. Mais en vain. J’ai été voir l’ex-maire et le préfet parce que les gens me fatiguaient avec les magasins que je louais. Le maire m’a trouvé un espace qui malheureusement est occupé par des individus. Pour éviter toutes les polémiques et d’être chassé, j’ai décidé de venir m’installer à la maison. Pendant trois ans, je n’ai vendu que trois pièces à 15000 francs. Je suis à bout de souffle. C’est le ministre de l’artisanat à qui j’ai adressé un courrier, qui m’a reçu et m’a remonté le moral. Il restait un peu, j’allais laisser, abandonner l’artisanat. Je suis une icône de l’artisanat qui souffre énormément. J’ai des larmes aux yeux. Je ne peux pas comprendre, dans un pays, une icône que son pays ne reconnait même plus. Quand il y a des expositions internationales, ce sont des marchands on fait partir et on laisse ceux qui produisent ces œuvres. Aujourd’hui, l’artisanat ivoirien en général et en particulier celui de Man est en train de disparaître. J’avais une dizaine d’apprentis juste avant la crise, mais aujourd’hui certains sont devenus apprentis-chauffeurs, cireurs de chaussures parce que je n’ai plus d’atelier. Je me débrouille comme je peux. Je taille de petits bois quand je suis fatigué, je vais me coucher. Heureusement que j’ai une femme qui me soutient vraiment. Cela fait cinq à six ans, elle est mon appui, elle m’aide avec l’argent de son commerce. Ce qui fait le plus mal, ce sont les expositions internationales. Au lieu de nous prendre, nous qui sommes des prix d’excellence, ce sont des copains, on prend pour aller représenter le pays. C’est quand il y a des petites expositions en Côte d’Ivoire qu’on se souvient de moi. Malgré ça, je vais. Je suis souvent obligé de m’endetter pour me rendre à ces expositions qui en réalité ne m’apportent rien. La médaille que j’ai eue me vaut de l’or, même si les gens ne me considèrent pas. Mes arrières-petits-enfants vont voir cette médaille. Actuellement l’art ne nourrit pas son homme. Ce qui peut nous arranger, ce sont les expositions internationales. Avec un ou deux voyages je peux m’en sortir.

Vous avez fait de nombreux pays, certains parlent de tracasseries dans des pays. Qu’en est-il exactement ?

J’ai fait assez de pays. Mais partout où je suis passé avec ma carte de la chambre nationale de métier, j’ai été respecté. Je circule librement. Mais dans mon propre pays, à tout moment, quand je me déplace avec un petit carton d’objets d’art, je suis obligé de payer souvent 5000 ou 10000f. A défaut, ce sont mes bagages qui sont déchargés, malgré que j’aie tous les papiers. Les arguments avancés par ces forces de l’ordre, c’est que c’est du bois que j’ai sculpté. Tout le monde groupe sur les artisans de la sorte à nos corridors dans ce pays. Qu’ils aient au moins pitié de nous, ces corps habillés. Et d’ailleurs, la Constitution permet de nous exonérer. Dans les autres pays on circule bien et c’est dans notre propre pays qu’on a du mal à circuler.

L’artisanat, surtout la sculpture qui est votre spécialité est en passe de disparaître. Que faut-il faire pour sauver la sculpture dans le Tonkpi ?

Je demande qu’on aide pour construire l’atelier de sculpture. Avec cet atelier, je vais réunir tous les artisans sculpteurs. J’ai des idées. Je vais discuter avec les cadres du pays et du Tonkpi. Ce que je demande n’est pas aussi grand que ça. C’est un bâtiment de 4 mètres sur 8 mètres pour un atelier de fabrication et une salle d’exposition en plus des toilettes. Il y a déjà un espace bien identifié ce sont les moyens qui manquent pour construire le bâtiment. Une fois que nous avons cet atelier, plusieurs jeunes viendront apprendre le métier. Un prix d’excellence, dans un tel dénuement ? Non, ce n’est pas bien. Mon nom figure dans le guide touristique ivoirien mais quand les gens viennent à Man, ils ne me voient pas parce que je n’ai pas d’atelier.

Avec tout ce bagage que vous possédez, pourquoi ne pas écrire un projet afin que Man soit dotée d’un centre artisanal ?

Le directeur régional du Tourisme que j’appelle affectueusement mon confident peut témoigner. Nous avons élaboré, en son temps un dossier-projet, qu’on a acheminé à Abidjan pour avoir l’ancien site de la GTZ qui est aujourd’hui la base des sapeurs-pompiers civils.  Même avant d’introduire cette demande pour avoir le site de la GTZ, c’est à l’entrée Sud  de Man que nous avons identifié un site bien approprié au pied d’une montagne. C’était un projet de 450 millions pour la construction d’un centre moderne avec salle d’exposition, salle de conférence et toutes les commodités. Le projet a été validé mais jusqu’à présent zéro. Pour ne pas que je reste sans rien faire, je demande que mon atelier soit construit en attendant que l’administration centrale pense à nous. D’ici là, ceux qui seront formés dans mon atelier, bénéficieront du centre artisanal. C’est ma politique. Je peux recevoir quinze à vingt apprentis que je peux former pendant que le centre artisanal sera construit. Depuis 1978, je pratique le métier auprès de mon père qui fut lui aussi sculpteur. J’ai un don immense que je dois partager aux autres.  C’est un métier très noble.

Ne pensez-vous pas que c’est un manque de volonté politique ?

Bien sûr que si. Nous avons l’impression que tout se limite à Abidjan et Yamoussoukro. J’ai rencontré un jeune lors d’une exposition en 1997 où j’ai été consacré meilleur. Aujourd’hui ce jeune avec l’aide des cadres de sa région, est internationalement connu. Il nous faut des jumelages et cela les cadres peuvent nous y aider. Man est riche. Toutes les espèces de bois de la sculpture sont ici dans la région. Je sculpte les racines qui sont les plus difficiles dans notre métier. En 1996, 1995, le gouvernement de cette époque voulait tellement m’aider qu’il demandait mes œuvres à la présidence pour expositions continues. Les étrangers qui visitaient la présidence repartaient avec mes œuvres et c’est le pays qui en était honoré. Mais aujourd’hui on est livré à nous-même. J’ai fait une œuvre pour la CEDEAO à la demande du président Bédié. Cette sculpture se trouve au siège de l’institution à Abuja.

Quel appel pouvez-vous lancer?

Je pense avoir tout dit. Je compte sur le gouvernement, sur les cadres de Man et toute la population. Je compte surtout sur la presse pour me faire sortir de la léthargie et de l’anonymat  auxquels je suis assigné aujourd’hui. Je demande à l’Etat de reconnaître mon mérite en m’octroyant aussi les 300 000f qu’on donne aux anciennes gloires et d’autres personnalités qui se sont illustrées en bien pour le pays. J’ai adressé un courrier au conseil régional, dont je suis en attente du retour. Au ministre de l’artisanat qui m’a reçu a promis m’aider, je demande de se pencher sur mon cas. S’il reste longtemps à ce poste, il fera beaucoup pour les artisans. Il a beaucoup de projets pour les artisans. J’ai beaucoup d’expérience, j’en ai plein la tête mais à qui léguer si je n’ai pas un endroit où distiller ce savoir. Je demande au gouvernement de m’aider  en tant que prix d’excellence meilleur artisan de Côte d’Ivoire.

Entretien réalisé  par Olivier Dan

Correspondant Ouest

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