Le politologue-stratégiste Siaka Coulibaly aborde dans cet entretien, la question sécuritaire au Burkina Faso qui subit les assauts répétés de groupes terroristes. L’évocation controversée de l’inclusion des éléments de l’ex-régiment de sécurité présidentielle (RSP), créé par Blaise Compaoré, est selon lui, une des approches sur laquelle, le Président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré, devrait se décomplexer et y donner suite rapidement pour la tranquillité de ses compatriotes.
Bonjour Siaka COULIBALY. Vous êtes Stratégiste-politologue Burkinabè. Comment vit aujourd’hui le burkinabè lambda avec cette recrudescence d’attaques dans votre pays ?
Les sentiments dominants du burkinabè moyen, à l’heure actuelle, sont la psychose due aux nombreuses attaques, et la hantise de la prochaine agression terroriste. Très peu de localités n’ont pas encore connu l’une ou l’autre forme des attaques terroristes. Les habitants des localités des zones non régulièrement touchées par les attaques redoutent la violence qu’ils savent pas très loin d’eux, tandis que ceux des localités attaquées connaissent le désarroi. A ce jour, près d’un million de personnes sont des déplacés internes en besoin des premiers secours. La plupart d’entre eux ne demande qu’à rejoindre leur lieu de résidence et de reprendre leur vie comme par le passé.
Votre pays connaît une avalanche d’attaques de type terroriste depuis quelques années sans qu’une solution durable ait été trouvée à ce jour. Comment cela s’explique-t-il ?
La plupart des pays africains et les classes politiques qui fournissent les dirigeants des États se caractérisent par une capacité de prospective très relative. Et le Burkina Faso n’échappe pas à cette règle. Les problèmes qui surgissent aujourd’hui sont les conséquences directes ou indirectes de paramètres qui existent et qui sont actifs depuis assez longtemps. Les anticipations nécessaires n’ont généralement pas été opérées. Le Burkina Faso présentait des fragilités à l’insécurité depuis assez longtemps. La proximité du désert saharien, véritable zone grise de longue date où se déroulaient des activités de grande criminalité transfrontalière (trafics de drogue et d’êtres humains, contrebandes diverses, rackets, etc.) procure aux pays sahéliens une vulnérabilité certaine à l’insécurité. La naissance d’AQMI à partir des turbulences socio-politiques algériennes de la décennie quatre-vingt-dix a rehaussé et systématisé l’insécurité dans la bande sahélo-saharienne avec les activités terroristes de ce groupe armé qui s’était allié à des organisations irrédentistes et séparatistes du nord du Mali et du Niger. La dislocation de la Libye en 2011 et la dispersion de son impressionnant arsenal ont fourni le matériau à une offensive terroriste de grande envergure telle qu’on la voit depuis huit ans maintenant. Le Burkina Faso avait été, avant 2015, tenu exempt des attaques qui concernaient la Mauritanie, le Mali et le Niger principalement. Sous la direction de Blaise Compaoré, le pays s’était doté de mécanismes de défense qui semblaient avoir fait leur preuve à l’intérieur et à l’extérieur, si bien que le Burkina Faso s’était vu confier des missions de médiations dans les pays de la sous-région (Côte d’Ivoire, Mali, Guinée Bissau, etc.). Après le départ de Compaoré du pouvoir en octobre 2014, une transition politique a dirigé le pays et a connu de nombreux soubresauts dont les principaux ont concerné l’armée nationale. En particulier, le Régiment de Sécurité Présidentiel qui était une unité anti-terroriste spécialisée, a été dissout sans être remplacé par aucune autre force de même nature ni envergure. Dès janvier 2016, le Burkina Faso a connu sa première expérience de violence terroriste et est entré dans le cycle infernal du terrorisme.
