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La « pensée complexe » du Président Macron et l’Afrique / Philippe Di Nacera

Mis à jour le 4 mars 2021
Publié le 13/07/2017 à 9:33 , , , ,

Pour sa première déclaration sur l’Afrique, Emmanuel Macron, le Président de la République française, fait polémique. Sa réponse à la question de notre confrère Philippe Kouhon lors de la conférence de presse finale du G20, se voulait pourtant construire, approfondie et pédagogique, puisque le nouveau locataire de l’Elysée, s’exprimant pour la première fois sur le sujet, voulait expliquer les principes qui guideront son action en Afrique. Une prise de parole d’une durée de trois minutes environ. Mais ce sont les huit dernières secondes de cette intervention qui ont retenu toute l’attention des internautes, puis de la presse, qui s’en sont saisis pour développer une vilaine et vaine polémique. Le Président français ne serait rien moins qu’un raciste! Jugeons plutôt. 

La question était : »Le G20 vient de débattre du partenariat avec l’Afrique. On a vu que le plan Marshall avec l’Europe a coûté près de 150 milliards de dollars d’aujourd’hui. Concrètement combien les pays du G20 sont près à mettre dans l’enveloppe pour sauver l’Afrique? ».

La réponse a fusé : « Je vais vous dire, je ne crois pas une seule seconde à ce genre de raisonnement. Il y a eu plusieurs enveloppe qui ont été données. Ça fait des décennies que l’on promet des plans Marshall pour l’Afrique qui ont d’ailleurs été décidés et mis en œuvre. Si c’était aussi simple vous l’auriez constaté ». C’est à la fin de son propos que le Président ajoute, suscitant l’émoi : « quand des pays ont encore sept à huit enfants par femme, vous pouvez y dépenser des milliards d’euros, vous ne stabiliserez rien ».

Sortie de son contexte, l’affirmation, en forme de raccourci, peut surprendre. Sur les réseaux, cet extrait tourne en boucle. Dans les commentaires on y traite Macron, au minimum, de « condescendant » à l’égard de l’Afrique et particulièrement des femmes africaines, au mieux, de raciste.

On ne touche certes pas aux femmes africaines, elles sont sacrées. Cette polémique n’a pourtant n’a pas lieu d’être. En plus d’être est futile, elle est artificielle. Sans vouloir me faire l’exégèse de la « pensée complexe » d’Emmanuel Macron, ce n’était évidemment pas son intention de blesser quiconque sur le continent. Mais plutôt d’encourager cette partie du monde à prendre toute sa part dans son propre développement sans s’en remettre entièrement aux soutiens qui viennent d’ailleurs. Extraire ce bout de phrase pour faire de Macron un vilain misogyne raciste est un procédé vieux comme les médias. Il serait plus intéressant de se pencher sur le contenu de cette déclaration qui mérite mieux que le sort qu’on lui réserve.

« Le défi de l’Afrique est beaucoup plus profond, il est civilisationnel », avec des « problèmes » liés aux « États faillis », aux « transitions démocratiques complexes », à la nécessaire « transition démographique qui est l’un des défis essentiels de l’Afrique », aux « routes des trafics multiples qui nécessitent des réponses en termes de sécurité et de coordination régionale (trafics de drogues, trafics d’armes, trafics humains, trafics de biens culturels)  » et au « fondamentalisme violent et au terrorisme islamiste. Tout cela aujourd’hui mélangé crée les difficultés de l’Afrique, en même temps que nous avons des pays qui réussissent formidablement, avec un taux de croissance extraordinaire qui fait dire à certains que l’Afrique est une terre d’opportunités. (…) Si nous voulons une réponse cohérente aux problèmes africains, nous devons donc développer une série de politiques qui sont bien plus sophistiquées qu’un simple plan Marshall et des milliards accumulés. Partout où le secteur privé peut s’impliquer il doit s’impliquer. (…) En matières d’infrastructures essentielles, d’éducation ou de santé, là il y a une place pour le financement public, nous devons agir. En matière de sécurité nous devons agir avec les organisations régionales africaines (…). Ensuite il y a une responsabilité partagée. Le plan Marshall que vous voulez pour l’Afrique sera aussi porté par les gouvernements africains, par le biais d’une gouvernance plus rigoureuse, de la lutte contre la corruption, d’une lutte pour la bonne gouvernance, d’une transissions démographique réussie (…) » eux éléments sautent aux yeux dans cette histoire.

D’abord, la polémique, si réductrice, est révélatrice de la permanence, toujours forte en Afrique, pas forcément chez les dirigeants d’aujourd’hui, mais souvent dans les populations, d’un certain complexe à l’égard de l’ancienne puissance coloniale qui a maintenu une forme de domination pendant 40 ans à travers la Françafrique. Aujourd’hui, les complexes n’ont plus lieu d’être. Les colonies comme la françafirque sont loin derrière nous. Si un dirigeant devait couper court avec les anciennes pratiques c’est bien Emmanuel Macron. Laissons lui au moins le bénéfice du doute. Ceci posé, pourquoi le Président d’un pays partenaire ne pourrait pas émettre un avis à propos du continent africain sans soulever le soupçon qu’il exprime un sentiment de  supériorité? Dire que les africains devraient pouvoir maîtriser leur démographie pour mieux ajuster leurs ressources à leurs populations n’est que du bon sens.

Ensuite, la question, posée par un journaliste africain sur l’idée d’un « plan Marshall » pour l’Afrique, dit elle-même quelque chose de l’attente, toujours immense, du continent à l’égard du reste du monde. Une manne venue d’ailleurs pour se développer. D’abord cette manne existe largement et continuera d’exister. En faut-il plus? La réponse, simple et directe, du Président Macron est celle-ci : d’abord, gérez-la bien. Ensuite, prenez-vous, vous-aussi, en mains. Vous en avez les capacités, vous en avez les moyens et les ressources, vous avez également les hommes, les cerveaux, des entrepreneurs aguerris,  pour le faire.

Au final, que cherche -t-on à critiquer? Que sur la question l’élévation individuelle et collective des populations africaines le Président français exprime l’idée qu’il ne suffit pas d’attendre l’aide de l’Europe ou des Etats-Unis mais de faire au sein des pays concernés les reformes structurelles nécessaires ? Qu’il faut lutter contre la corruption et pour la bonne gouvernance? Rester dans une posture d’assistés n’est simplement plus viable aujourd’hui. C’est le sens de la formule de « enjeu civilisationnel » d’Emmanuel Macron. Les partenaires doivent rechercher des accords favorables aux deux parties. Nombreux sont les dirigeants africains qui l’ont compris. Même si les réformes sont complexes à mettre en œuvre.

Le gouvernement ivoirien a raison de pousser la jeunesse vers l’entreprenariat. C’est le salut de l’Afrique. Et quand le Président Ouattara parle « d’ivoirien nouveau », il dit la même chose que son raciste d’homologue français.

Philippe Di Nacera

Directeur de la publication

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