Société

Interview, Issa Diabaté (architecte) :  « Voici les étapes pour construire un immeuble en Côte d’Ivoire »

Mis à jour le 18 mars 2022
Publié le 19/03/2022 à 9:00 , ,

Treichville, Angré… en Côte d’Ivoire et singulièrement à Abidjan, les effondrements d’immeubles se multiplient. Les victimes également se comptent par dizaines et ne cessent de susciter des interrogations. Pourquoi ce phénomène et quelles solutions pour y mettre fin ? Issa Diabaté est un architecte ivoirien. Il donne des éléments de réponse. Entretien !

La Côte d’Ivoire enregistre de plus en plus d’effondrements d’immeubles qui occasionnent des pertes en vies humaines. Qu’est-ce qui explique ce phénomène ?

Plusieurs raisons peuvent expliquer ce phénomène. La première, c’est qu’il faut passer par une filière professionnelle pour construire un bâtiment. Ce qui veut dire qu’il faut d’abord avoir recours aux services d’un architecte, qui va se charger, avec l’aide d’un bureau d’étude, de faire tous les calculs pour que l’immeuble résiste aux effondrements. Ces calculs vont être basés nécessairement sur l’importance des sols sur lesquels on construit. Pour construire un immeuble en bonne et due forme, il y a un certain nombre d’étapes à passer, un certain nombre d’analyses à faire et un certain nombre d’études à élaborer avant de commencer son projet de construction.

Quelles sont ces étapes ?

Aujourd’hui, nous sommes dans un pays où la majorité des bâtiments qui se construisent ne passent pas par la case permis de construire. Or, c’est cette case qui permet de s’assurer que toutes les autres étapes sont validées et franchies et qu’un immeuble peut être construit. Nécessairement, si vous avez un immeuble qui ne passe pas par la case « permis de construire », il est beaucoup plus difficile de contrôler la qualité de ce bâti. Ce qui amène parfois à des immeubles qui sont construits où il y a un certain nombre d’éléments qui ne sont pas respectés, notamment les études béton, la solidité et la qualité des matériaux et le processus engagé au moment de la construction. Selon la loi, pour qu’un immeuble puisse accueillir du public, il faut qu’il ait reçu l’avis préalable d’un bureau de contrôle. C’est une entité qui permet à chacune des étapes de vérifier que le bâtiment est fait de façon conforme et dans les règles de l’art. Le bureau de contrôle va analyser l’importance des sols et les documents de structures du bureau d’étude. Il va faire des tests par la suite pour savoir si le bâtiment est solide ou pas. Et effectivement si on suit toutes ces étapes, il est peu probable qu’on arrive à des situations comme c’était le cas à Treichville ou à Angré.

Est-ce qu’il y a d’autres facteurs qui sont à la base de ce phénomène ?

Si on regarde le phénomène de façon globale en dehors des aspects techniques, aujourd’hui, Abidjan est une ville qui subit une très forte pression démographique. Ce qui veut dire qu’il se construit beaucoup d’immeubles en très peu de temps. Et il n’est pas toujours aisé pour le ministère de la Construction et de l’Urbanisme dont c’est le rôle de vérifier que tout bâtiment qui se construit a fait l’objet d’un permis de construire, d’avoir un œil sur tout ce qui se construit. On va retrouver souvent des bâtiments où s’est marqué « à démolir », mais le manque de suivi où d’autres raisons font que par la suite, ces bâtiments-là, finissent par être construits.

C’est donc le manque de suivi au moment de la construction qui est à la base des effondrements de bâtiments auxquels le pays assiste de plus en plus ?

Pour les immeubles qui s’effondrent la plupart du temps, ces étapes ne sont pas suivies. Ce qui fait que le maître d’ouvrage ne sait pas quelle est la qualité du bâtiment dans lequel il va loger des familles. Et c’est extrêmement problématique parce que c’est une responsabilité qu’il a en premier rang en tant que maître d’ouvrage. Au-delà de toutes les responsabilités que l’on peut évoquer, c’est le propriétaire du bâtiment qui est le premier responsable quand un bâtiment s’effondre.

L’intervention de l’architecte est nécessaire dans la construction de tout édifice, mais est-ce que ces derniers sont vraiment sollicités ?

L’intervention de l’architecte est obligatoire dans la plupart des édifices notamment quand ils dépassent une certaine taille et même tout édifice de façon générale nécessite la signature d’un architecte. Malheureusement, les architectes sont très peu consultés. Et je pense que c’est surtout par méconnaissance. Vous savez, un maître d’ouvrage qui s’apprête à investir un certain montant dans la construction d’un bâtiment. Il ne peut pas prendre le risque de fragiliser son investissement avec la mauvaise qualité du bâti ou en construisant quelque chose qui n’est pas conforme. Il faut que les gens comprennent que passer par un architecte et par la voie légale c’est aussi garantir la qualité de son bâtiment.

Est-ce que le coût des prestations des professionnels du bâtiment n’est pas un frein au fait qu’ils ne soient pas très sollicités ?

