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Législatives 2016- Leçons contrastées pour le pouvoir / Philippe DI NACERA

Mis à jour le 4 mars 2021
Publié le 21/12/2016 à 4:12

Les élections législatives passées, l’ensemble des résultats donnés par la Commission Électorale Indépendante, seule instance habilitée à s’exprimer sur le sujet, un certain nombre d’enseignements peuvent être tirés. Il y a dans le lot de bonnes nouvelles et aussi quelques-unes qui le sont beaucoup moins pour le Président de la République.

C’est Noël, commençons par les bonnes nouvelles pour le pays. La campagne et le scrutin législatif se sont déroulés de façon apaisée et sécurisée, sur l’ensemble du territoire. Le chef de l’Etat peut s’en satisfaire, de même que l’Union Africaine qui, en la personne de madame Catherine Samba-Panza, chef des observateurs de l’UA, ancienne présidente de la transition en République Centrafricaine, a donné quitus de la réussite de ces élections. Autre bonne nouvelle, l’opposition a participé (enfin pourrait-on dire) à l’élection. Le chef de l’opposition, Monsieur Affi N’Guessan, avait même placé haut la barre de l’enjeu du scrutin pour lui-même : en cas d’échec il était décidé, avait-il annoncé à PolitikAfrique.info, à arrêter la politique. Il fait partie des trois élus FPI qui entrent à l’Assemblée Nationale. Le Parlement est désormais « ouvert », selon les termes du Président Ouattara, et c’est un bien pour le débat démocratique. Mieux vaut des affrontement verbaux dans l’hémicycle que des affrontements tout court dans la rue. Une normalisation que les ivoiriens attendaient. Quant aux boycotteurs professionnels, inaudibles durant toute cette campagne des législatives, ils en sont pour leur frais.

Il y a ensuite les bonnes nouvelles pour le Président de la République, en tant que chef de l’exécutif. Avec 167 sièges, il conserve sa majorité RHDP au parlement, ce qui lui donne les coudées franches pour dérouler son programme le reste de son mandat. Comme il semble vouloir faire coïncider les différents mandats, présidentiels, législatifs, municipaux, régionaux, l’action du gouvernement ne devrait plus être perturbée par d’autres scrutins d’ici la fin du mandat. La phase des scrutins présidentiels, référendaires, législatifs, s’achève. Place au travail de fond. Le gouvernement qui sera nommé prochainement aura les capacités pour agir durablement et en profondeur.

Passons aux mauvaises nouvelles. On peut certes toujours penser que les bonnes nouvelles sont plus importantes, minimiser les mauvaises ou refuser de les regarder en face. Ce serait une grave erreur. Une succession de « signaux », qu’il convient de bien comprendre, ont été envoyés par les ivoiriens à la faveur des élections législatives. Ils sont symptomatiques d’une distanciation profonde du peuple à l’égard de la majorité sortante, même reconduite.
Ce qui saute aux yeux, c’est la faiblesse du taux de participation. Entre 10 et 15% à Abidjan, par exemple. Le fort désintérêt de la population pour ce scrutin, le plus important après la présidentielle, est donc évident. Reste à comprendre pourquoi. Dépit ou forme de sanction? Avertissement ou désamour? Toujours est-il que les ivoiriens, non seulement se sont très peu déplacés aux urnes, mais quand ils l’ont fait, ils ont choisi nombre « d’indépendants » pour les représenter à l’Assemblée Nationale, battant en brèche beaucoup de listes officielles, au profit d’une cohorte de candidats, issus généralement du RHDP, et qui ont refusé les arbitrages des partis de la majorité lors de la publication des listes de candidats. 75 nouveaux députés sont donc « indépendants ». Constitueront-ils un groupe parlementaire à part ou rentreront-ils « à la maison », chacun dans son parti d’origine? Cette arrivée massive des indépendants marque une certaine maturité politique des ivoiriens qui n’ont pas voulu suivre systématiquement les consignes données pour manifester leur mécontentement.  Ils ont ainsi recalé des ministres importants ou des barons des partis. Affoussiata Bamba-Lamine, dans un combat homérique, chute face à la députée sortante, désormais indépendante, Yasmina Ouégnin.  Gnamien N’goran, Allah-Kouadio Rémi, Anzoumana Moutayé sont également battus. L’UDPCI, dont la décision de partir à l’élection hors RHDP a valu à son Président, Albert Mabri Toikeusse, d’être remercié du gouvernement, a obtenu six sièges. C’est un pari réussi comme l’est celui des indépendants qui on pu se faire élire. Il est symptomatique que la sympathie du peuple soit allée vers ceux qui ont dit « non », qu’ils soient de l’opposition (FPI), des indépendants, ou des partis de la coalition qui se sont lancés sous leur propre bannière (UDPCI et UPCI).
Tous ces signes, il faudra ne pas les cacher sous le tapis. Les comprendre et les digérer, pour opérer, sûrement, des changements dans la pratique du pouvoir gouvernemental:  « entre soi », « arrogant », « toujours les mêmes », « pas suffisamment à l’écoute », sont les critiques qui reviennent le plus… Si c’est bien là le message des ivoiriens, la période qui s’ouvre pour quatre ans pourrait être le vrai nouveau départ du gouvernement de Monsieur Ouattara qui n’a pas eu lieu après l’élection présidentielle.
Philippe DI NACERA
Directeur de publication

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