Le terrorisme présente la particularité de différer totalement de ce pour quoi l’armée nationale a été conçue et entrainée, à savoir une guerre classique contre des troupes régulières. Le mode opératoire des groupes terroristes s’apparente plus à la guérilla, à savoir des attaques rapides, très ciblées et quasi imprévisibles, menées par des petits groupes très mobiles. Les organisations terroristes sont composées de personnes en marge de la société, qui justifient leurs actes par une exclusion sociale, économique, religieuse ou politique et des agressions dont elles seraient victimes de la part de leur État ou de puissances étrangères. Leur ancrage dans les populations rend leur isolement et leur neutralisation extrêmement difficile, d’où le semblant d’incapacité des formes militaires et paramilitaires à en venir à bout. De nombreuses initiatives sont mises en œuvre aux niveaux national et international pour résorber le terrorisme mais la faiblesse structurelle de l’Etat réduit sa capacité à être efficace contre ce fléau.
La dernière tuerie en date, celle des travailleurs de la mine de SEMAFO peut-elle être attribuée aux groupuscules djihadistes d’Al-Qaïda au Sahel ou à des riverains de la mine, éventuellement frustrés de ne pas profiter des retombées économiques de leur propre richesse naturelle ?
Malgré l’absence d’une revendication publique de l’attaque du 6 octobre dernier contre un convoi de la mine de Boungou exploitée par la compagnie canadienne SEMAFO, l’on peut s’aventurer à attribuer cette attaque à une section locale de l’Etat Islamique au Grand Sahel. En effet, de nombreux spécialistes des questions sécuritaires avancent qu’il existerait une répartition tacite du territoire burkinabè entre le groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM), regroupement de plusieurs organisations de la bande sahélo-saharienne autour de AQMI qui occuperait le nord du Burkina Faso et la section africaine de l’Etat Islamique qui agirait plutôt à l’Est du pays, à la frontière avec le Niger, zone précisément de l’attaque dont nous parlons. Ces groupes semblaient avoir été démantelés par une vaste opération de l’armée nationale en 2018 (Otapouanou). On s’est rendu compte, avec l’enlèvement des touristes occidentaux au nord du Bénin le 1er mai 2019, que ces acteurs n’avaient pas été définitivement ébranlés. Des experts du milieu sécuritaire burkinabè font état de quatre-vingt-un (81) incidents sécuritaires après la clôture de l’opération otapouanou. L’attaque meurtrière de Boungou vient confirmer que l’assainissement de la région de l’Est du Burkina Faso n’est pas encore totalement acquis.
Les relations des populations des zones touchées par le terrorisme avec les groupes armés sont bien celles de victimes impuissantes, dans la mesure où elles ne disposent pas des moyens de s’opposer à ces acteurs et font aussi l’objet de leurs exactions et violences. Tous ceux qui ont apporté des informations aux forces de défense et aux services de sécurité, ont été sauvagement massacrés, ce qui amena les populations de ces zones à adopter une attitude de « neutralité » entre l’armée et les terroristes. Dans la mesure où l’armée n’est pas en mesure de sécuriser toutes les zones touchées par les terroristes, les populations se tiennent tranquilles. Ceux qui épousent les agissements des terroristes ont déjà rejoint leurs rangs et participent aux attaques. Les revendications des populations concernant les retombées des mines sont adressées aux autorités politiques et administratives et respectent les cadres institutionnels (collectivités territoriales, gouvernement).
Les nationaux sont plus victimes des assauts des assaillants. Comment peut-on expliquer cette stratégie ? Décrédibiliser le pouvoir face à son incapacité à assurer la sécurité des citoyens ou l’armée dans sa mission régalienne ?
En janvier 2016, le communiqué du GSIM revendiquant l’attaque du Cappuccino/Hôtel Splendide définissait clairement les cibles de leurs opérations, à savoir les puissances occidentales ennemies de l’Islam et tous les pays africains qui soutiennent ces pays occidentaux. Plus concrètement, les militaires et paramilitaires ainsi que tous les représentants de l’Etat seraient visés par les opérations terroristes. L’objectif est de punir ceux qu’ils considèrent comme leurs ennemis. Pendant trois ans, seuls les militaires et paramilitaires étaient concernés par les opérations des terroristes. Les violences intercommunautaires débutées par les koglweogo, milice d’auto défense, ont fait atteindre la dimension des cibles civiles. La localité d’Arbinda et ses environs ont été essentiellement le théâtre des attaques contre les civils.
