19 septembre 2002, 19 septembre 2022, il y a 20 ans que la Côte d’Ivoire a connu une attaque armée menée par un groupe de soldats déserteurs, transformée plus tard en une rébellion armée. Lida Kouassi Moïse, le ministre de la Défense à cette époque revient sur ce jour et fait des révélations jamais lues et entendues.
Monsieur le ministre, avez-vous été surpris par l’attaque du 19 septembre 2002 ?
J’étais à ma résidence. Elle a été attaquée aux environs de 3 heures du matin ce 19 septembre 2002. Les éléments qui étaient en faction m’ont réveillé pour me dire qu’il y a des tirs dans la ville et que ce ne sont pas des tirs ordinaires, c’est une attaque. Je me suis apprêté et j’ai demandé à mon épouse de s’apprêter et d’apprêter les enfants pour les mettre en lieu sûr. Au moment où elle finissait de s’apprêter, il y a eu deux tirs de roquette qui ont ébranlé le portail de ma maison. Les tirs de roquette ont provoqué la fuite des soldats en faction chez moi. Seul un sous-officier de la marine est resté avec moi. C’est ainsi que le commando dirigé par Koné Zakaria est entré dans ma résidence. Tandis que l’autre commando de tueurs dirigés par Ouattara Issiaka dit Wattao est allé chez Me Emile Boga Doudou. Il n’a pas eu de chance, ils l’ont repéré et l’ont abattu. Chez moi quand ils sont rentrés, j’avais demandé à mon épouse d’aller se mettre dans la chambre des enfants avec les enfants. Moi-même, je me suis mis dans une cachette.
Que s’est-il passé lorsqu’ils sont rentrés dans votre résidence ?
Quand ils sont rentrés chez moi, ils se sont mis à tirer à l’arme automatique, l’A52, à la Kalachnikov. Ils m’ont cherché toute la nuit, ils ne m’ont pas trouvé. Ils ont quand même trouvé madame et les enfants. Ils l’ont maltraitée jusqu’à ce qu’elle tombe dans les pommes. Ils ont ensuite récupéré mon fils de 11 ans et lui ont intimé l’ordre de leur montrer où j’étais caché. Mais mon fils n’a pas obéi. L’attaque de ma résidence à durée de 3 heures du matin à 7 heures moins 10 minutes. Et c’est lorsqu’à 7 heures moins 10 minutes que les éléments de l’école de gendarmerie ont fait sauter le dispositif d’assaillants qui bloquait la sortie de l’école de gendarmerie et ont commencé à poursuivre les assaillants à Cocody. C’est à ce moment que Koné Zakaria et ses hommes ont pris la fuite. Dans leur fuite, ils ont pris en otage mon épouse et le sous-officier de la marine. C’est après leur départ que des éléments de la garde de la résidence du président de la République sont venus me chercher.
Plusieurs personnalités ont été assassinées ce jour-là. On a encore en mémoire la mort de Me Emile Boga Doudou et du général Robert Guéi. A quel moment de cette journée avez-vous appris leur mort ?
J’ai été informé dans la matinée. Lorsque je suis arrivé à la résidence du président de la République et que je préparais la déclaration du matin, c’est en ce moment qu’un commandant de la Brigade anti-émeute (BAE) m’a appelé pour me dire qu’il avait découvert le corps du ministre de la sécurité Emile Boga Doudou chez son voisin. C’est ce matin-là que j’ai appris aussi que les colonels Dali Oblé, Dagrou Loula, Esmel Adjori, Gnoléba étaient morts. C’est après que j’ai appris que le général Robert Guéi avait été assassiné aux environs de la polyclinique Sainte-Anne. C’est à la suite de cela que j’ai fait ma déclaration à la télévision pour dire aux Ivoiriens que l’Etat de Côte d’Ivoire n’était pas tombé et que j’étais la figure de cet État là.
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Tôt le matin du 19 septembre 2002, les assaillants sortis d’Abidjan se sont repliés à Bouaké, la seconde ville de Côte d’Ivoire. Vous avez déclaré par la suite qu’il vous fallait quelques heures pour libérer cette ville. Mais cette libération n’a jamais eu lieu. Qu’est-ce qui s’est passé ?
