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Aujourd’hui, l’Afrique ne contribue à la pollution atmosphérique mondiale qu’entre 5 et 20 %. En plein essor démographique et en phase de croissance, elle pourrait, d »après des estimations, être responsable en 2030 de la moitié des émissions de polluants atmosphériques mondiales, si aucune mesure environnementale n’est prise. A cette date, l’Afrique sera devenue un continent très pollué. Pour certains scientifiques, le GIEC sous-estime les émissions polluantes africaines à l’horizon 2030. Des enquêtes sur la consommation des carburants, des programmes de recherche tels qu’Amma, sur la mousson ouest-africaine et Polca sur la pollution des capitales africaines, montrent que l’Afrique ne peut faire l’économie d’une lutte efficace contre le réchauffement climatique et la pollution. Parmi les causes de cette pollution, figurent dès à présentles véhicules à deux roues, les vieilles voitures et les vieux camions dans les villes, la fabrication du charbon de bois pour la cuisine.Cette pollution s’explique donc par les activités humaines urbaines, l’urbanisation, l’industrialisation et l’incinération des déchets.
Abidjan, ville polluée
De nombreuses métropoles africaines sont polluées. C’est le cas d’Abidjan, ville où la pollution de l’air et ses effets sur la santé commencent à peine à être étudiés. Ville-district de presque 6 millions d’habitants, et qui devrait atteindre 8 millions d’habitants en 2030, la pollution inquiète de plus en plus les habitants et les autorités locales. Etienne N’Da, consultant en écologie, nous explique qu’Abidjan est aujourd’hui une ville polluée en grande partie à cause des véhicules importés : 80% des véhicules sont des véhicules d« seconde main, c’est-à-dire d’occasion, et 60 % d’entre eux roulent au Gasoil, un carburant très nocif pour l’environnement. Selon N’Da, « ce sont 40 000 véhicules d’occasion qui sont introduits chaque année en Côte d’Ivoire. » Il ajoute : « le parc auto de la Côte d’Ivoire émet plus de gaz carbonique que les pays d’origine des véhicules. » Etienne N’Da dénonce aussi l’état de la voirie, qui rend peu fluide la circulation. Toujours selon N’DA, la Société Ivoirienne de Raffinage (SIR) devrait produire du carburant de meilleure qualité avec moins de souffre. Le gouvernement devrait réduire l’âge des véhicules importés de 10 à huit ans.Abidjan n’est pas le pire cas de la sous-région, mais 3 communes sont particulièrement polluées par les particules fines : Adjamé, au nord d’Abidjan, près des axes routiers, les zones industrielles de Yopougon, au nord-ouest, et de Vridi, une zone portuaire, au sud-ouest.
L’exemple de Cocody
Dès 2015, à la suite des engagements pris par la Côte d’Ivoire lors de la COP 21, Mathias N’GOAN AKA-KAKOU,le maire de Cocody, une commune d’Abidjan de près d’un million d’habitants, s’est engagé sur un programme ambitieux, afin de faire de Cocody une « ville verte ». Ce programme vise à réduire de 90 % les émissions de carbone de la commune et à porter la part des énergies renouvelables dans le mix électrique à 95 %. Cocody doit devenir une « écoville » à microclimat unique. Le programme s’étend à l’ensemble des 13 communes du district d’Abidjan et concerne, au total, près de 30 communes. Le maire souhaite inculquer, d’abord dans sa commune, puis dans toute la Côte d’Ivoire, une conscientisation écologique, soucieuse de la protection de l’environnement. L’objectif est de faire face aux effets désastreux du changement climatique et de la pollution, en particulier dans les communes les plus touchées, là où les populations vivent déjà dans la précarité et la pauvreté. Pour le maire, le « pack ville verte » comprend des réalisations, ce qui suppose des moyens financiers, des formations, une éducation, afin de créer un environnement « vert » et une communauté consciente des enjeux, engagée dans un mode de vie « écolo », ce qui suppose un changement des mentalités et des attitudes dans la sphère privée ou professionnelle. La jeunesse (56% de la population, dont 50% d’élèves et d’étudiants) est invitée à se mobiliser, ainsi que les femmes (54% de la population de Cocody sont des femmes). Aujourd’hui, la commune connaît une forte croissance économique et démographique, un développement urbain considérable. La demande énergétique va continuer de s’accroître, il est donc urgent de prendre des mesures, afin de réduire drastiquement les émissions de gaz à effets de serre.