L’hypothèse de la décrédibilisation du pouvoir en place à Ouagadougou est privilégiée par les hommes politiques. Elle pourrait avoir des fondements puisqu’indirectement, la dégradation de la situation sécuritaire peut effectivement affecter le pouvoir en place. Cependant, la cible politique ne me semble pas un objectif immédiat des terroristes. Ils ont démontré qu’ils peuvent atteindre des cibles à Ouagadougou même, la capitale. Le 2 mars 2018, le bâtiment de l’Etat-major général des armées a été la cible d’une violente explosion faisant de nombreux morts. Les terroristes auraient pu viser les personnalités politiques de premier plan mais ce n’est pas vraiment le cas. La théorie du complot, dans cette approche semble avoir une justification secondaire. La piste géopolitique me paraît beaucoup plus plausible, même si elle n’est pas clairement exprimée par les organisations terroristes. Les motivations religieuses sont celles qui sont avancées pour justifier la violence déployée.
Cette série d’attaques de type terroriste a surgi dans votre pays depuis le départ du pouvoir de Blaise Compaoré. La menace était-elle présente et pesante mais gérée du temps de l’ancien Président du Faso ?
Au temps de Blaise Compaoré, la menace terroriste était bien latente. Je penche pour dire que le Burkina Faso disposait en ce temps, d’une force de dissuasion efficace qui prévenait les tentatives d’incursion sur le territoire burkinabè. Les organisations terroristes sont bien renseignées et surtout savaient, mieux que le commun des mortels, comment leurs efforts de prépositionnement au Burkina Faso étaient enrayées par le RSP. Et dès la dissolution du RSP en octobre 2015, elles ont su qu’elles avaient la voie libre pour agir sur ce territoire. Et la suite on la connaît. Les conditions de la dissolution du RSP ont fait penser à beaucoup que sa réputation de force spéciale d’élite redoutable était surfaite, puisqu’il a été assez facilement dissout, après avoir tenté d’écarter du pouvoir ceux qui portaient cette volonté de dissolution du RSP.
L’implication supposée de Blaise Compaoré dans l’offensive terroriste est une thèse assez largement répandue dans les couloirs du pouvoir à Ouagadougou. Cette théorie ne tient pas compte du fait que les puissances occidentales comme la France et les Etats Unis sont engagées dans le conflit anti-terroriste et qu’elles ont perdu de nombreux soldats dans cette lutte. Ces puissances ont une capacité de renseignement qui leur aurait permis très facilement de trouver les preuves de cette implication et auraient apporté une réponse cinglante, le cas échéant. Les tenants de cette théorie avancent que le régime Compaoré avait donné asile aux terroristes à Ouagadougou. Cela démontre la très faible connaissance de la réalité du phénomène terroriste. Il existe plusieurs organisations touarègues au Nord du Mali très opposées les unes contre les autres quant à la stratégie à adopter pour l’indépendance de l’Azawad. Le Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA) défend une approche politique qui l’amenait à être présente dans les institutions maliennes (parlement et administration publique), et recours à la violence armée sporadiquement. Ansardine, en revanche prône la violence armée systématique contre l’Etat malien et tous ceux qui le soutiennent, en vue d’instaurer une principauté religieuse basée sur un islam rigoriste. Les deux organisations ne sont pas logées dans la même liste au niveau de la communauté internationale. Seule Ansardine est classée organisation terroriste. Les dirigeants de la faction du MNLA ont bien été accueillis au Burkina Faso, en tant que réfugiés, suite aux violences contre les touaregs au Mali en 2011. Non seulement le bureau politique du MNLA était présent à Ouagadougou, mais aussi plusieurs milliers de touaregs ont été reçus en divers endroits du territoire burkinabè, dans le cadre du secours humanitaire organisé par plusieurs agences internationales. Personne ne peut démontrer avoir vu les dirigeants d’Ansardine à Ouagadougou, hormis lors des quelques jours de la rencontre de médiation tenue dans la capitale burkinabè dans le cadre des négociations de paix sur le nord Mali. Blaise Compaoré avait d’ailleurs subi la colère des dirigeants français de l’époque pour avoir invité les représentants d’Ansardine aux pourparlers de paix. Il est fort probable qu’en plus de sa capacité de dissuasion, ce rôle de médiateur régional a pesé pour épargner le Burkina Faso des attaques des groupes terroristes pendant que Blaise Compaoré était encore au pouvoir. Pour montrer que le MNLA, qui a été accueilli à Ouagadougou, reste fréquentable, il faut regarder sur internet, les vidéos de la visite du président malien IBK pendant la campagne présidentielle en 2018. Le responsable local qui l’y a reçu était Bilal Ag Cherif, le dirigeant du MNLA et notable de Kidal, celui-là même qui était à Ouagadougou, au temps de Blaise Compaoré. Quand les miliciens du MNLA et ceux des autres mouvements se rencontrent, ce sont des violents échanges armés qui ponctuent leurs échanges.
