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La Côte d’Ivoire va bien, merci, mais les ivoiriens sont-ils sereins? / Philippe Di Nacera

Mis à jour le 4 mars 2021
Publié le 20/06/2017 à 1:04

Vu de l’extérieur, la Côte d’Ivoire va bien.

Le Premier Ministre ne rentre -t-il pas d’un Road show particulièrement réussi en Europe et aux Etats-Unis où il a levé  1, 140 milliards de francs CFA auprès des bailleurs de fonds internationaux? La Côte d’Ivoire n’a -t-elle pas été élue haut la main par ses pairs au conseil de sécurité de l’ONU, après une intense campagne de sa diplomatie? Le Président Ouattara n’a -t- il pas été le premier dirigeant africain reçu à l’Elysée par le nouveau Président français, Emmanuel Macron, qui attendait, et a reçu, de la bouche du chef d’Etat ivoirien, le soutien de l’Afrique entière dans sa lutte d’influence contre Donald Trump pour sauver l’accord de Paris sur le climat? Ces exemples montrent assez bien que la Côte d’Ivoire d’Alassane Ouattara conserve une bonne image, pour l’heure, à l’étranger. Les partenaires internationaux de la Côte d’Ivoire maintiennent leur confiance au gouvernement d’Alassane Ouattara pour conduire son pays vers l’émergence et garder une influence certaine sur la scène internationale, malgré les soubresauts militaro-financiers de ce début d’année (les mutineries de janvier et mai qui, au delà d’une peur bleue qu’elles ont engendré dans la population, ont plombé le budget de l’Etat), et malgré la chute spectaculaire des cours mondiaux du cacao, principale ressource du pays, qui a contraint le gouvernement à procéder à des coupes claires dans ce même budget.

Vu de l’intérieur, c’est autre chose. Dire que les nombreuses incertitudes politiques qui s’accumulent depuis quelques mois ne sont pas de nature à susciter la sérénité des ivoiriens, n’est injurieux pour personne. Le peuple n’a plus la visibilité, même à court terme, qu’il semblait avoir après la première élection du Président Ouattara. Jugeons plutôt.
Où en sont réellement les relations entre le PDCI et le RDR?

Le grand bloc politique, le RHDP, issu de la fusion des partis de la majorité, tant de fois annoncée, verra -t- il vraiment le jour?

La coalition au pouvoir, au rythme où vont les déclarations publiques à fleuret-moucheté, va -t- elle tenir encore longtemps?

Pourquoi, si loin de l’échéance, le PDCI clame -t-il tous les jours haut et fort que le prochain Président sera forcément issu de ses rangs?

Pourquoi ce même PDCI ne divulgue-t-il pas le nom de ce fameux candidat?

Le PDCI ne prépare-t- il pas, ce faisant, un renversement d’alliance?

Le RDR acceptera -t-il de s’effacer, pour le poste suprême,  devant le PDCI, en 2020?

Que veulent certains députés proches de Guillaume Soro en lançant, à grands renforts de posts sur tweeter et Facebook, un nouveau mouvement politique « en faveur de la paix et la réconciliation », sans qu’aucun d’eux n’accepte d’en expliquer publiquement les raisons, les contours, les objectifs?

Guillaume Soro s’apprête -t-il donc à quitter le RDR après avoir espéré en prendre les rênes?

Cette initiative, la main tendue à l’opposition, est-elle une prémisse à un rapprochement du PAN avec le FPI?

La cache d’armes découverte chez le chef du protocole du PAN en cache -t-elle d’autres?

La CPI prendra -t-elle une mesure de libération provisoire en faveur  de l’ex-Président Laurent Gbagbo, pour quelles conséquences dans le pays?

Quand aura lieu le congrès du RDR?

Lors de celui-ci, si l’on en croit les sons issus des pré-congrès locaux, les militants du RDR vont-ils lancer un appel à Alassane Ouattara pour qu’il se présente à un troisième mandat, sous prétexte que ses potentiels successeurs ne s’entendraient pas? Vont-ils vider tous leurs cadres loin de la gestion de leur parti au motif qu’ils sont « méchants » et oublieux du sacrifice commun?

Si cela advenait, quelle serait la réponse du Chef de l’Etat?

Les prétendants à la succession d’Alassane Ouattara sauront-ils garder la tête froide, l’arme au pied, face à l’adversité qui s’annonce?

Y aura -t-il d’autres mutineries d’autres catégories de militaires qui pourraient profiter de l’aubaine de la réussite de leurs frères d’armes dans le chantage au gouvernement?

Les fonctionnaires vont-il bloquer le pays par d’autres grèves pour réclamer ce que l’Etat n’a pas les moyens de leur payer en vertu d’engagements hasardeux pris par le précédent pouvoir?

Quand sera prise au sérieux la lutte contre la corruption généralisée qui sévit et plombe autant le moral des ivoiriens que leur économie?

Sun Su l’a dit, l’art du secret est une arme redoutable de l’action politique. Mais, toutes ces questions, qui tournent en boucle dans les conversations, sont trop lourdes et ce silence des politiques trop pesant pour éviter l’effet inverse de celui recherché chez les ivoiriens « d’en bas » : le sentiment angoissant que des choses se trament dans leur dos, la crainte de voir la situation leur échapper et dégénérer.

On remercie nos dirigeants de veiller à la sérénité des partenaires internationaux de la Côte d’Ivoire. Ils sont cruciaux pour le développement du pays. Mais pourrait-on, sans froisser personne, humblement demander à ce que les habitants (au sens large) de la Côte d’Ivoire puissent bénéficier de cette attention rassurante? Peut-on dissiper un peu le brouillard de nos inquiétudes ici car elles ne tarderont pas à faire tâche d’huile à l’extérieur?

On ne peut qu’encourager les hommes et les femmes politiques de ce pays à œuvrer à instaurer un débat public « normal », c’est à dire, à s’expliquer davantage et mieux devant les ivoiriens. Redonner de la visibilité à court, moyen et long terme serait de nature à les rassurer eux-aussi. Les médias, et pas uniquement les médias internationaux, sont faits pour cela.

Philippe Di Nacera
Directeur de la publication

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