Analyses

L’émergence par la santé, à revoir au scanner du CHU de Bouaké / Adam’s Régis SOUAGA

Mis à jour le 18 juin 2018
Publié le 16/04/2018 à 4:51

Loin des spotlights, un Ivoirien est mort. A 57 ans, Koné Inza s’en est allé dans le ventre de la nuit. Il était un illustre inconnu dans la grande masse d’ivoiriens qui ne demandait qu’à vivre tranquillement. Et voici qu’un tragique accident de moto va lui coûter la vie. Si l’accident est la cause première du mal qui va emporter cet ivoirien, c’est le retard dans la prise en charge médicale qui a eu raison de ce père de famille.

Dans la ferveur des festivités de « Pâquinou », Inza est victime d’un accident, en route pour son domicile à Belleville, à Bouaké. Il est transporté au CHU de la ville. Il n’a, de façon physique et visible, pas de blessure. Mais, il se plaint de douleurs atroces à la tête. « Il lui est donné du paracétamol », confie un de ses proches qui pique une colère noire qui ne provoque pas de pluie sur Bouaké en cette période de disette hydraulique.

Il faut attendre un coup de fil de la ministre de la Santé et de l’hygiène publique, Dr Raymonde Goudou-Coffie pour que le personnel médical songe à se remuer. Un ministre n’appelle pas pour « n’importe qui ». Le blessé est le jeune frère du président Koné Mamadou du Conseil Constitutionnel. « Jusqu’alors, le médecin de garde que j’ai trouvé était assis sur une table et ne daignait pas me regarder alors que je lui parlais » poursuit l’aîné de Inza.

Après le coup de fil de la ministre Goudou, il est alors demandé une IRM (imagerie par résonance magnétique) de la tête. « On vous attendait pour le scanner » fait-on savoir à l’aîné de la victime qui souffre depuis au moins deux heures d’horloge. Suffisant pour qu’il meure déjà.

Pourquoi le personnel médical attendait ? Primo, parce que la prise en charge urgente des malades n’est qu’un leurre en Côte d’Ivoire. Dans les hôpitaux encore dits « du service public », il faut payer rubis sur ongle, corrompre médecins et techniciens pour être pris en charge. Dans les cliniques, il faut payer une caution d’au moins 1 million FCFA.

Secundo, parce que le scanner du CHU de Bouaké n’est pas en état de fonctionnements. Cet appareil médical a besoin d’une utilisation quelque peu spéciale. Mais, avec les nombreuses sollicitations, il tire très vite révérence. Même à Abidjan, il faut recourir aux cliniques pour des radiographies.

Ainsi, le parent déjà décontenancé, va se tourner vers une grande clinique spécialisée de Bouaké pour réaliser cette IRM. Mais, pour y parvenir, il faut une ambulance. Il lui a fallu louer une du CHU de Bouaké car, en Côte d’Ivoire, les dons d’ambulance sont comme du pain partagé aux écoliers. Sans moyens de fonctionnement adéquat et normal. Il faut payer pour que l’ambulance, du dispensaire au centre de santé urbain ou de l’hôpital général pour arriver au CHU, ne sorte. Le parent de Inza débourse 2000 F. Dieu merci, il y avait un peu de carburant ce jour.

Lorsqu’il revient avec le scanner, les médecins se rendent vite compte que le plateau technique de Bouaké ne peut prendre en charge l’accidenté. Ordre de transfert est donné pour Abidjan, à la clinique Farhat, à Marcory. 1h d’attente pour préparer un dossier médical. Seulement, point d’ambulance au CHU pour emmener Inza à Abidjan.

Il a fallu recourir à l’ambulance du CSU de Fronan, à 60 Km de Bouaké, sur une voie Katiola-Bouaké, très dégradée, pour parvenir à Bouaké et négocier Bouaké-Yamoussoukro, pour ne pas tuer le blessé avec les trous qui parsèment cet axe. A Abidjan, on découvre que le blessé saigne dans la cavité cervicale. Les chirurgiens ont travaillé à arrêter la saignée mais au bout du compte, la famille Koné a perdu un de ses fils. « Je ne ferai pas plaisir à ce corps médical du CHU de Bouaké qui a accueilli mon petit-frère en leur faisant un procès » fulmine son aîné en larmes. Ils seront trop heureux de se justifier. Car, si le blessé avait été pris en mains, le plus sérieusement du monde, sans les comprimés de paracétamol, avec un scanner qui fonctionne et une ambulance à disposition, sans attendre le coup de fil du ministre de la Santé et de l’hygiène publique, un Ivoirien aurait été sauvé.

Imaginons ce même blessé appartenant à l’une des nombreuses familles indigentes que compte ce pays ! C’est la triste réalité, il faudrait ôter le sparadrap qui couvre la vilaine plaie qui fait sentir nos hôpitaux publics. Au-delà des discours, séminaires et colloques dans de grands hôtels et conférences internationales dont la participation de nos éminents « Professeurs » et « Docteurs » est assurée par le contribuable, il faudrait une véritable chirurgie sociale de nos hommes et femmes en blouse. Quelle que soit la couleur ! Il ne fait pas bon être malade dans ce pays dont l’émergence est ainsi remise en cause. On n’émerge pas avec des malades sans soins, des hôpitaux sans scanner, ni médecins respectant le serment d’Hippocrate, eux qui sont devenus des hypocrites racketteurs sans vergogne (pas tous, car loin d’Abidjan des hommes et femmes sauvent des vies par miracles médicaux), des CHU sans ambulance ou des ambulances sans dotation suffisante en carburant (une façon de pousser au racket des parents de malades). Les parents de malades et les malades organiseront eux aussi, une conférence nationale sur leur mort programmée dans les hôpitaux publics. Il est temps !

Adam’s Régis SOUAGA

 

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