Emmanuel Macron annonce une grande initiative politique pour janvier, un « rendez-vous avec la nation », un « nouveau cap » qui devra « mobiliser l’imaginaire » et « faire turbuler le système » en 2024.
Une sorte de « reset » pour reprendre la main sur un mandat mal engagé, dont on ne sait, un an à peine après sa réélection, où il va et où il emmène les français. Le spectacle de mois de débats parlementaires chaotiques ; de contestations sociales violentes, notamment autour de la réforme des retraites ; du gouvernement engageant sa responsabilité à tour de bras (via l’article 49-3 de la constitution) ; de l’échec du même gouvernement sur la loi immigration adoptées sous la contrainte de la droite et l’influence de l’extrême droite ; du désamour grandissant (définitif ?) des français pour leur chef; ce spectacle étonnant oblige le locataire de l’Elysée à prendre une initiative forte. Un changement de gouvernement, qui est le moyen habituel dont dispose un président pour relancer ou réorienter son action, est le minimum requis quand on entend le vocabulaire employé à l’Elysée (« rendez-vous avec la nation ») et le mystère, un peu ridicule, savamment entretenu par le Président et ses équipes.
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Le problème, c’est que, six ans après sa première élection à la magistrature suprême, on a du mal à le croire. Car les français commencent à avoir l’habitude des initiatives grandiloquentes et souvent vides de leur président. Qui se souvient du grand débat ? De la convention citoyenne ? Des rencontres de Saint-Denis ? Du conseil national de la refondation ? Une succession de soi-disants « temps forts » aux noms pompeux qui se finissent en flops tonitruants, tant ils sont avant tout calibrés pour mettre en scène notre président et lui permettre d’occuper les devants de la scène médiatique. Quelles orientations pour l’action publique sont sorties de ces grands rendez-vous ? Qui peut citer une mesure d’ampleur, consensuelle, marquante, accouchée en ces lieux ?
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Emmanuel Macron « fait » président, avec talent, comme s’il jouait un rôle sur les planches d’un théâtre. Kad Mérad a incarné à la perfection un homme politique dans la série « Baron noir ». Comme lui, l’hôte de l’Elysée « a l’air de », il connait la musique, la posture, le geste bien étudié, mais l’histoire et les paroles ne sont pas de lui… Kad Mérad disaient les mots écrits par d’autres. Emmanuel Macron, lui, se fait ballotter par les circonstances, véritables scénaristes de son quinquennat. Elles le bousculent comme une feuille au vent et l’obligent à pratiquer une « gouvernance de réaction » plus que d’action, exempte de convictions, de colonne vertébrale, de cap. De là, l’impression d’un manque de vision, d’absence de perspectives, de fausses notes, de contretemps, d’initiatives-surprises aussi originales que morts-nées.
Le jeune (trop jeune ?) président aime l’originalité, le symbole, la communication, privilégiés au fond, à la vision, à la continuité dans l’action.
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Toutes les initiatives évoquées, qui n’ont pas survécues à l’écume qu’elles ont créé, sont la marque de cette absence de corpus idéologique, d’orientation politique, de réflexion prospective et méthodologique, sur lesquels le décès, à 95 ans, de son exact contraire, Jacques Delors, jette une lumière crue. Et cruelle.
Certes, Emmanuel Macron a aussi des qualités. Il est cultivé. Il a un talent de plume et d’expression, un sens du symbole, une force de caractère, une capacité d’entraînement, une âme de chef. Certes, ses mandats n’ont pas été épargnés par les tempêtes. Gilets jaunes, Pandémie de COVID, crise économique mondiale marquée par une inflation inédite depuis 40 ans, révolte des banlieues, guerres en Europe et au moyen orient. Peu de présidents ont dû faire face à autant d’adversité. Si l’honnêteté oblige à dire qu’Emmanuel Macron a su, avec ses gouvernements, honorablement gérer ces crises et relativement épargner les Français, naviguer à vue n’a jamais fait une politique, ni sur le plan national ni sur le plan international. Une source d’angoisse et de mécontentement qui occulte certains succès, comme la baisse conséquente du chômage ou le maintien de l’activité économique durant la pandémie de Coronavirus (« quoi qu’il en coûte », oblige).