Non, je pense, plutôt que c’est une question d’habitude. Si vous avez décidé d’investir dans la construction d’un immeuble, cela veut dire que vous avez les fonds pour. Et si vous avez ces fonds, vous convenez avec moi que le fait d’allouer une partie de ces fonds pour garantir la pérennité de votre bâtiment est une question de bon sens. Faire l’inverse, cela veut dire que vous mettez votre investissement à risque.

Quelle est la durée de vie d’un bâtiment suivi par un architecte ?

Il n’y a pas de durée de vie limitée pour un bâtiment. Si vous allez dans pas mal de pays dans le monde et même sur le continent africain, il y a des bâtiments qui sont millénaires. Ce qu’il faut pour qu’un bâtiment résiste dans le temps, il faut d’abord qu’il soit construit dans les règles de l’art et il faut qu’il soit entretenu.

En Côte d’Ivoire, en dehors de l’obtention d’un terrain, quelle est la procédure pour un particulier qui désire construire un bâtiment ?

Une fois que le particulier a obtenu son terrain, la première des choses c’est d’aller voir un architecte avec qui il va élaborer son projet. L’architecte a le rôle de l’accompagner dans toutes les étapes, notamment être accompagné par un bureau d’étude technique pour dimensionner la structure et pour concevoir tout ce qui est fluide (électricité, plomberie, climatisation), qui sont des éléments essentiels au bon fonctionnement d’un bâtiment. Ensuite, dans le processus de construction, une fois passé l’appel d’offres, il va falloir que les travaux soient suivis par un bureau de contrôle. Le bureau de contrôle permet à chacune des étapes de vérifier qu’on construit dans les règles de l’art. Et le respect de ces règles permettra au bureau d’étude de valider la construction et pour beaucoup de bâtiments qui reçoivent du public, vous ne pouvez pas les ouvrir si vous n’avez pas la signature du bureau de contrôle.

Que signifie l’inscription  »À démolir » que l’on voit sur les murs de certaines constructions ?

Cela signifie simplement que votre projet n’est pas conforme aux règles de permis de construire ou alors que votre projet ne respecte pas le permis de construire qui vous a été délivré. Ça veut dire que des fois, des maîtres d’ouvrage ont un permis de construire pour X et qui vont construire Y ou qui vont ajouter un niveau en cours de chantier.

Il n’est pas rare de voir que certains de ces bâtiments  »À démolir » ou encore  »PC ? »sont par la suite construits et même habités. Qu’est-ce qui explique cela ?

Il y a plusieurs raisons à cela. La première c’est que si on est de bonne foi, une mise en conformité avec le permis de construire pour continuer les travaux. Mais on sait tous qu’en Côte d’Ivoire il est très difficile de suivre tous les bâtis sur lesquels il est inscrit  »À démolir ». Donc au bout d’un moment, le manque de suivi fait que ces bâtiments finissent par prospérer. Parfois il arrive que le maître d’ouvrage s’arrange avec ceux qui les contrôlent pour pouvoir continuer la construction.

À quel moment obtient-on un permis de construire ?

Un permis de construire est délivré par le ministère de la Construction ou par la mairie. Après avoir suivi un certain nombre d’étapes, notamment la vérification de votre titre de propriété, le respect des dispositions d’urbanisme, le permis de construire vous sera délivré.

Selon le ministère de la Construction, plusieurs immeubles habités ne respectent pas les règles de construction. Faut-il les détruire ou les remettre aux normes ?

Si un immeuble est remis aux normes, il n’y a pas de raison de le détruire. Pour remettre un immeuble aux normes, suivant les pathologies qui sont détectées, vous pouvez être amenés à vider votre immeuble. À la limite il est préférable de prendre les dispositions pour libérer un immeuble le temps de le mettre aux normes plutôt que de courir le risque d’avoir des effondrements.

Selon vous, quelle solution serait la meilleure pour éviter que se reproduisent les drames auxquels nous avons assisté dernièrement ?

La solution la plus évidente c’est de s’assurer que tout le monde passe par la case ‘’permis de construire’’. C’est la sensibilisation de ceux qui construisent et leur faire comprendre que ces étapes n’existent pas par hasard et qu’elles permettent de sauvegarder leurs droits et d’éviter ce genre de situation. À la suite de cela il y a une chaîne de responsabilité, ça peut être la qualité des matériaux vendus sur le marché ou les raisons d’urbanisme. Aujourd’hui un il y a un très fort besoin en logement et pour éviter ces situations il faut qu’on renoue avec des pratiques auxquelles ont avait recours il y a des décennies auparavant, où des entités telles que la SICOGI et la SOGEFIA ont construit un certain nombre de bâtis dans les règles de l’art qui tiennent encore la route. L’idée est de déresponsabiliser les maîtres d’ouvrage dans la production de bâtiments. Il est clair que si on passe par ces entités on va produire des logements qui sont de bonne qualité. Quand cette responsabilité est dévolue au privé, il y a des notions de contrôle qui sont beaucoup plus difficiles à exercer et pour cela il faudrait que l’État puisse renouer avec la production à grande échelle de logements.

Interview réalisée par Richard Yasseu

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