L’Etat du Texas se prépare à exécuter un homme « innocent », Rodney Reed, dans six jours, pour le viol et le meurtre d’une jeune femme, Stacey Stites, âgée de 19 ans au moment des faits. À quelques jours de la sentence, les soutiens pleuvent : stars, personnalités publiques et hommes de loi font bloc pour faire entendre raison au gouverneur du Texas, Greg Abbott. Objectif: suspendre au moins la procédure afin d’étudier les nouveaux éléments de preuve.
Tunnel sombre pour Rodney Reed, afro-américain de 51 ans. L’homme, accusé du viol et du meurtre de Stacey Stites, (qui aurait eu aujourd’hui 42 ans) subira la peine capitale le 20 novembre prochain dans l’Etat du Texas.
Rappel des faits : le 23 avril 1996 à l’aube, Stacey Stites, jeune femme de 19 ans est retrouvée morte à bord d’un véhicule abandonné au bord d’une route d’un comté rural de Bastrop, au centre du Texas. Son corps, partiellement vêtu, porte des marques au cou, entraînant ainsi les experts médico légaux à conclure à un homicide volontaire par strangulation (à l’aide d’une ceinture retrouvée sur les lieux). Stacey était portée disparue le matin même par son entourage après qu’il ait appris qu’elle ne s’était pas présentée au travail au petit matin. Dans un premier temps, son fiancé, Jimmy Fennell, est le principal suspect. L’enquête patauge. Un an plus tard, les cartes sont redistribuées, l’ADN de Rodney Reed est identifié dans les traces de sperme recueillies sur le corps de la victime par des experts médico légaux et il devient alors le principal suspect. L’accusé nie d’abord connaître la victime et revient sur sa déclaration indiquant qu’ils se connaissaient et ont entretenu une relation intime consentie. Il s’explique : il est noir, Stacey Stites est blanche et fiancée à un policier blanc connu dans le coin, Jimmy Fennell. L’homme dit qu’il a d’abord dissimulé la relation secrète à la police par peur de représailles et parce qu’il craignait de devenir à son tour suspect s’il « indiquait qu’ils étaient sortis ensemble ». Fennell quant à lui nie toute existence de cette liaison. Reed clame cependant son innocence depuis le premier jour mais, en 1998, il est directement inculpé sans autre preuve et aussitôt condamné à mort par le jury, entièrement blanc.
Depuis quelques semaines, à l’approche de l’exécution de Rodney Reeds, les réseaux sociaux sont en effervescence et prennent le parti de l’accusé. Plus de 2 745 505 signatures ont été recueillies sur une pétition lancée en ligne et plus d’1 million d’appels ont été comptabilisés pour le réexamen de son dossier et la suspension de la peine par le Gouverneur Abbott. Les soutiens pleuvent également dans la sphère politique ces derniers jours, appelant à la clémence du Gouverneur. Shawn Thierry, représentante de l’Etat du Texas, a rédigé une lettre d’urgence au bureau du gouverneur Abbott, le priant d’examiner les nouveaux éléments de preuve disculpant Mr Reed et d’user de son autorité (et de sa foi en Dieu) pour le gracier. Ernest Bailes, représentant républicain et Jose Menendez, sénateur texan lui ont emboîté le pas.
Des stars telles qu’Oprah Winfrey, Kim Kardashian West (qui a repris ses études il y a quelques mois pour devenir avocate), la chanteuse Rihanna, le mannequin Gigi Hadid, l’entrepreneur millionnaire Mark Cuban ou encore le célèbre Dr Phil McGraw ont apporté leur soutien au détenu en lui consacrant plusieurs sujets dans leurs talkshows, en tweetant plusieurs fois et en invitant leurs communautés respectives, de plus de 100 millions de personnes toutes cumulées à signer la pétition en ligne ou à appeler le bureau du Gouverneur Abbott pour soutenir Rodney Reed.
La pétition est en ligne sur le site www.freerodneyreed.com
La défense crie au scandale face au faible dossier de l’accusation. Un long cauchemar commence pour la famille Reed. Son frère, Rodrick, s’empare du dossier et engage une longue bataille juridique avec l’aide des avocats de son frère. Leurs arguments : les faibles preuves médico-légales de l’accusation, le fait que l’arme du crime n’ait jamais révélé aucune trace de l’ADN de Rodney Reed, de nouveaux éléments de preuve ayant fait surface, mais surtout, le fait que des informations pouvant incriminer Jimmy Fennell n’aient jamais été portées à la connaissance de la défense, ni admises lors des procès.
Rodrick, raconte que la liaison secrète entre son frère et Stacey a duré des mois et que « tout le quartier, toute la famille » le savait. Il prétend avoir vu le couple chez sa mère et les avoir reçus lui-même une fois. Deke Pierce, ancien officier de police ayant formé un comité de défense avec 12 hommes de loi de l’Etat du Texas et ayant rédigé une dizaine d’ouvrages sur l’affaire depuis toutes ces années, vient corroborer les dires de Rodrick Reed. Il explique que lors d’un procès, Rodney avait en sa faveur plusieurs témoins pouvant attester de sa relation avec Stacey, dont certains appartenant à la famille de la victime. Deux d’entre eux ont même déclaré avoir connaissance de la liaison du couple, que Fennell avait fini par découvrir, suite à quoi il avait menacé Reed. Ils n’ont jamais été entendus par la justice. Le policier précise que ces informations auraient dû être disponibles et jointes au dossier des avocats de Reed avant le procès, mais il n’en fut rien.
