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Interview Seidick Abba: « le président Kaboré n’a pas su répondre à toutes les attentes dans sa gouvernance »

Mis à jour le 26 janvier 2022
Publié le 26/01/2022 à 8:00 , ,
Qu’est-ce qui a conduit au coup d’État contre le président Roch Marc Christian Kaboré au Burkina Faso et quelles sont les implications de ce putsch dans la sous-région ouest-africaine ? Seidick Abba, Journaliste-écrivain et analyste des questions africaines fait un décryptage. Entretien.

L’insurrection militaire au Burkina Faso qui a conduit au coup d’État a été précédée de l’arrestation le 11 janvier de 08 militaires, soupçonnés de préparer un coup d’État et des manifestations chaudes. Selon vous, étaient-ce des signes annonciateurs de ce qui se passe actuellement ?

En effet, depuis plusieurs mois, on savait que le régime du président Kaboré était fragilisé pour le peu de résultats dans la lutte contre le terrorisme. Le Burkina Faso était épargné par la menace terroriste jusqu’en 2015. Mais à partir de 2015, les choses se sont précipitées. De 2015 à aujourd’hui, il y a eu plus de 2000 personnes qui ont été tuées dans des attaques qui étaient devenues quotidiennes. Je pense que le marqueur dans cette affaire, ce sont les évènements de Solan en juin 2021 où 163 civils ont été tués. Les manifestations ont commencé et la population a exprimé son ras-le-bol. Avant Solan, vous savez, il y avait jusque-là, une union sacrée au Burkina Faso. Tous les partis étaient derrière le pouvoir dans la lutte contre le terrorisme. Mais à partir de Solan, cette union s’est brisée, l’opposition s’est mise à contester la stratégie du pouvoir, la population s’y est jointe. Malheureusement, le mécontentement a fini par gagner les rangs de l’armée. En novembre 2021, il y a eu le drame d’Inata où 53 gendarmes d’une unité spéciale ont été massacrés. À l’occasion de cette attaque on a découvert qu’il y avait des problèmes de gouvernement. Les militaires n’étaient pas approvisionnés. Ils ont relevé qu’ils n’avaient pas de moyens et cela a été un élément déclencheur de la grogne au sein de l’armée. Le président a essayé plusieurs solutions pour calmer la population, notamment le remaniement de la hiérarchie militaire, le changement du gouvernement, mais malheureusement, ça n’a pas porté fruit. On peut dire que ce coup d’État est un épilogue. C’est l’aboutissement de la situation dans laquelle le Burkina Faso se trouvait. Si ça n’était pas arrivé maintenant, ça serait arrivé plus tard.

L’arrivée au pouvoir du président Roch Marc Christian Kaboré a pourtant suscité de l’espoir pour le Burkina Faso qui renouait avec l’ordre constitutionnel après un coup d’État. Qu’est-ce qui n’aurait pas marché ?

En 2015, quand le président a pris le pouvoir, il y avait au Burkina Faso, une espérance nouvelle parce que le précédent régime est resté 27 ans. Les gens étaient donc fatigués. Ils ont donc vu dans cette alternance un espoir, malheureusement, le président Kaboré n’a pas su répondre à toutes les attentes dans sa gouvernance. Je pense personnellement que le président Kaboré a été affaibli d’abord par le décès en août 2018 de Salif Diallo, l’ex-président de l’Assemblée nationale. Ce dernier était une sorte de stratège pour le pouvoir. Ensuite, le dernier congrès du MPP, le parti au pouvoir ne s’est pas bien passé puisque Kaboré avait imposé un candidat qui ne faisait pas l’unanimité et cela a créé le divorce. Enfin, le contexte sanitaire n’a pas arrangé les choses, vu que l’économie burkinabè s’est retrouvée avec beaucoup de difficultés. On retient donc que l’incapacité de satisfaire la demande sociale, la crise sécuritaire et l’affaiblissement politique ont conduit à la perte du président Kaboré.

C’est un coup d’État qui vient s’ajouter aux difficultés du Burkina Faso déjà confronté aux attaques djihadistes. Comment voyez vous l’avenir de ce pays ?

C’est absolument un facteur aggravant. Le pays a déjà des difficultés à répondre à la menace terroriste qui est devenue quasi quotidienne. Presque chaque jour, il y a une attaque au Burkina Faso, et l’armée a semblé démunie. À mon avis, dans un premier temps, les militaires vont chercher à renverser le rapport des forces avec les groupes djihadistes en essayant d’acheter le matériel parce que nous savons qu’il y a eu beaucoup de problèmes dans la gouvernance des fonds qui ont été affectés à la lutte contre le terrorisme. Les militaires vont donc rapidement essayer d’avoir davantage de matériels et d’équipements. Ils vont en acheter sur des marchés où cela est disponible. Ils vont faire comme leurs frères d’armes maliens, à savoir acheter du matériel, renforcer le moral de l’armée, chercher à obtenir des résultats pour que la population voit déjà la différence entre eux et les civils.
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Je ne suis pas très inquiet sur la lutte contre le terrorisme. Par contre, là où on attend de voir plus clair, c’est l’agenda des militaires. Quel va être le chronogramme de la transition ? Comment comptent-ils diriger la transition ? Est-ce qu’ils vont faire une transition mixte (militaro-civile) ou est-ce que ce sera à la malienne ? C’est plutôt sur ce volet politique qu’il y a quelques appréhensions et quelques incertitudes.