L’argument des relations entre le régime Compaoré et les terroristes est de valeur politicienne, mais surtout, empêche le pouvoir actuel de se concentrer sur la vraie cible que sont AQMI et EIGS, qui tirent un grand profit de cette erreur stratégique des burkinabè. Cette appréciation divise les burkinabè, la classe politique et même l’armée et les services de sécurité, en patriotes et traitres de manière assez artificielle. La capacité de réponse du pays au terrorisme en est ainsi fortement réduite.
Cette menace terroriste qui s’installe durablement au Burkina Faso, en dépit, soulignons-le, de la présence des forces françaises, n’est-elle pas une source de fragilisation du pouvoir de Roch Marc Christian Kaboré ?
Il est indéniable que les attaques terroristes répétées ont miné la légitimité du Président Kaboré, en rappelant aux burkinabè qu’il fut un temps où le Burkina Faso a été, longtemps, l’endroit le plus sécurisé de la sous-région ouest africaine. La gestion du conflit, sur la durée, ne penche pas en faveur du président burkinabè. Malgré les recrutements de soldats et surtout l’augmentation du budget de la défense et de la sécurité en début 2019, les résultats de la lutte anti-terroriste se font toujours attendre. La psychose née des attaques terroristes s’est finalement muée en une perte de confiance vis-à-vis du pensionnaire de Kosyam. Des sondages l’ont démontré. Lui-même et ses partisans savent très bien que des résultats probants dans la lutte contre le terrorisme auraient, sans aucun doute, redorer le blason de son bilan politique, à une année d’encablure des élections présidentielle et législatives de novembre 2020.
Selon vous, quels sont les enjeux autour de ces attaques de plus en plus meurtrières ?
Disons-le tout net. L’objectif final des organisations terroristes, ce sont les pays du golfe de Guinée (Côte d’Ivoire, Ghana, Togo, Bénin), beaucoup plus riches que ceux du Sahel-Sahara. Ces pays constituent le troisième front, après le nord Mali-Niger et le Burkina Faso. Des cellules d’avant-garde sont, depuis plusieurs années, prépositionnées dans ces pays, dans l’attente d’une offensive générale. Le Burkina Faso, de par sa position centrale en Afrique de l’ouest, est d’une importance stratégique pour cet objectif. Ce pays, s’il capitulait aux mains des terroristes, deviendrait la base opérationnelle pour la conquête des pays de la côte de l’océan atlantique. C’est là, la raison du déplacement de l’intensité des attaques terroristes du Mali au Burkina Faso, à partir de 2018. C’est cela qui démontre aussi la faible capacité d’anticipation des pouvoirs publics des pays africains, de ne pas comprendre ce qui, pourtant, est visible à l’œil nu. En réaction, des efforts importants auraient déjà dû être déployés par les gouvernements des pays du troisième front pour contrer et contenir le terrorisme dans son habitacle d’origine.
L’appel au sursaut national avec l’invitation de l’enrôlement populaire lancé par le Président de la République, n’est-il pas le symbole de la peur et de la fragilisation de l’appareil sécuritaire ?
