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Le meilleur des mondes / Philippe Di Nacera

Mis à jour le 4 mars 2021
Publié le 06/02/2017 à 5:05

Aldous Huxley, l’auteur du livre d’anticipation mondialement connu, écrit en 1932, dont cette chronique emprunte le titre, ne manquerait pas de goûter l’ironie avec laquelle il s’applique à merveille à l’époque que nous vivons. Et aussi, à en croire les plus grands spécialistes des questions internationales, aux temps à venir.

Le premier à nous alerter sur les dangers du monde actuel s’y connaît bien, si l’on peut dire, lui qui a conduit les derniers pas de l’URSS. Michaël Gorbatchev, dernier Secrétaire Général du parti communiste d’Union Soviétique, âgé aujourd’hui de 85 ans, est celui qui a mis fin à la guerre froide, avant la dislocation du bloc de l’est et de l’empire soviétique. Dans une tribune publiée dans Time Magazine le 27 janvier, l’ex-maître de la Russie soviétique avertit sans ambages : « On a l’impression que le monde se prépare à la guerre ». Il voit, dans l’époque actuelle, « une situation extrêmement dangereuse ». Pour lui, « rien ne semble plus important aujourd’hui que la militarisation et la nouvelle course aux armements. (…) Nos décideurs politiques semblent désorientés et perdus ». Lui qui a œuvré pour le désarmement, mettant fin à la guerre froide avec les États-Unis,  exhorte les dirigeants du monde à stopper l’escalade. Or il constate : « De plus en plus de troupes, de chars et de véhicules blindés sont acheminés en Europe. Les forces de l’OTAN et de la Russie, ainsi que les armes autrefois positionnées à une certaine distance les unes des autres ont désormais été rapprochées comme pour tirer à bout portant ». Dans ce contexte de tensions politiques fortes entre la Russie et les États-Unis d’Amérique, de prolifération nucléaire au Moyen-Orient et en Asie, il lui semble que nos dirigeants ont perdu de vue que l’armement nucléaire avait un but essentiel, celui d’empêcher la guerre. « Les États peinent à financer les besoins sociaux élémentaires des peuples mais leurs budgets militaires augmentent (…). Aucun des problèmes mondiaux que nous affrontons ne pourra être résolu par la guerre : ni la pauvreté, ni l’environnement, ni l’immigration, ni la croissance de la population, ni le manque de ressources à venir ». Quand on voit les problèmes du monde tels qu’énoncés par l’ancien chef d’Etat soviétique, on comprend à quel point l’Afrique est concernée par ces préoccupations. Qu’une guerre en Europe ou au Proche Orient ne nous épargnera pas sur le continent africain. On comprend que l’appel pressent à la paix, au désarmement, à la réorientation des dépenses militaires vers les besoins des peuples, lancé par Gorbatchev, s’il adresse à d’autres, c’est-à-dire aux grandes puissances, est fait pour bénéficier aux pays émergents. « Le temps de décider et d’agir est venu ». Il propose qu’une résolution du conseil de sécurité des Nations-Unies condamne définitivement le recours aux armes nucléaires.

Le monde de Trump, Poutine, El Assad, inquiète par son imprévisibilité ou plutôt celle de ces dirigeants. Qu’en sera -t- il à l’avenir? La CIA américaine, va malheureusement dans le sens de Gorbatchev. Comme tous les 4 ans, elle s’adonne à un difficile exercice de prospective. Elle vient de rendre public un rapport sur le monde en 2035. Et ce n’est pas trop réjouissant. Car la période de paix et de prospérité que l’Europe a connue depuis la seconde guerre mondiale, risque de se conjuguer à l’imparfait, sans pour autant que le continent émergent, l’Afrique, n’en profite vraiment. Par exemple, sur l’accroissement démographique, la CIA prévient qu’il peut se transformer en catastrophe sur le continent africain, qui compte déjà 70% de jeunes, si on ne parvient pas à éduquer convenablement et donner du travail à cette jeunesse encore plus nombreuse. De là, les flux migratoires vont s’accentuer malgré les tentatives pour les contenir en Europe et les efforts de développement dans les pays du sud. Inversement, les pays développés et la Chine vont voir leur population vieillir au point que les plus de 60 ans y seront les plus nombreux. Les défis les plus pressants de la globalisation dans tous les domaines (idées, information, télécommunications, commerce, transports, migrations, changement climatique, surexploitation des ressources, pénurie d’eau, terrorisme, etc.) feront, et font déjà, émerger des mouvements de repli sur soi de certaines sociétés, hostiles à tout échange, qui seront sources de conflits nouveaux. Autant de comportements qui tireront le monde vers ce qu’il était au 19ème siècle, plus fractionné, multipolaire, moins intégré, plus volatil, sources de conflits internes et de guerres plus nombreuses.

Gardons le sourire. « Un homme averti en vaut deux », dit l’adage. J’imagine que cela s’applique d’autant plus aux chefs d’Etats qui ont accès à toutes ces données. Espérons que nos dirigeants, d’Afrique, d’Europe, d’Asie et d’Amérique, particulièrement ceux qui concentrent 90% de la puissance de feu mondial entre leurs mains, sauront écouter les anciens dont la voix crie d’autant plus fort à nos oreilles qu’ils la font rarement entendre, ainsi que les projectionnistes, qui ne sont que d’éclairantes boussoles.  Comment rendre le monde meilleur puisque nous ne sommes, ni ne seront, dans « le meilleur des mondes »? C’est ici et maintenant que cela se joue. 

Philippe Di Nacera
Directeur de publication

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