Exemples, à l’international. Dans la crise de Gaza, Emmanuel Macron a manifestement mal compris le sens profond de l’expression « politique équilibrée de la France » entre Israël et pays arabes. Comme le skieur qui godille, il donne un coup à gauche, un coup à droite, un mot en faveur des Israéliens, puis un pour les Palestiniens, sans que la cohérence n’apparaisse. Des prises de positions erratiques qui agacent plus qu’elles n’apportent de solution et qui engendrent l’incompréhension de tous les acteurs (y compris du corps diplomatique français qui rue dans les brancards), au détriment de la position de la France sur la scène moyen-orientale.
En Afrique, le Président français annonce, à son arrivée, « un changement de logiciel » pour frapper les esprits et assure la fin de la Françafrique. Dans les discours officiels, le « partenariat » remplace la « coopération ». La France investit en effet massivement dans les priorités (infrastructures, industries) définies par ses partenaires. Mais l’homme, lui, ne peut empêcher une naturelle arrogance de s’afficher au Burkina Faso, par exemple, devant des étudiants dans un amphi surchauffé, ou en République Démocratique du Congo, devant un Président Tchisekedi médusé, recevant une leçon de démocratie. Aussi, conserve -t- il le « logiciel ancien » au Tchad, quand il se déplace pour adouber un putschiste alors qu’il en condamne d’autres. Une arrogance et un manque de cohérence sur lesquels surfent les peuples anciennement colonisés pour développer un « sentiment anti-français » de mauvais augure et les dirigeants putschistes pour vider la France de leurs territoires.
Autre exemple, en France, cette fois. Le candidat Macron s’était présenté comme un rempart face à deux dangers : la perte de sens et des valeurs dans la société française et la montée du Rassemblement National. Nous l’avions cru. Six ans plus tard, nous sommes déjà confrontés au premier et le second, qui a gagné la bataille idéologique, n’a jamais été aussi près de prendre le pouvoir en 2027.
Le Président Macron ne semble préoccupé que par des considérations connexes ou superficielles. Elles se résument en une question : « comment laisser une trace dans l’histoire ? ». Et se déclinent en quelques systèmes d’action : comment se démarquer de ses prédécesseurs ? Comment faire « original » ? Comment « transgresser » ? Voilà, le « gros » mot lâché ! La transgression qui nous permet de tirer au moins deux enseignements sur le caractère du Président français : le premier est la grande considération qu’il a de lui-même. Elle le pousse à vouloir, en toute chose, démontrer sa différence, voire sa supériorité, sur le commun des mortels (et si possible sur les présidents qui l’ont directement précédés). Une posture qui explique, au passage, son isolement et son enfermement dans un système de décision ultra « vertical » (mot consacré dès le premier jour de sa première élection) et ultra-personnel. Tous les témoins le disent, il n’a pas d’ami, n’écoute pas grand monde, décide seul de tout ou presque. Si Nicolas Sarkozy avait qualifié son Premier Ministre de « collaborateur », celui-ci avait sûrement plus de marges d’autonomie que la Première Ministre d’Emmanuel Macron, Elissbeth Borne.
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Le second enseignement, c’est l’absence de conviction et la recherche égotique de ce qui l’arrange au moment T. Un jour socialiste, un autre jour « jamais socialiste ». Un jour fidèle d’entre les fidèles de son mentor en politique, le Président Hollande, un autre jour le trahissant sans vergogne et lui mentant « dans les yeux ». On comprend mieux, du coup, le « en même temps », cette seule et unique doctrine connue du président. Elle a séduit les français fatigués du clivage gauche-droite mais s’est avérée être le cadre le plus tangible de sa gouvernance sans gouvernail.
Dans la dialectique de l’être et du paraître, s’agiter pour « laisser une trace », relève du « paraître ». Faire, agir, transformer, c’est « être ». Le président Macron semble avoir choisi. Si De Gaulle, Mitterrand ou Pompidou avaient fait le même choix, auraient-ils leur place dans l’histoire et dans le cœur des français ? Il reste peu de temps à Emmanuel Macron pour « être » enfin, et rester autre chose, dans l’imaginaire collectif, que « le plus jeune président de la République française élu ».
Philippe Di Nacera