Libre Expression

Libre Expression – Lettre ouverte au président Ouattara…

Mis à jour le 7 mars 2020
Publié le 07/03/2020 à 7:30 ,

M. le Président de la république,
Le 6 mars 2020 vous avez solennellement décidé de renoncer à briguer un 3ème mandat. Cette décision historique, une 1ère en Côte d’Ivoire, restera gravée de façon indélébile dans les annales politiques de notre pays.

Certes, avec le président Affi N’Guessan et bien d’autres leaders de l’opposition nous avons toujours affirmés, urbi et orbi, que la constitution de 2016 ne vous permettait pas de rempiler vu que vous n’avez pas été élu sous l’empire de cette dernière mais sous celle de 2000. Ce que vous réfutiez, affirmant que la constitution de 2016 remettait les compteurs à zéro et vous offrait en conséquence l’opportunité de faire 2 autres mandats.

Ces deux interprétations contradictoires de la constitution de 2016 devaient donc être tranchées par le Conseil Constitutionnel. Or, tous nous savons que dans notre pays les différents conseils constitutionnels qui se sont suivis, excepté celui du professeur Francis Wodié, qui malheureusement a démissionné sans qu’on en sache les raisons profondes, sont aux ordres du pouvoir exécutif.

Aussi, M. Koné Mamadou, qui a réinventé en 2015 le droit en validant votre candidature « par dérivation » n’aurait eu aucun mal à interpréter la constitution en votre faveur pour valider votre éventuelle candidature. Cette décision de renonciation est donc tout à votre honneur et épargne par la même occasion à notre Conseil Constitutionnel d’avoir à réaliser des acrobaties juridiques pour justifier l’injustifiable.

Alors que les présidents Bedié et Gbagbo cherchent encore à être réhabilités dans les urnes, votre décision de céder pacifiquement le pouvoir vous réhabilite implicitement dans la conscience collective de la majorité de vos compatriotes à qui vous offrez une vraie opportunité de paix durable. Je ne peux que saluer cette décision courageuse, honnête et pleine d’espoir pour l’avenir de notre pays.

Certains haineux et extrémistes boudent leur plaisir de vous voir partir. D’autres tiennent des discours désobligeants et justifient votre décision par le fait que vous ayez cédé à de supposées pressions. Ces explications, peu convaincantes, ne tiennent pas la route car l’histoire contemporaine de notre pays nous démontre qu’aucun de vos prédécesseurs n’a cédé aux pressions lorsqu’il s’était agi de céder le pouvoir. Mieux, ils ont eux choisi de résisté à ces pressions.

C’est notamment le cas du président Bedié en 1999 qui a refusé de céder aux pressions, internes et externes, qui lui demandaient de libérer les prisonniers politiques du RDR. Son pouvoir n’a pas survécu à cet entêtement un certain 25 décembre 1999. Ce qui l’a contraint à l’exil, avec femme et enfants.

Le Général Robert Guei, chef de la junte militaire qui a pris le pouvoir après la chute du Président Bedié n’a lui non plus pas cédé aux pressions de toute part qui l’invitaient à céder le pouvoir, qu’il avait pris par les armes et qu’il avait perdu dans les urnes. Son refus a entraîné une révolte populaire qui le contraindra à fuir le pouvoir, avec son épouse qui pourtant l’encourageait à ne pas le céder.

Le président Gbagbo, au nom des principes et du droit acquis, n’a, lui aussi, pas voulu céder aux pressions, intérieures et extérieures, qui l’exhortaient à céder le pouvoir à son adversaire dont le PDCI, le chef de la rébellion, la CEDEAO, l’Union Africaine, l’Union européenne, la France et les USA estimaient, contrairement au Conseil Constitutionnel d’alors, être le (vrai) vainqueur de la présidentielle de 2020. Son obstination à ne pas se retirer le conduira à la CPI et, son épouse, en résidence surveillée à Odienné, après qu’ils aient subis avec leurs partisans moult humiliations à l’hôtel du golf d’Abidjan.

