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Interview- Saïd Penda (Journaliste-Analyste) : « Je suis sincèrement assez inquiet, car Gbagbo n’a rien changé à son logiciel de pensée »

Mis à jour le 16 janvier 2019
Publié le 16/01/2019 à 10:41 , ,

Le journaliste camerounais Saïd Penda se prononce sur la décision d’acquittement prononcée par la Cour pénale internationale de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé ce mardi 16 janvier.

Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé sont acquittés de toutes charges, quelle est votre réaction?

Je voudrais faire un certain nombre d’observations. D’abord la décision d’acquittement a été prise par deux juges sur trois. L’un des juges n’était pas du même avis que ses collègues et elle a tenu à faire acter cela publiquement. C’est dire que c’est une décision qui s’est jouée à peu de chose. Dans le fond, cette décision ne doit pas être confondue avec une disculpation de Gbagbo et Blé Goudé. Les juges ont simplement estimé que le bureau du procureur n’a pas présenté assez de preuves à leur avis, permettant de condamner éventuellement les accusés. 

L’Accusation a-t-elle peiné à faire la preuve de leur culpabilité?

Je ne suis pas dans le secret des éléments présentés par l’accusation, mais la cour a estimé que les éléments présentés ne permettaient pas de retenir les prévenus dans les liens de l’accusation. Il faut dire que selon certains experts, le chef d’accusation lui-même compliquait les choses pour le bureau de la procureure. Le prédécesseur de madame Bensouda avait inculpé Gbagbo et plus tard Blé Goudé pour « crimes contre l’humanité » or, les procédures de la CPI sont telles que les crimes contre l’humanité sont très difficiles, voire impossibles à établir de manière irréfutable. En effet, la cour avait par exemple demandé à la procureure de pouvoir appuyer ses accusations par des documents, ce qui était impossible puisque les gens ne documentent pas un plan pour massacrer des opposants. Par ailleurs, les témoins à charge importants sur qui comptait l’accusation se sont dégonflés à la barre. Les officiers supérieurs, Philippe Mangou et les autres, sensés accabler Gbagbo n’ont rien apporté comme témoignages de poids pouvant convaincre les juges de l’existence d’un plan pour massacrer des opposants.

Certains analystes estiment que si Gbagbo avait été poursuivi pour « crimes de guerre », il aurait été inévitablement condamné, puisque cette charge est plus facile à établir devant la CPI. 

Estimez-vous qu’avec la libération de Gbagbo et de Jean Pierre Bemba, la Justice internationale veut se donner une bonne image face à l’accusation de traque d’africains?

Je ne suis pas un adepte des thèses complotistes ou conspirationnistes, et je ne puis affirmer des choses que l’on ne peut prouver. Ce verdict est, à mon avis, la meilleure preuve de ce que la CPI est véritablement une juridiction indépendante. Ses décisions se fondent uniquement sur ses procédures et des preuves.

Comment entrevoyez-vous la suite en Côte d’Ivoire? 

Je suis sincèrement assez inquiet, car Gbagbo n’a rien changé à son logiciel de pensée. Il n’a jamais eu le moindre remord pour ces milliers de victimes. Dans son livre, il continue à accuser le régime de M. Ouattara  de bradage de la nationalité ivoirienne à des étrangers. Il décrit des scènes surréalistes d’étrangers que l’on transporterait par milliers vers la Côte d’Ivoire à qui l’ont octroierait la nationalité ivoirienne. C’est dire si pour Gbagbo les Ivoiriens du nord resteraient éternellement des individus à la nationalité douteuse. C’est très grave qu’il n’ait pas évolué sur cette question, car c’est la raison qui a provoqué la guerre civile en Côte d’Ivoire.

Pensez-vous qu’il faille craindre pour une résurgence de violence en Côte d’Ivoire ou au contraire voir les ivoiriens se surpasser pour une paix réelle?

La réconciliation prendra énormément du temps et si le parti de Gbagbo ne met pas de l’eau dans son vin, le parti d’Alassane Ouattara n’aura d’autre choix que de s’éterniser au pouvoir, par tous les moyens, quitte à le confisquer si par extraordinaire il devrait le perdre lors d’une élection. Demeurer au pouvoir pourrait devenir une question de survie pour Alassane Ouattara et les populations du nord de la Côte d’Ivoire. Et on ne pourrait reprocher aux partisans du président Ouattara de manœuvrer pour conserver le pouvoir par tous les moyens, si le plan de son opposition c’est de jouer un match retour ; de prendre sa revanche. Tant que la mouvance Ouattara est au pouvoir, le pays sera en paix. Mais le jour où le parti de Gbagbo revient au pouvoir, il est presque certain que des troubles reprennent, les mêmes causes produisant les mêmes effets. Le logiciel du FPI de Gbagbo n’a pas varié : tribalisme, volonté d’exclusion des Ivoirien du nord, xénophobie, arrogance et violence verbale.

 

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