Des priorités identifiées
Il suffit de se reporter au document publié par la commune de Cocody, « Plan Climat de Cocody », pour mesurer toute la cohérence du projet. Tous les domaines sont abordés : architecture, transports, parc automobile, voiries, énergies renouvelables, restauration de la biodiversité, conservation et protection de l’eau, formation et éducation pour un changement, etc. L’écologie n’est pas pour le maire de Cocody un synonyme de « décroissance », bien au contraire. Il s’agit d’une croissance et d’une distribution « vertes », ce qui signifie une coopération étroite avec les entreprises, afin de maintenir la croissance d’une commune, qui est l’un des moteurs économiques d’Abidjan. Parmi les priorités, pour un transport durable, on note : la création de véritables voies piétonnes et cyclables, le retrait chaque année de 1000 véhicules polluants, le développement du vélo, la promotion des véhicules électriques, l’adoption de carburants alternatifs. La production d’électricité doit s’affranchir des énergies fossiles pour accorder plus de place au solaire et aux éoliennes. Un plan d’équipement en lampadaires solaires est prévu pour l’éclairage public.
Trois objectifs à atteindre rapidement
- Résorber l’unique et la plus grande décharge publique de déchets ménagers de la ville d’Abidjan, située dans le village d’Akouédo, et vieille de 50 ans. 800 000 tonnes de déchets de la ville d’Abidjan sont déversées chaque année.
- Reconstituer le couvert forestier de la commune, à travers un programme de planting de 2 millions d’arbres dans la commune, 7 millions dans les 13 communes d’Abidjan, 20 millions dans la région.
- Restauration de la biodiversité de mangroves et aménagement de toutes les côtes lagunaires, fluviales et maritimes. Les berges lagunaires doivent devenir des plages de plaisance, afin de développer une économie du tourisme.
L’Afrique pourrait devenir, selon certaines études, le continent le plus pollueur d’ici une quinzaine d’années. Des études destinées à améliorer les modèles climatiques en Afrique, mais aussi à évaluer les impacts sur la santé de la pollution dans les zones urbaines d’Afrique, sont publiées.Les décideurs africains, s’ils veulent améliorer la qualité de l’air dans leurs villes, sont tenus, dès à présent, de faire des choix sur le parc véhiculaire et les combustibles utilisés. La pollution de l’air apparaît en effet comme un enjeu de santé publique majeur. Les dégâts sanitaires sont déjà visibles. Les pathologies provoquées par la pollution de l’air, – troubles respiratoires, asthme – restent malheureusement encore peu documentées. Une prise de conscience s’opère, comme en témoigne l’ouverture d’un centre de recherche à Abidjan. Il convient donc de saluer l’action entreprise par le maire de Cocody, Mathias N’GOHAN AKA-KAKOU, qui veut faire de sa commune une « ville verte ». Il est suivi dans cette démarche par 30 communes avoisinantes. Au-delà des questions de santé publique, il s’agit aussi d’améliorer le cadre de vie des habitants de Cocody. Militant d’une écologie positive, Mathias AKA KAKOU N’GOAN multiplie les contacts, afin d’obtenir,de la part des autorités locale, du gouvernement ivoirien et de la communauté internationale, un engagement fort pour ce « Plan Climat Cocody ».
Au-delà du slogan « Cocody, ville verte », le maire, Mathias N’GOAN AKA-KAKOU, tient à préciser l’enjeu de la lutte contre le réchauffement climatique et la pollution pour toute l’Afrique : « chacun sait qu’il existe un lien entre le réchauffement climatique, la pollution et la destruction des paysages ruraux, la baisse de la production agricole, la pression hydrique et l’augmentation constante du taux de sous-alimentation.Alors que la population africaine représentera un quart de la population mondiale en 2050, l’Afrique ne pourra subvenir qu’à hauteur de 13% de ses besoins alimentaires. La catastrophe écologique est une catastrophe humanitaire, facteur de troubles sociaux et de migrations. »L’Afrique est désormais dans l’obligation de lutter de manière active et permanente contre le réchauffement climatique et la pollution, ce qui va engendrer des dépenses de plusieurs milliards de dollars par an. Peut-elle le faire seule ? Evidemment, non. L’Afrique a besoin du soutien de la communauté internationale.
Christian Gambotti
Agrégé de l’Université, Christian Gambotti est le Directeur général de la société Easy Concept For You, spécialisée dans l’accompagnement de projets innovants en Afrique. Il préside le think tank Afrique & Partage et dirige la collection L’Afrique en marche. Il est aussi chroniqueur dans de nombreux journaux.
Il dirige de pôle international de Parlements & Territoires
Cette Tribune est publiée conjointement avec le quotidien ivoirien L’Intelligent d’Abidjan et le site d’information PôleAfrique.info.