Si tant est que ce sont des pressions qui ont été déterminantes dans la décision du président Ouattara de quitter le pouvoir alors il faut saluer son intelligence politique et sa clairvoyance, choses qui manifestement semblent avoir fait défaut à ses prédécesseurs. Les messages de félicitations  que des grands de ce monde ne cessent de lui adresser et notamment celui du président Macron l’attestent.

M. le Chef de l’Etat,

Je reconnais aujourd’hui que je n’ai pas toujours été tendre avec vous, votre régime et votre bilan économique à la tête du pays. Si mon avis sur votre régime que j’ai toujours considéré comme autocratique n’a lui pas vraiment changé, tout comme d’ailleurs votre bilan économique, politique et social qui me semble peu reluisant, excepté quelques réalisations dans le domaine des infrastructures, force est d’admettre aujourd’hui que, intuitu personae, je me suis trompé sur votre personne. Vous m’apparaissez désormais comme un homme d’Etat, un vrai, avec ses forces et… ses faiblesses.

M. Le président,

Nous étions nombreux à vous faire un procès d’intention, convaincus que vous aviez en tête de modifier la constitution uniquement dans le but de disqualifier vos prédécesseurs que sont Messieurs Bedié et Gbagbo. Que nenni. Vous aviez annoncé que ce n’était pas votre intention et vous avez tenu parole. C’est remarquable. Je vous tire mon chapeau.

M. Ouattara, président du RHDP,

Là où vos prédécesseurs affûtent leurs armes pour (re)devenir président de la république vous vous avez décidé de soutenir l’un des vôtres afin qu’il pérennise votre œuvre à la tête de l’Etat. Cette posture est tellement rare sous nos cieux éburnéens qu’elle mérite d’être soulignée.

Le Président Houphouët avait préparé Bedié à prendre le relai, tout comme vous depuis un certain temps vous l’avez fait avec le 1er ministre Gon Coulibaly. Dès lors, il ne fait aucun doute que vous prendrez, en tant que président du RHDP, une part active à sa campagne et vous donnerez de votre énergie et de votre influence pour l’aider à gagner la présidentielle à venir. L’une des marques des grands hommes c’est qu’ils savent passer le pouvoir et se mettre en retrait lorsque cela est nécessaire pour préserver les intérêts du groupe. Félicitations  M. le président pour cette ouverture et grandeur d’esprit.

Monsieur le président Ouattara,

Au moment au vous vous apprêtez à passer la main je voudrais enfin vous reconnaître le mérite d’avoir, contre vents et marées, su protéger votre régime des attaques extérieures et vos partisans. C’est certainement l’une des raisons pour lesquelles ils sont tous restés soudés autour de vous, là où certains de vos prédécesseurs n’ont pas hésité à sacrifier certains des leurs pour tenter, en vain, de polir leur propre image.

Monsieur le président,

Parce que des milliers d’ivoiriens continuent de fuir, pour l’Europe, l’émergence de notre pays à l’horizon 2020 que vous leur avez promise et qu’au moment où vous vous apprêtez à quitter le pouvoir nous sommes encore loin d’être un pays pre émergent, soyez assuré que nous allons, avec le président Affi, proposer une nouvelle offre politique, sociale et économique à nos compatriotes afin que la paix et le développement inclusif auquels ils aspirent depuis tant d’années soient une réalité palpable dès le 31 octobre prochain.

Nous y arriverons car nous voulons exercer le pouvoir autrement, non pas pour un clan, une région ou une religion mais avec tous ceux, du nord au sud, de l’est à l’ouest, qui partagent avec nous la volonté de faire de la Côte d’Ivoire un pays où il fait bon vivre pour tous.
M. Le président,
Avant de clore mon propos je voudrais saluer avec déférence votre épouse dont il ne fait aucun doute qu’elle a discrètement pesé de tout son poids pour que vous ne soyez pas tenté de confisquer le pouvoir. Je vous souhaite, M. le président, un bon retour à Kong, à Dimbokro ou à Mougin, endroits où vous devriez pouvoir prendre un repos et une retraite politique bien mérités. Vous verrez, il y a une merveilleuse vie après la présidence. Je vous souhaite d’en jouir abondamment.

Jean Bonin
Juriste
Citoyen ivoirien

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