Analyses

Le lion a rugi : Offensive politique et médiatique du Premier Ministre Gon Coulibaly / Philippe Di Nacera

Mis à jour le 4 mars 2021
Publié le 18/02/2018 à 12:03
C’est un Premier Ministre « tout feu, tout flamme » que l’on a vu, lors de sa première conférence de presse, donnée mercredi dernier, 14 février, à l’occasion du premier anniversaire de son accession à la Primature.
 
Offensif, sûr de lui, occupant l’espace, il a répondu à toutes les questions, décidé, sûrement contre sa nature, à assumer ce qu’implique sa fonction, c’est-à-dire d’être projeté en pleine lumière. La mise en scène de cette conférence de presse l’y aidait. Debout, au pupitre, dans un propos liminaire de 35 minutes ou confortablement installé dans un fauteuil pour répondre aux questions des journalistes, une heure durant, tous les regards étaient donc braqués sur le discret Amadou Gon Coulibaly, connu de tous les ivoiriens et en même temps l’une des personnalités politiques les plus méconnues d’eux.
 
Assumer cette nouvelle situation, implique, en premier lieu, de maîtriser sa communication et le jeu médiatique. N’éludant rien, le Premier Ministre était nettement à l’offensive, dans une tentative (réussie) de dominer un exercice inédit pour lui, organisé sur mesure par le CICG, dans sa nouvelle mouture.
 
Cela implique également, d’endosser le rôle politique éminent que lui permet la Constitution de la 3ème République. Il y a toujours plusieurs lectures d’un texte constitutionnel, comme il y a plusieurs manières de le pratiquer. La Constitution ivoirienne reste présidentielle, voire présidentialiste, mais le centre de gravité du pouvoir s’est clairement déplacé de la Présidence vers la Primature. Un signe qui ne trompe pas, c’est la migration de la plupart des anciens conseillers de la Présidence, qui travaillaient déjà avec l’ancien Secrétaire Général, vers la Primature. Traduction politique : le Président de la République prend de la hauteur, fixe le cap, la stratégie, les grandes orientations; le Premier Ministre exerce le pouvoir d’Etat effectif, au quotidien, dans ce qu’il a de plus concret, avec l’équipe gouvernementale qu’il anime. C’est bien ce qui est apparu lors de cette conférence de presse. Un homme qui décide, précis, connaissant ses dossiers, et qui assume. Rarement Premier Ministre n’a été aussi puissant en Côte d’Ivoire.
 
Il a présenté devant la presse et l’ensemble du gouvernement réuni, un premier bilan de son action et les perspectives pour la Côte d’Ivoire. Le tableau proposé est optimiste. Trop? « Nous maintenons notre objectif d’être émergent en 2020 ». La croissance économique restera, dans les années qui viennent, l’une des plus forte dans le monde. C’est un fait. Thème après thème, il tente de déminer les critiques. Sur le budget (« La Côte d’Ivoire a les moyens de payer ses fonctionnaires »), l’annexe fiscale (« Nous privilégions toujours le dialogue »), l’endettement (« Avec un taux d’endettement de 42, 1% en 2016, contre 57, 4% pour le Sénégal, 54, 4% pour le Kenya et 72, 4% pour le Ghana, notre pays demeure l’un des bons élèves en la matière, nettement en dessous de la norme UEMOA qui est de 70% »).
 
Anticipant les critiques, Amadou Gon Coulibaly, aborde lui-même les deux sujets les plus sensibles, véritables cailloux dans la chaussure du pouvoir ivoirien, relevés encore récemment par trois rapports internationaux (France, Royaume-Unis, Banque Mondiale): la corruption et le partage inéquitable de la croissance, ces maux récurrents qui minent le morale des ivoiriens et les capacités des opérateurs économiques.
 
Le Premier Ministre a voulu montrer qu’il a pris la mesure de ces problèmes récurrents, dévoilant la feuille de route que le chef de l’Etat lui a assignée : « Maintenir une dynamique forte et redistribuer la richesse ». Et de décliner les mesures, économiques et sociales, sensées démontrer que le gouvernement travaille à la fameuse et toujours attendue « croissance inclusive ». « Nous allons gagner la bataille de l’emploi des jeunes », dit-il. Puis, il se veut concret. Il annonce, pêle-mêle, la finalisation, d’ici fin 2019, du programme d’électrification des villages de plus de 500 habitants, la généralisation de la Couverture Médicale Universelle en 2019, la construction de plus de 10 000 logements sociaux en 2018 (le double qu’en 2017). Quant aux projets d’infrastructures -4ème pont, extension du port de San Pedro, construction des trois nouveaux échangeurs sur le boulevard VGE, le métro d’Abidjan-, ils créeront, il n’en doute pas, de nombreux emplois pour les Ivoiriens.
 
Ces mesures seront-elles suffisantes pour donner aux ivoiriens le sentiment qu’ils bénéficient, eux aussi, enfin, de la forte croissance de leur pays? Les échéances électorales à venir, en 2018 et 2020, nous le diront.
 
Sur la lutte contre la corruption, le chef du gouvernement rappelle que la création d’institutions nouvelles (Cours des comptes, Haute Autorité pour la bonne gouvernance, Tribunal de commerce) a permis à la Côte d’Ivoire de gagner des places dans les classements internationaux. Mais ces instituions tardent à démontrer leurs effets concrets sur ce phénomène endémique. On ne compte plus les routes qui se dégradent sitôt construites, les hôpitaux où les médicaments sont vendus, les documents administratifs délivrés sous condition de paiement, pour ne citer que ces exemples. L’on ne sent pas que ce phénomène généralisé est mesuré à la hauteur de sa réelle toxicité, c’est-à-dire comme étant le dernier frein, le plafond de verre, qui ralentit la marche du pays vers l’émergence. La création d’un structure indépendante de suivi et de contrôle effectif de tous les projets engagés, serait un signal positif pour que les efforts consentis ne soient pas gâchés.
 
Cette première conférence de presse l’a mis en évidence, le Premier Ministre est en première ligne. Si les indices macroéconomiques de la Côte d’Ivoire sont toujours bien orientées, les enjeux de son mandat sont posés, y compris par lui. De sa réussite dépendra le climat social, politique et électoral des trois prochaines années.
 
Philippe Di Nacera
Directeur de la publication
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