L’Afrique de l’Ouest depuis ces deux dernières années semble renouer avec les coups d’État. Après le Mali et la Guinée, c’est aujourd’hui le Burkina Faso. Est-ce un bon signe ?

Je pense que c’est le contexte actuel du Sahel qui a créé cette recrudescence de coups d’État. Il y a eu d’abord à mon avis le refus démocratique parce que comme vous le savez, il n’y a plus eu de coup d’État quand la démocratie s’est véritablement installée. Mais avec le refus démocratique, il y a eu les coups d’État et la situation d’insécurité. Le fait qu’il n’y ait pas de résultat et que les militaires sentent qu’ils n’ont pas tout le soutien matériel et moral dans leur lutte contre le terrorisme a créé ces conditions de coups d’État. Je pense que si on n’y prend  garde, que la menace terroriste persiste et qu’il y a des mécontentements du point de vue de la gouvernance politique, de la gestion de la justice, du point de vue de la gouvernance tout court et de la cohésion sociale, il y a des risques que des situations de coup d’État se produisent aussi ailleurs.

Les autres pays de la sous-région devraient-ils s’inquiéter ?

Oui. Si l’insécurité persiste comme on le voit, si les conditions de gouvernance ne changent pas, s’il y a des refus démocratiques, c’est clair que la contagion kaki peut envahir l’Afrique de l’Ouest. Et en ce moment ce sera un grand recul démocratique, même si les militaires vont avoir à cœur de montrer la différence avec les civils notamment en matière de gestion de l’insécurité. Ce qui nous guette en Afrique de l’Ouest c’est qu’effectivement, les militaires donnent la preuve qu’ils sont mieux que les civils. On risque alors d’avoir des régimes militaires pour de longues périodes. Parce que ce qui intéresse la population et on l’a vu dans le cas du Mali, c’est la sécurité, la situation économique. Une fois obtenue, la population s’en fout de savoir si c’est un civil ou un militaire qui est au pouvoir. Ce qui intéresse la population c’est sa condition de vie, son bien-être et sa sécurité.

La CEDEAO, l’organisation sous régionale a eu à prendre des mesures strictes vis-à-vis des pays touchés par des coups d’État, notamment le Mali. À quoi devrait-on s’attendre avec le cas burkinabè ?

Ce qui vient de se passer au Burkina Faso montre les limites des solutions que la CEDEAO a jusqu’ici proposées. Parce que l’idée de la CEDEAO c’était : on va sanctionner sévèrement les maliens pour décourager les autres. Or on remarque le contraire. Si le coup d’État s’est produit, c’est parce que ces sanctions n’ont pas suffi à décourager la tentation putschiste en Afrique de l’Ouest. Il aurait fallu chercher d’autres solutions dans la discussion, y compris avec le Mali au lieu de chercher à prendre en otage le peuple malien pour l’asphyxier. On aurait pu chercher des solutions comme envoyer des délégations de chefs d’État pour discuter avec la junte des conditions d’un calendrier de la transition. Mais on a choisi de faire peur. Il y a un proverbe qui dit : il faut battre le cadavre pour faire peur aux vivants. C’est ce que la CEDEAO a voulu faire. Mais en battant le cadavre, elle n’a pas fait peur aux vivants et aujourd’hui c’est un affaiblissement de l’organisation qu’on voit.

On ne va pas fermer les frontières du Burkina Faso aussi. Si on les ferme ou qu’on suspend le Burkina Faso, il y a déjà la Guinée qui dit qu’elle ne va pas fermer ses frontières avec le Mali. Le Burkina va dire qu’il ne va pas fermer ses frontières avec le Mali. À quoi donc vont servir ces mesures qui seront inefficaces. Aujourd’hui donc, il y a lieu de repenser les choses. J’avais dit avant même que la crise malienne ne survienne qu’il faut empêcher aussi les conditions de coups d’État.

Comment parvenir à faire cela ?

Quand il y a des crises dans les pays, la CEDEAO ne dit rien. On confisque la démocratie dans des pays, on met les gens en prison, la CEDEAO ne dit rien, pourtant c’est à ce moment-là qu’il faut agir de façon préventive pour éviter qu’il y ait un mécontentement social. Quand on voit 10 000 ou 40 000 personnes dans la rue dans un pays, c’est qu’il y a un malaise. C’est en ce moment que la CEDEAO devrait venir évaluer la situation et proposer des solutions. Il ne faut pas laisser que la moitié du peuple soit dans la rue ou que l’armée soit dans la rue. On l’a vu au Burkina Faso, il y a eu une tentative de coup d’État, des gens qui ont été arrêtés il y a moins d’une dizaine de jours. C’est la deuxième fois que cela arrivait sous le président Kaboré. Il y a deux ans déjà dans ce pays, on avait arrêté des officiers soupçonnés de préparer une prise de pouvoir. Ce sont des signes indicateurs. C’est en ce moment-là qu’il faut savoir qu’il y a un malaise dans le pays et donc qu’il faut aller voir pour faire de la diplomatie préventive qui est plus efficace que cette forme de diplomatie où on attend que le coup d’État se produise pour sanctionner les gens qui après ne donnent pas grands résultats.

Interview réalisée par Richard Yasseu

 

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