L’officier Pierce poursuit en expliquant qu’il est peu surprenant que Rodney Reed n’ait pas immédiatement avoué sa relation avec Stacey ; cela aurait été risqué dans une petite ville du Texas, même au milieu des années 90, surtout avec un fiancé réputé suprémaciste blanc par son voisinage.
L’officier de police a par ailleurs déclaré que depuis le début de cette affaire, la théorie de l’Etat du Texas sur le meurtre de Stacey Stite posait problème à plusieurs niveaux. Sur les simples dires de Jimmy Fenell, l’Etat a conclu qu’en prenant la route à bord du camion de son fiancé, Stacey avait croisé Rodney, à pieds sur une voie rapide. Après l’avoir stoppée d’une manière ou d’une autre, ce dernier l’aurait attaquée, violée et étranglée à l’aide de sa ceinture, puis aurait balancé le corps de sa victime à l’arrière du véhicule avant de l’abandonner sur un parking d’école. L’officier soulève alors une question : comment un homme à pieds aurait pu stopper une automobiliste filant sur l’autoroute à 3 heures du matin ? Même si elle s’était arrêtée, il est peu probable qu’une femme aurait fait confiance à un homme à pieds, sans véhicule endommagé ou en panne à proximité, au point de l’inviter à monter dans son camion en pleine nuit. De plus, l’État du Texas s’en est tenu aux dires de Jimmy Fennell, et non aux faits, pour établir la timeline. Ce dernier avait indiqué avoir passé toute la soirée à leur domicile avec Stacey, et qu’il dormait encore lorsqu’elle s’était levée à environ 3 heures du matin pour aller travailler. La police n’a jamais fouillé leur domicile, qui est pourtant le dernier endroit où elle a été vu vivante.
De plus, des éléments supplémentaires ont fait surface : les empreintes de doigts de Fennell ont été retrouvées sur le véhicule – celui que Reed est supposé avoir conduit après avoir attaqué Stacey – mais sur lequel ses empreintes n’ont jamais été retrouvés. Il est difficile d’imaginer que Reed aurait pris soin d’effacer ses empreintes sur le camion sans tenter de dissimuler celle sur le corps de la jeune femme ayant eu un rapport sexuel avec elle. Une autre question flagrante pose problème aux pathologistes qui ont revu le dossier : selon eux, les changements physiologiques du corps prouvent que la victime n’a pas été tuée quelques heures avant qu’on ne retrouve son corps au petit matin, mais bien avant. Lorsque son corps a été retrouvé à l’aube, la lividité cadavérique était très avancée. Lorsqu’il y a mort, le sang ne circule plus et la gravité provoque des taches sombres sous la peau, comparables à des contusions. Or, il faut au moins 4 heures au corps humain pour entamer ce processus. L’état de décomposition avancé du cadavre prouve que la mort est survenue bien plus tôt, dans la soirée.
Au stade préliminaire de l’enquête, Jimmy Fennell avait échoué par deux fois au test du détecteur de mensonges, (également à la question de savoir s’il avait assassiné sa compagne). Malheureusement ce dernier n’est pas une preuve admissible dans un tribunal. Ajouté à cela, le fait que Fennell soit plusieurs fois revenu sur son témoignage, prétendant ne plus avoir passé la soirée avec sa fiancée mais être rentré à 2 heures du matin.
Dernière carte jouée : lors d’un procès en 2017, Fennell a refusé de coopérer et de témoigner à la barre, menaçant de recourir au 5e amendement de la Constitution pour ne pas avoir à répondre aux questions pouvant l’incriminer lui-même.
Enfin, de nouveaux éléments ont surgi : le 3 octobre, Jim Clampit, shériff-député de Giddings, où vivaient Jimmy et Stacey, a raconté un événement troublant survenu lors des funérailles de la jeune femme, « quelque chose qu’il n’oubliera jamais » : lorsque Jimmy s’est avancé pour un dernier au revoir à sa fiancée, il a murmuré « Qu’elle avait eu ce qu’elle méritait » confie-t-il. Terrifié, il ne lui aurait plus jamais adressé la parole depuis.
Le 11 octobre dernier, des affirmations recueillies par les avocats de Reed sont allées dans ce sens, celles de Charles Wayne Fletcher, ami du couple et député du comté : “Leur relation semblait s’être dégradée. Je me rappelle m’être tenu non loin de leur appartement un jour, Stacey venait de partir à la piscine et Jimmy a clairement dit « Elle a couché avec un négro dans mon dos, j’ai dû tuer ma fiancée qui aimait les noirs » a-t-il déclaré sous serment.
Manuela Pokossy-Coulibaly