On ne fait pas la guerre comme on ferait une soirée dansante. J’ai déclaré qu’on ferait l’assaut sur Bouaké et nous avons pris Bouaké. J’ai donné l’assaut sur Bouaké et nous avons pris Bouaké même si cela a duré quelques heures. Nous sommes arrivés au pouvoir à un moment où la Côte d’Ivoire avait été façonnée par la France en faveur du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) et son président pendant des années. Nous ne maitrisions pas encore le système de défense et de sécurité de la nation. Je voulais moi-même faire voter une loi de programmation militaire à l’Assemblée nationale par laquelle je voulais qu’on me donne des crédits supplémentaires pour donner à la Côte d’Ivoire l’armée qu’elle mérite. L’armée qui équivaut à son rang économique et sa place politique dans la sous-région ouest-africaine. Pour des raisons que je n’explique pas aujourd’hui, certains collègues au sein du gouvernement étaient peu enclins à l’adoption de cette loi militaire. Certains croyaient que Lida Kouassi voulait s’enrichir. J’avais beau expliqué que c’était pour des raisons d’Etat qui commandait que la Côte d’Ivoire ait un système de sécurité performant et dissuasif. Mais il y avait des résistances. Et pourtant la guerre qui avait commencé au Liberia menaçait notre frontière ouest. Et je me disais que d’un moment à l’autre, notre pays pouvait subir une attaque. Cette loi n’a même pas dépassé l’étape d’un conseil des ministres.
Aviez-vous fait part de votre projet au Premier ministre d’alors, Pascal Affi N’Guessan ?
Aujourd’hui il parle, mais je crois qu’il a des choses à se reprocher. Parce qu’il renâclait contre la loi de programmation militaire. Même la mise en place des services de renseignements que je venais de créer (La direction générale des services de renseignements de Côte d’Ivoire). Il y avait des difficultés pour mettre en place les services de renseignement. J’étais combattu par des membres du gouvernement dont Affi N’Guessan.
Il se raconte que l’armée ivoirienne ne disposait pas d’armes. Expliquez comment sans arme, elle a réussi à repousser les agresseurs d’Abidjan ?
Notre chance est qu’ayant rapidement fait la réconciliation avec le gouvernement du Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA), Dos Santos nous avait livré une importante cargaison d’armes. C’est pourquoi les unités combattantes d’Abidjan n’ont pas eu du mal à repousser les assaillants. Nous n’avions pas encore distribué ces armes ni à Yamoussoukro, ni à Bouaké ni Korhogo. C’est pourquoi les rebelles ont eu le temps de s’incruster à Bouaké et à Korhogo. A Bouaké nous avons décidé de donner l’assaut et nous avions des officiers de grande valeur et nous avons repoussé la rébellion. Nous avons pu vaincre les rebelles à Bouaké. Ils étaient en train de se replier à Katiola à Korhogo lorsqu’ils ont eu l’appui d’un certain nombre d’officiers français et de mercenaires togolais qui les ont aidés à repousser nos forces le lendemain matin.
Quelques semaines après le déclenchement de la rébellion, vous avez été révoqué de vos fonctions. Est-ce parce que vous n’étiez pas à la hauteur de la tâche ?
Ce n’est pas parce que je n’étais pas à la hauteur. Le président Laurent Gbagbo m’a confié en privé que j’ai été un ministre de la Défense compétent, et que je connaissais les questions militaires. Je crois que j’ai été remercié du gouvernement sous la pression de la France. J’ai été convoqué à l’Assemblée nationale pour expliquer la situation que j’ai décrite plus haut. Devant les députés, j’ai déclaré que c’était la France notre allié avec qui nous avons des accords qui nous empêchait de libérer Bouaké. Cette déclaration n’a pas plu à la France. Et donc c’est l’Elysée qui a demandé mon limogeage. Paris a mis la pression à Gbagbo pour lui demander de me sortir du gouvernement. C’est pourquoi j’ai été remercié du gouvernement. Pas pour incompétence, mais par la volonté de la France.
Avez-vous des regrets ?
J’ai des regrets notamment pour ces nombreux morts, la faillite de notre armée. J’ai beaucoup de regrets pour tous ces morts et tous ces dégâts dans le pays. En même temps j’ai des regrets pour l’assassinat dès les premières heures d’un certain nombre de grands responsables militaires et politiques, notamment le ministre d’Etat Me Emile Boga Doudou. Également il y a eu de grosses pertes militaires : les colonels Dali Oblé, Dagrou Loula, Gnoleba, Esmel Adjori…
Entretien réalisé par Arnaud Houssou