L’annonce du recrutement au sein de la population de volontaires en vue d’aider à la lutte contre le terrorisme, au-delà de son caractère émotionnel, démontre surtout les tendances idéologiques du Président Kaboré. Il a été très impliqué dans la Révolution Démocratique et Populaire, de 1983 à 1987. On se rappelle, ce régime avait développé et appliqué la conception d’une armée populaire pour la défense et la sécurité du pays. Depuis 2016, on peut remarquer les résurgences de cette conception de la défense nationale, d’abord dans la tolérance face aux milices koglweogo, totalement illégales et auteurs de plusieurs violations des droits humains, puis, ces derniers mois, à travers les appels à la résistance populaire face au terrorisme. La proposition du chef de l’Etat burkinabè a été globalement reçue de manière mitigée à l’intérieur et à l’extérieur du Burkina Faso. Parmi les fervents supporters du Président du Faso, on perçoit les incertitudes d’une telle approche de la lutte anti-terroriste, lorsque lui-même affirme, publiquement, que « la lutte sera de longue haleine ». Comment des troupes iconoclastes, aussi motivées soient-elles, pourraient réussir là où les professionnels, y compris la force barkhane, ont « perdu l’initiative », selon les termes du général Bruno Clément Bollée, un expert international des questions sécuritaires du Sahel. Certes, les populations ont leur rôle à jouer dans la lutte contre le terrorisme, mais leurs domaines possibles d’interventions sont bien délimités. Il s’agit du soutien moral et politique aux forces armées du pays et éventuellement leur accompagnement à travers la fourniture d’informations sur les mouvements terroristes. L’accrochage avec les groupes armés terroristes devrait rester l’apanage des unités régulières, légalement, les seules détentrices de la légitimité pour la défense et la sécurité. Il faudrait cependant attendre la matérialisation de l’annonce du chef de l’Etat et apprécier comment cette nouvelle proposition présidentielle va s’agencer au dispositif de défense et de sécurité déjà en place pour juger de la pertinence de l’idée.
Un sujet tabou et politiquement incorrect dans le Ouagadougou officiel, est l’idée de faire appel aux membres de l’ex-RSP pour lutter contre le terrorisme. On le sait, le cœur opérationnel de cette unité disparue se trouve actuellement en prison, suite au procès du putsch de septembre 2015. Ils pourraient certainement apporter un concours notable dans la lutte contre le terrorisme, du fait de la spécialisation très poussée dont ils ont bénéficié au temps de Blaise Compaoré. Certains craignent pour leur loyauté envers le régime actuel et sont réticents à l’idée de leur faire appel, oubliant que cette idée n’est évoquée que parce que l’armée burkinabè n’arrive pas à résoudre le problème du terrorisme. Aussi bien les burkinabè que le reste du monde s’interroge sur la dégringolade sécuritaire du Burkina Faso. Nul ne sait vraiment comment ce pays va s’en sortir, vue l’ampleur et l’intensité des attaques. Pourquoi donc se fermer des solutions alors qu’il semble ne plus en avoir d’autres ? Une décomplexion rapide du régime de Roch Kaboré est nécessaire sur ce point.
On le comprend bien, accepter de faire recours aux ex-RSP, c’est automatiquement reconnaître son incapacité à lutter contre le terrorisme. Et le coût politique de cette variation, le régime Kaboré ne peut le consentir, d’où l’enlisement quasi irréversible actuel.
Il se dit que les citoyens civils, exaspérés par l’impuissance de l’État burkinabé, ont décidé de s’engager à travers un « mouvement de résistance populaire ». Ce dernier consisterait à mettre en place des « comités de surveillance et de défense dans chaque province du pays pour « assurer la protection des populations en appui aux forces de l’ordre ». Est-ce une décision prudente ? Pourrait-elle constituer un début de réponse à ces actes terroristes ?
