Depuis ce vendredi 15 novembre, la hausse du prix de l’essence est le seul sujet de conversation des iraniens. Le mécontentement est général et de violentes manifestations ont lieu depuis trois jours en réponse à la décision « surprise » du gouvernement d’augmenter le prix des carburants. Cette décision est la goutte d’eau qui fait déborder le vase et ravive ainsi la colère du pays déjà asphyxié par les sanctions économiques américaines qui se multiplient depuis l’été 2018.
La forte hausse du prix à la pompe, décrétée par le gouvernement iranien, ne passe pas auprès de la population, déjà ébranlée par la forte dégradation de l’économie provoquée par les sanctions américaines depuis l’été 2018. Les iraniens semblent décidés à se faire entendre. De violentes manifestations ont lieu à travers le pays depuis trois jours. Bilan : 3 morts (officiels) et des centaines de magasins et postes de police détruits ou incendiés. La banque centrale de Behbahan, dans la province du Khuzestan, et plusieurs autres banques ont été les cibles d’incendie criminel. Les vidéos circulent sur les réseaux sociaux. La machine répressive a d’ores et déjà été lancée : 1000 arrestations ont eu lieu depuis vendredi et les autorités iraniennes ont « limité » l’accès à internet depuis samedi soir. Cette nouvelle hausse des prix à la pompe, que le Président Rohani a justifié en expliquant que l’Etat n’avait pas d’autre solution pour mieux aider les « familles à revenu moyen et bas qui souffrent de la situation économique créée par les sanctions américaines visant l’Iran », comprend une augmentation de plus de 50% pour les 60 premiers litres mensuels, et le triple au-delà.
Fixé à 10 000 rials (environ 172 francs CFA), le prix s’établira désormais à 15 000 rials (environ 269 francs CFA) pour une quantité maximale de 60 litres par habitant. Au-delà, le litre sera facturé 30 000 rials (environ 532 francs CFA).
Les iraniens ne décolèrent pas alors que l’inflation a déjà atteint les 50% en raison du retrait unilatéral des Etats-Unis de l’accord international sur le nucléaire iranien en 2018. L’embargo rétabli porte sur les produits pétroliers, le secteur aéronautique et minier et l’interdiction d’utiliser le dollar américain dans les transactions commerciales, en représailles du tir qui a abattu un drone américain le 20 juin dernier. Téhéran dément toute implication depuis, affirmant que le drone a violé son espace aérien, mais Washington refuse d’entendre raison. La voix du grand ayatollah Golpayegani, s’est élevée samedi, réclamant l’annulation de la mesure d’augmentation du prix des carburants. Une proposition de loi a également été introduite dans ce sens au Parlement. Mais Ali Khamenei, Guide suprême de la Révolution islamique et plus haute autorité de l’État iranien, a répondu par la négative : « Je ne suis pas un expert et il existe des opinions différentes, mais j’ai dit que si les chefs des trois branches prennent une décision, je la soutiens», a-t-il déclaré, faisant référence au Haut conseil de coordination économique qui rassemble le Président de la République, le président du Parlement et le chef de l’autorité judiciaire.
Le Guide suprême a par ailleurs dénoncé un « sabotage » et pointé du doigt « les ennemis » de l’Iran : « Le sabotage et les incendies criminels sont le fait de hooligans, pas de notre peuple. La contre-révolution et les ennemis de l’Iran ont toujours soutenu le sabotage et [ont exploité] les brèches de sécurité » a-t-il affirmé. Il a notamment accusé les États-Unis, Israël et « certains pays occidentaux » d’être à l’origine « des troubles » que traversent son pays et son voisin l’Irak. Pour l’Iran, la contestation en Irak est un complot contre l’axe Téhéran-Bagdad résultant de la dégradation des relations entre elle et les États-Unis (suite à l’attaque de drones menée le 14 septembre contre les sites du géant pétrolier Aramco).
Téhéran craint donc que le syndrome du voisin irakien se répande dans le pays. Voisin chez qui la contestation contre le pouvoir s’est durcie, paralysant l’activité économique du pays. Des heurts meurtriers ont par ailleurs éclaté lundi dans la capitale, sur des ponts menant à l’ambassade d’Iran, le siège du gouvernement et les ministères des Affaires étrangères et de la Justice.
À la question de savoir « Pourquoi l’Iran est-elle à ce point visée par les manifestants ? », Adel Bakawan , directeur du Centre de sociologie de l’Irak avait répondu aux confrères de France 24 que « La République islamique a infiltré la classe politique et la société irakienne partout dans le pays, (…) les Iraniens se sont déployés dans la totalité du corps social irakien à travers des centres éducatifs et culturels, des consulats et des universités ».
Washington a vite réagi en condamnant « l’usage de la force et les restrictions de communications contre les manifestants », ajoutant que « les Etats-Unis soutiennent les Iraniens dans leurs manifestations pacifiques contre le régime qui est censé les diriger », a déclaré la Maison Blanche.
Manuela Pokossy-Coulibaly
7info