Le ministère de la justice et des droits de l’homme a répondu à quelques questions qui pourrait intéresser l’opinion public concernant le retrait de la Côte d’Ivoire de la cour africaine des droits de l’homme et des peuples.
1- Un État partie au Protocole à la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples portant création de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples peut-il valablement retirer sa déclaration ?
Il convient de rappeler que la déclaration de reconnaissance de compétence est, par nature facultative, dans la mesure où elle est émise en vertu du pouvoir discrétionnaire de l’État.
Par conséquent, un État qui, comme la Côte d’Ivoire, s’est engagé librement, est tout aussi libre de retirer son engagement.
La Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, elle-même, en a d’ailleurs admis le principe dans un arrêt qu’elle a rendu, le 3 juin 2016, dans l’affaire Victoire Umuhoza Ingabire C. Rwanda.
C’est donc en toute légalité que l’État de Côte d’Ivoire a décidé de retirer sa déclaration de reconnaissance de compétence.
2- Cette décision de retrait n’est-elle pas une décision politique, Une décision motivée par des intérêts politiques ?
La décision du Gouvernement ne vise pas d’autre intérêt que celui de préserver la sécurité juridique et le fonctionnement régulier de la Justice en Côte d’Ivoire. Le communiqué du Gouvernement est suffisamment clair sur ce point.
Cette décision intervient en réponse aux actions de la Cour qui, en plus de porter atteinte à la souveraineté de l’État, à l’autorité et au fonctionnement de la justice, sont également de nature à saper les bases de l’État de droit, par l’instauration d’une véritable insécurité juridique.
3- En quoi la décision rendue le 22 avril 2020 par la Cour Africaine porte-t-elle atteinte au fonctionnement régulier de la Justice ?
La réponse à cette question impose de commenter l’ordonnance rendue par la Cour, ce que je souhaite m’abstenir de faire. Cependant, je voudrais rappeler qu’en vertu de la Constitution ivoirienne, la détermination de la procédure suivie devant les tribunaux judiciaires relève du domaine de la loi, et donc de la souveraineté de l’État.
Il ne revient donc pas à une Cour de justice de s’immiscer dans ce domaine en subordonnant l’examen, par les juridictions nationales compétentes, de procédures pendantes devant elles, à ses propres décisions qu’elle n’a même pas encore rendues.
Cela revient, en réalité, à imposer, au fonctionnement de la justice, une suspension, voire un blocage inacceptable.
Par ailleurs, il est acquis qu’en matière de protection des droits de l’Homme, la primauté, en termes de responsabilité, revient aux États, et, en leur sein, notamment, aux juridictions nationales.
Alors qu’une procédure est pendante devant ces juridictions nationales, une Cour internationale de Justice, qui n’a pas connaissance des différents éléments du dossier ne peut pas décemment se substituer à ces juridictions, non seulement pour décider en leur lieu et place, mais aussi pour leur imposer de s’abstenir de remplir leur office.
Le principe de subsidiarité
Ce principe s’entend de la répartition claire des compétences et des responsabilités entre la Cour et les juridictions nationales.
Ainsi, en matière de protection des droits de l’homme, la primauté revient aux juridictions nationales, la Cour internationale n’intervenant que lorsque l’Etat a échoué à remédier à la violation des droits de l’homme allégués.
Les deux ordres (national et international) de juridictions, pour ainsi dire, n’exercent pas une compétence concurrente.
Cela résulte en particulier de la condition d’épuisement des voies de recours internes, qui figure au nombre des conditions de recevabilité des recours devant la Cour Africaine.
L’épuisement des voies de recours internes implique qu’une affaire concernant la violation d’un Droit de l’Homme doit passer par tous les niveaux de juridiction au plan national avant de pouvoir être portée devant la Cour.
En l’espèce, les recours contre les mandats incriminés étaient encore pendants devant les juridictions nationales.
4- L’État de Côte d’Ivoire va-t-il exécuter la décision de la Cour ?
L’État de Côte d’Ivoire n’exécutera aucune décision qui aurait pour effet d’attenter à sa souveraineté ou à l’autorité et au fonctionnement de sa justice.
5- Le retrait de la déclaration ivoirienne ne constitue-t-il pas un recul ? Un signal négatif pour la protection des droits de l’homme puisque la Cour ne peut plus recevoir de requêtes dirigées contre la Côte d’Ivoire ?
Le retrait de la déclaration ne consacre aucun recul puisque la Côte d’Ivoire demeure partie à la Charte Africaine et à son protocole additionnel instituant la Cour Africaine comme cela est rappelé dans le communiqué du Gouvernement.
Par ailleurs, c’est une erreur de penser que la Cour ne peut plus être saisie de requêtes dirigées contre la Côte d’Ivoire.
Il convient de rappeler qu’à l’origine, l’organe de contrôle institué par la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, pour surveiller la manière dont les États parties s’acquittent de leurs obligations, était la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples.
La Cour Africaine, qui est créée par la suite, n’a pas remplacé la Commission Africaine. La Cour ne fait que compléter les fonctions de protection que la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples a conférées à la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples
La Cour et la Commission exercent les mêmes fonctions, de sorte qu’en cas de violation des droits de l’homme, l’un ou l’autre organe peut être saisi.
S’agissant des individus et des Organisations Non Gouvernementales, il convient d’indiquer que la Charte Africaine prévoit la possibilité pour eux de saisir la Commission Africaine.
L’article 55(1) de la Charte Africaine fait, à cet égard, référence aux communications autres que celles des États parties à la Charte » (les communications sont des plaintes).
La pratique de la Commission est conforme à cette disposition puisqu’elle connait des plaintes déposées devant elle par des individus ou par des Organisations Non Gouvernementales.
Or, en vertu des dispositions de l’article 5(1) du Protocole instituant la Cour Africaine, la Commission Africaine a qualité pour saisir la Cour Africaine.
Dans sa pratique, la Commission n’a pas hésité à saisir la Cour Africaine de plaintes dont elle avait elle-même été saisie.
Dès lors que les individus et les ONG bénéficient d’un recours effectif, il ne saurait être question de recul.
6- Certaines personnes disent que la décision rendue par le Tribunal correctionnel d’Abidjan vise à empêcher la candidature de Monsieur SORO GUILLAUME
Le fait de manifester sa volonté de faire acte de candidature à une élection ne constitue pas une infraction pénale en Côte d’Ivoire.
On ne peut pas en dire autant pour les faits de recel de détournement de deniers publics et de blanchiment de capitaux dont le Tribunal a reconnu Monsieur SORO GUILLAUME coupable.
Source : Ministère de la Justice et des droits de l’homme
7info