Il est vrai que des organisations de jeunes tiennent ce type de discours depuis un certain temps. Mais on peut bien douter de l’efficacité de cette approche au niveau actuel de l’offensive terroriste. De la frontière nord du pays jusqu’à quatre-vingt-dix-huit kilomètres de Ouagadougou, les populations ont été obligées de quitter leurs habitations et de se réfugier dans les grandes localités de Djibo, Kongoussi, Kaya et Ouagadougou. Entre ces localités, les terroristes règnent en maîtres, juste perturbés de temps à autre par le travail des forces armées. Le 4 octobre dernier, le député maire de Djibo, Oumarou Dicko, a été assassiné sur la route menant de Djibo à Ouagadougou, dès qu’il a quitté sa forteresse de Djibo et avant qu’il n’atteigne Kongoussi l’autre place forte régionale. Comment la résistance populaire va-t-elle réussir à reprendre ces espaces et à réinstaurer la sécurité publique ? On se le demande bien. Par ailleurs, la préférence actuelle des terroristes va globalement aux forces armées et aux agents de l’Etat, une résistance populaire ferait intégrer tout citoyen aux cibles des terroristes à cause de cette résistance dite populaire. Dans ce cas de figure, toute personne, y compris si elle n’est pas partisane de la résistance populaire, pourrait être valablement la cible des terroristes, d’où une nette dégradation de la sécurité humaine dans le pays.
Comment desserrer l’étau terroriste autour du Faso ? Pensez-vous que le Burkina Faso subit le contre-coût de la déstabilisation du Mali voisin ?
L’effondrement sécuritaire du Mali, notamment du nord et du centre de ce pays, a, bien sûr, permis aux groupes armés terroristes, de s’attaquer au Burkina Faso. Tant que ce pays résistait aux assauts des terroristes, le Burkina Faso était relativement exempté des attaques. C’est là où j’indexe les capacités géopolitiques de nos dirigeants qui n’arrivent pas à analyser convenablement et objectivement les phénomènes, et à les adresser adéquatement.
Le terrorisme actuel ne peut être résorbé que par une approche de la défense et de la sécurité plus offensive et plus adaptée à cette nouvelle forme de guerre, à travers des moyens moins classiques. La réadaptation des forces armées est indispensable pour les muer en régiments anti-terroristes. Les modes opératoires des forces armées doivent changer radicalement et très rapidement. Depuis vingt ans (Libéria 1999), les conflits n’opposent plus des forces armées régulières des Etats, mais plutôt des groupes armés irréguliers soit sous la forme de rébellions, soit sous celle des terroristes. Les armées doivent donc être modifiées pour « matcher » avec le nouveau contexte sécuritaire. Parallèlement à l’action militaire armée, des politiques sociales et humanitaires audacieuses devraient accompagner les populations et surtout occuper les jeunes, pourvoyeurs de combattants des organisations terroristes. Enfin, des négociations doivent être engagées au plus tôt avec des représentants des mouvements irréguliers afin de parvenir à des accords de paix assortis, en contrepartie, des politiques sociales ciblées sur les zones revendiquées par ces mouvements. Des pays ont bien réussi à mettre fin à la prévalence du terrorisme sur leur sol. La Mauritanie, depuis 2011, n’a plus subi une seule attaque terroriste. Le Tchad également connait une maîtrise relative de la nocivité des terroristes. Le champion régional, on peut même dire mondial de la résorption du terrorisme, l’Algérie a mis dix ans pour réduire le terrorisme sur son sol et à le recycler en dehors de son espace, s’assurant une paix et une stabilité durables. Sous l’égide du président Liamine Zeroual, l’Algérie avait négocié avec les nombreux groupes terroristes islamistes issus du conflit électoral de 1992 et dont une partie des combattants avaient fait leurs armes en Afghanistan, l’incubateur mondial du terrorisme contemporain. Après Zeroual, Abdel Aziz Bouteflika avait fait adopter le 8 juillet 1999 la loi de « concorde civile » qui avait mis fin à l’instabilité sécuritaire due au terrorisme par la réintégration des combattants dans la vie civile et politique. Dans un contexte d’absence totale de solution au Burkina Faso, pourquoi se fermer certaines portes par orgueil suicidaire alors qu’il s’agit de la destinée de tout un pays ? Il y a donc, dans les expériences d’autres pays, de la matière pour les solutions contre le terrorisme.
Interview réalisé par Adam’s Régis SOUAGA, Coll : Manuela P.COULIBALY
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